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lors entièrement son caractère de neutre, et le belligérant opposé est en droit de le traiter tout à fait en ennemi. »

Heffter exige expressément, pour que le transport soit punissable, qu'il soit absolument volontaire.

Heffter.

Hautefeuille estime pareillement que les neutres ne sont punis- Hautefenille. sables que si leur navire a été frété par l'ennemi expressément pour

le transport de ses soldats; si cette condition n'est pas remplie, le neutre ne viole pas ses devoirs.

Pratique

anglaise et

§ 2797. La pratique anglaise et américaine, au contraire, ne fait aucune distinction en faveur du navire neutre contraint par l'ennemi américaine. au transport. Phillimore et Wheaton citent à l'appui plusieurs sentences de tribunaux de prises anglais, desquelles il ressort, en outre, cette particularité que la culpabilité du navire neutre ne dépend pas du nombre des hommes transportés, attendu que le transport d'un petit nombre d'officiers supérieurs a plus d'importance que celui d'un grand nombre de simples soldats ou de matelots.

La défense faite aux neutres de se livrer à un pareil transport a été l'objet de nombreuses stipulations conventionnelles. Il est de règle générale que le navire qui y est employé est passible de saisie et de confiscation, et que les hommes qu'il transporte sont exposés à être faits prisonniers; mais il est aussi généralement admis que le navire redevient neutre aussitôt que le transport a été effectué, et qu'il ne peut plus être capturé après que le débarquement a eu lieu*.

Sentence des tribunaux

§ 2798. Les annales des Cours de prises offrent un certain nombre de jugements relatifs à des cas de transport de marins et de mili- de prises. taires pour le compte de l'ennemi. Parmi les plus importants, on peut citer les suivants :

Dans l'espèce du navire nord-américain Friendship, il s'agissait d'un contrat passé avec des agents du gouvernement français pour transporter en France quatre-vingts marins, officiers et matelots, restant des équipages de plusieurs bâtiments naufragés et qui, sous les ordres de leurs chefs respectifs, conservèrent pendant la traversée leur caractère militaire. Le contrat d'affrètement avait été soustrait ou lacéré; mais de l'examen des faits, il résulta jusqu'à

Gessner, pp. 100 et seq.; Ortolan, Régles, t. II, pp. 234 et seq.; Bluntschli, § 815; Heffter, 157; Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 173 et seq.; Jouffroy, p. 136; Phillimore, Com., v. III, § 272; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. 1, § 25; Duer, v. I, lect. 4, §§ 55-58; Halleck, ch. xxvi, §17; Dana, Elem. by Wheaton, note 228; Pratt, Law of contraband, p. Ix; Bluntschli, § 818; Diaz Covarrubias, Bluntschli, § 831; Perels, Droit maritime, p. 286; Boeck, § 662; Hall, International law, p. 595; Testa, p. 210.

Le navire

Friendship.

L'Orosembo.

Affaire du Cagliari.

l'évidence que le navire ne pouvait pas prendre d'autre chargement, que le gouvernement français avait payé le fret et que l'opération pouvait être assimilée à un mouvement effectué par la marine française d'un port des Etats-Unis à un port de France. Le navire fut cn conséquence déclaré de bonne prise.

§ 2799. Un autre navire appartenant également aux Etats-Unis, l'Orosembo, partit de Rotterdam à destination de Lisbonne, où il reçut à son bord trois officiers supérieurs hollandais, qu'il se chargea de conduire à Batavia, quoique ostensiblement il fût destiné pour Macao. La charte partie qui fut produite devant le tribunal stipulait que le capitaine recevrait 5,000 francs par mois pour le transport exclusif d'un nombre indéterminé de passagers. Ce contrat spécifiait bien qu'il avait été passé avec un sujet portugais résidant à Lisbonne ; mais Sir W. Scott fut d'avis que le véritable contrat avait été fait avec le gouvernement hollandais pendant le séjour du navire à Rotterdam, et qu'il avait pour objet de transporter des militaires dans une colonie éloignée de la métropole. Quant au nombre des passagers trouvés à bord, ce juge le considéra comme indifférent et dit que l'on pouvait supposer que le gouvernement hollandais s'était réservé de fixer le nombre des passagers qu'il lui conviendrait de faire embarquer; d'autre part, que c'était pour faciliter son opération que le bâtiment naviguait avec de fausses pièces de bord. Le principe qui attribue le caractère ennemi au navire neutre employé comme transport par les belligérants n'admet aucune exception; et en mentionnant la présence sur l'Orosembo de deux employés hollandais de l'ordre civil, Sir W. Scott s'exprima en ces termes : « Je ne vois pas qu'il y ait nécessité de décider si le principe dont il s'agit scrait applicable même dans le cas où tous les passagers seraient simplement des fonctionnaires civils; mais mon opinion personnelle penche pour l'affirmative *. »

§ 2800. Au mois de juillet 1857, le bateau à vapeur sarde le Cagliari sortit du port de Gênes à destination de Tunis avec vingt et un passagers. A peine le navire eut-il atteint la pleine mer, ceux-ci se révoltèrent, s'emparèrent du navire et se dirigèrent sur une île napolitaine, où ils trouvèrent quelques prisonniers politiques, qu'ils mirent aussitôt en liberté. Ayant ensuite fait mettre. le cap sur l'entrée du golfe de Naples, ils s'y firent débarquer, dans

Duer, v. I, lect. 4, § 58; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. 1, § 25; Dana, Elem. by Wheaton, note 228; Phillimore, Com., v. III, § 272; Halleck, ch. XXVI, § 17.

l'intention de provoquer une révolution dans le pays. Le capitaine s'éloigna ensuite de la côte et reprit son voyage interrompu; mais, pendant la traversée, il fut saisi par un corsaire napolitain et traduit devant une Cour de prises, qui ordonna la confiscation du Cagliari. Le capitaine et les hommes de l'équipage, parmi lesquels se trouvaient deux mécaniciens anglais, Watt et Park, furent retenus comme prisonniers de guerre.

Le gouvernement sarde ne perdit pas un instant pour réclamer la relaxation du navire et de son équipage, en se fondant sur cc que le capitaine avait agi sous le coup d'une force majeure et dans l'ignorance du caractère et des intentions des passagers qu'il conduisait, jusqu'au moment où ils s'étaient soulevés contre son autorité. Il faisait valoir en outre qu'au moment de sa capture le Cagliari se dirigeait réellement vers son port de destination. Malgré la force et la justesse incontestables de ces raisons, le gouvernement napolitain refusa d'accéder à la demande du cabinet de Turin. Le comte de Cavour eut alors l'idée d'en appeler à l'opinion des jurisconsultes anglais Twiss et Phillimore. Ceux-ci constatèrent que le Cagliari naviguait sous le pavillon sarde et était muni de papiers de mer réguliers; qu'au moment où il avait été capturé il se dirigeait vers Tunis, son port de destination; qu'à cette époque le gouvernement de la Sardaigne et celui de Naples étaient mutuellement en paix. De l'ensemble de ces faits, ils déduisirent que la capture du navire n'avait pu avoir lieu par l'exercice normal des droits inhérents à un belligérant, mais uniquement en vertu de la loi politique du pays; et ils conclurent que tout ce que pouvait faire le gouvernement napolitain, c'était de mettre le cabinet sarde en demeure d'agir comme dans les cas où le coupable s'est soustrait à l'action de la justice de l'offensé. Les grandes puissances européennes, qui avaient été invitées en même temps à examiner l'affaire, furent d'avis qu'il y avait licu de la soumettre à un arbitrage, selon le vœu général formulé par le congrès de Paris en 1856 en matière de conflits internationaux.

L'emprisonnement des mécaniciens anglais du Cagliari, qui durait depuis dix mois déjà, dans des circonstances nuisibles à leur santé, poussa le cabinet de Londres à insister vivement auprès du gouvernement napolitain pour obtenir leur mise en liberté immédiate. Le roi Ferdinand accéda à cette demande, en déclarant toutefois qu'il n'agissait que par humanité envers les prisonniers et par déférence pour la reine Victoria, mais non par conviction que la réclamation du gouvernement anglais était fondée; inébranlable d'ailleurs dans

Transport

de depèches.

sa ligne de conduite, il refusa formellement de restituer le Cagliari et d'accepter l'arbitrage proposé.

Lord Malmesbury, alors ministre des affaires étrangères en Angleterre, revint à la charge et engagea vivement les ministres napolitains à mettre à profit dans le plus bref délai possible le moyen de conciliation qui leur était offert; il faisait valoir, entre autres raisons, que s'y refuser plus longtemps constituerait, dans l'opinion des jurisconsultes les plus éminents, une infraction à la loi des nations; et il ajoutait que, suivant lui, le gouvernement napolitain était moralement tenu de mettre en liberté sous caution les hommes de l'équipage du Cagliari.

Cette intervention de l'Angleterre fut enfin couronnée de succès : le navire et l'équipage furent remis, sans que le gouvernemen sarde eût à intervenir, au consul anglais à Naples, qui fit conduire le Cagliari à Gênes, pour être livré aux autorités locales par les soins du consul anglais résidant dans ce port.

Malgré cette restitution, la procédure suivit son cours devant les tribunaux de prises napolitains, qui décidèrent en définitive que le Cagliari avait été employé à des actes de guerre et de piraterie ; que ces actes avaient été commis sciemment par le capitaine et son équipage; qu'en conséquence le navire s'était mis dans le cas d'être capturé et confisqué, en même temps que les propriétaires devaient être condamnés aux frais et aux dépens *.

§ 2801. On range aussi parmi les objets de contrebande de guerre les dépêches adressées aux belligérants et relatives à la guerre. Le transport de plis officiels pour le compte de l'ennemi peut avoir les consequences les plus funestes. Une seule dépêche en effet ne suffit-elle pas pour développer tout un plan de campagne ou pour donner un avis de nature à neutraliser et à renverser les projets de l'adversaire ? Mais, pour que la confiscation puisse equitablement être prononcée, il ne suffit pas que les dépêches ennemies soient trouvées à bord; il faut encore que leur transport constitue réellement un acte hostile, et pour cela 1° que la dépêche soit relative à la guerre; 2° que le navire ait été expressément affrete dans ce but.

Les depêches qui n'ont pas trait à la guerre, les dépêches et les lettres privees peuvent être expédiées par les navires neutres. L'usage a établi une exception particulière en faveur des correspondances ayant un caractère purement diplomatique, des depêches

Dana, Elem. by Wheaton, note 240.

des agents d'une puissance belligérante au gouvernement de cette puissance les intérêts et les droits des neutres exigent que leurs relations diplomatiques et consulaires avec les belligérants ne soient interrompues ni altérées par la guerre.

§ 2802. Dans l'espèce de l'Atalanta, saisi au moment où il L'Atalanta. transportait des dépêches entre une colonie française et la métropole, le tribunal n'hésita pas à prononcer la validité de la prise, en lui appliquant la règle de droit qui rend le mandataire responsable des actes de son mandant. Par contre, les propriétaires de la cargaison échappent à toute poursuite, à toute responsabilité comme à toute pénalité, à moins qu'il ne soit établi qu'ils étaient de connivence avec le capitaine, ou que le navire et le chargement appartiennent à une seule personne.

§ 2803. Le navire des Etats-Unis Madison était parti de Dieppe, Le Madison. réputé port ennemi, à destination de Baltimore. Il fut capturé parce qu'il avait à son bord des dépêches adressées par le cabinet de Copenhague au consul général de Danemark à New-York. Le jugement prononça la relaxation du navire, en se fondant sur ce que les dépêches de ce genre jouissent des privilèges accordés à la correspondance diplomatique.

§ 2804. Le trois-mâts américain Hope fut capturé pendant sa traversée de New-York à Bordeaux, ayant à son bord un officier français embarqué en qualité de secrétaire d'un négociant, mais. chargé en réalité de porter des dépêches officielles expédiées par les autorités des Indes Orientales et de l'Ile de France et cachées à fond de cale. La Cour d'amirauté condamna le capitaine et déclara la validité de la prise, en faisant ressortir la fréquence des délits de ce genre.

Le Hope.

§ 2805. Citons maintenant quelques espèces dans lesquelles la La Caroline. capture a été invalidée :

Dans l'affaire de la Caroline, la Cour d'amirauté anglaise ordonna la restitution du navire et de la cargaison, parce qu'il fut reconnu que les dépêches interceptées appartenaient au ministre d'une puissance amie accréditée auprès de la cour du neutre. Le juge Sir W. Scott motiva sa sentence en ces termes : « Le pays neutre a le droit de conserver ses relations avec l'ennemi, et vous n'êtes pas libre de conclure que toute communication entre eux participe en quelque sorte de la nature d'hostilité contre vous. Le caractère dont est revêtue la personne par l'entremise de laquelle passent ces communications offre d'ailleurs une garantie particulière. Il ne s'agit pas de l'agent direct de l'adversaire, mais bien

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