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Vattel adopte l'ensemble de cette énumération, en en exceptant les vivres, dont il n'admet la prohibition que dans le cas où il n'y a pas d'autre moyen de réduire l'ennemi.

Valin, se guidant d'après l'ordonnance de la marine de 1681, classe parmi la contrebande les armes, les munitions et les équipements militaires; il rappelle que dans la guerre de 1700 la France ajouta le goudron à ces articles, en juste représaille de la conduite observée par ses ennemis.

Si les publicistes modernes n'offrent pas dans leurs écrits une plus grande uniformité sur cette matière, ils ont en revanche l'avantage d'avoir discuté la question avec plus d'ampleur, non seulement dans ses rapports avec les belligérants, mais encore aut point de vue des intérêts des neutres.

Pour cette question spéciale, Cocceius marque, on peut le dire, la ligne de séparation entre les auteurs anciens et les modernes. Faisant vivement ressortir les contradictions dans lesquelles ses prédécesseurs sont tombés, il soutient que le droit international ne pose pas de limites au commerce des neutres et il arrive ainsi à nier d'une manière absolue que la notion de la contrebande de guerre soit du ressort de la loi des nations. Sans contester que le belligérant puisse prohiber l'entrée de vivres ou de munitions dans des ports bloqués, il faut bien reconnaître qu'il n'existe pas de corrélation directe et nécessaire entre cette prohibition et le point en discussion, l'une et l'autre ayant pour base des principes distincts.

Vattel.

Valin,

Coreeins,

Sc plaçant à cet égard au même point de vue, Lampredi Lamprodi, dit que le souverain neutre a scul qualité pour restreindre le commerce de ses sujets, mais que, par contre, les Etats belligérants ont, de leur côté, en vertu du droit de légitime défense, la faculté de mettre obstacle à tout ce qui peut faciliter à leur adversaire le moyen de poursuivre la Intte; c'est au moyen de stipulations conventionnelles qu'on doit fixer les limites vraies dans lesquelles on entend que continuent les transactions commerciales avec l'ennemi.

Galiani prétend faire dériver d'un principe d'équité la notion. de la contrebande de guerre. « Ce n'est jamais, dit-il, un devoir rigoureux pour les neutres de s'abstenir de procurer des armes et des munitions aux autres à moins qu'ils ne s'y soient formellement engagés par un traité. Ainsi, lorsqu'une nation renonce aux avantages de son commerce en faveur d'une autre, c'est toujours par principe d'équité, mais non par l'effet d'une obligation.

Galiani,

Jouffroy.

Wheaton.

Ortolan.

indispensable. En tout cas, les belligérants sont tenus, au début de la guerre, de notifier aux neutres qu'ils désirent que certaines marchandises ne soient pas fournies à leurs ennemis. Cette notification une fois faite, les neutres sont, dans la règle, obligés de l'observer; ils en sont dispensés toutefois lorsque les articles prohibés sont au nombre des produits principaux de leur pays. Lorsque la fourniture d'une certaine marchandise, par exemple de soufre, de salpêtre, de fer, de bois de construction, constitue un des revenus principaux d'une nation neutre, le commerce de cet article ne peut lui être interdit. >>

Ainsi Galiani, en dernière analyse, aboutit aux mêmes conclusions que son compatriote Lampredi, c'est-à-dire à une théorie de contrebande purement conventionnelle, qui, du reste, ne paraît pas avoir été sanctionnée par la pratique générale des Etats modernes.

Jouffroy, après avoir établi comme règle pratique qu'on doit comprendre dans le commerce illicite tous les articles absolument indispensables à l'attaque ou à la défense, les divise en six catégories 1° armes de toute espèce; 2° effets nécessaires à l'usage de la guerre; 3° vêtements des troupes; 4° navires de guerre construits et armés dans des ports neutres pour le service d'un belligérant; 5° munitions navales destinées à la construction, à l'équipement et à la réparation des navires; 6° comestibles constituant l'alimentation habituelle des équipages, et bêtes de somme destinées aux ports ou aux arsenaux de la marine militaire.

Wheaton n'a guère fait que s'approprier les idées générales émises par Sir W. Scott, en constatant la difficulté qu'il y a de formuler en cette matière un principe absolu propre à concilier les opinions divergentes des auteurs avec les règles consacrées soit par les tribunaux de prises, soit par les stipulations conventionnelles. Au milieu des hésitations qui marquent l'expression de sa pensée, on devine pourtant chez Wheaton une tendance à exclure des articles confiscables les vivres et les articles susceptibles d'être utilisés en temps de guerre comme en temps de paix.

Ortolan pense que les armes et les instruments militaires, ainsi que les munitions indispensables pour faire la guerre, sont les seuls objets qui puissent être considérés comme contrebande de guerre, mais tout ce que peut faire le belligérant quant aux objets qui ont une application double, c'est de les assimiler aux précédents dans les circonstances douteuses, c'est-à-dire quand

ils ont réellement un caractère suspect. En ce qui concerne les vivres et les autres articles de première nécessité, il n'admet pas qu'en dehors des cas de blocus on en frappe le trafic de gênes ou de prohibitions, parce qu'il leur attribue, non sans raison, un caractère intrinsèquement inoffensif. Du reste, dans un sentiment qui fait honneur à sa loyauté et à sa bonne foi, Ortolan convient en terminant que la nature des articles compris dans le premier groupe de sa classification peut varier à raison des progrès qui s'opèrent chaque jour dans l'art militaire et dans les constructions navales. Hautefeuille admet également que la matière ne comporte Hantefeuille. pas de règle absolue. « Je crois, dit-il, pouvoir poser comme principe que la restriction apportée par la guerre à la liberté absolue du commerce ncutre en ce qui concerne les objets compris sous le nom de contrebande de guerre est un devoir imposé aux peuples pacifiques par la loi primitive et non un droit du belligérant, un droit né de la guerre et de la nécessité de sa propre conservation; que par conséquent le belligérant, n'ayant aucun droit positif à exercer, ne peut jamais chercher à rendre la restriction plus onéreuse aux nations neutres; qu'il ne peut ranger dans la classe des objets prohibés telle ou telle denréc dont il veut priver son ennemi, en un mot élargir ou rétrécir le cercle de la restriction. Le seul droit que possède le belligérant contre le neutre qui n'accomplit pas ce devoir, c'est de lui déclarer la guerre, de le regarder comme un ennemi et de le traiter comme tel. » Mais lorsqu'il se place sur le terrain de la pratique, Hautefeuille est forcé de reconnaître que les circonstances peuvent faire attribuer un caractère hostile à certaines branches du commerce des neutres.

D'après cette manière d'apprécier la question, il arrive à la conclusion que toutes les denrées placées par Grotius dans la troisième classe, c'est-à-dire celui d'un usage douteux (usus ancipitis), qui ont par conséquent une utilité dans la paix et dans la guerre, ne peuvent dans aucun cas être considérées comme contrebande. La prohibition ne peut frapper que sur les armes et les munitions. de guerre actuellement fabriquées, propres immédiatement, et sans subir aucune préparation, aucune transformation par l'industrie humaine, à être employées aux usages de la guerre, uniquement destinées à ces usages et ne pouvant recevoir aucune autre destination. » Il présente comme modèle l'énumération contenue dans le traité du 6 février 1778 entre la France et les États-Unis, en en retranchant seulement les chevaux et le salpêtre. Sous le nom de contrebande ou de marchandises prohibées doivent être compris

Phillimore.

Dana,

Pinheiro Ferreira.

les armes, les canons, les bombes avec leurs fusées et autres choses y relatives, les boulets, la poudre à tirer, les mèches, les piques, les épées, les lances, les dards, les hallebardes, les mortiers, les pétards, les grenades, les fusils, les balles, les boucliers, les casques, les cuirasses, les cottes de maille et autres objets de cette espèce propres à armer les soldats, les porte-mousqueton, les baudriers et tous autres instruments de guerre quelconques. Presque tous les traités conclus récemment par la France et ceux que les États-Unis ont signés avec les autres États de l'Amérique reproduisent exactement la même énumération et se terminent par cette phrase, qui peut être regardée comme le résumé de la doctrine énoncéc: « Et généralement toute espèce d'armes et d'instruments en fer, acier, bronze, cuivre ou autres matières quelconques, manufacturés, préparés et fabriqués expressément pour faire la guerre

sur mer ou sur terre ».

Les publicistes anglais ont généralement fait reposer la notion de la contrebande de guerre sur les devoirs inhérents à la neutralité. Phillimore, par exemple, s'appuyant sur la sentence d'un tribunal des États-Unis contre un navire espagnol, soutient que les matériaux propres aux constructions navales ont le caractère distinctif des articles de contrebande. Il avoue pourtant qu'en étudiant la question d'après la teneur des traités publics, il n'est pas possible d'arriver à une solution précise. « La même nation, dit-il, qui dans un traité leur attribue ce caractère les en exempte dans un autre. » En définitive, se plaçant au point de vue anglais, il penche pour la doctrine américaine et met sur la même ligne les chevaux et la houille, qu'il rend confiscables en raison soit de leur quantité, soit de leur destination.

Dana, dans ses commentaires sur les Éléments du droit international de Wheaton, a surtout envisagé cette question au point de vue pratique : ainsi, après avoir exprimé son adhésion au principe qu'il est juste de limiter dans une certaine mesure les transactions commerciales entre belligérants et neutres, il fait ressortir les difficultés qui se présentent pour définir avec précision les objets sur lesquels les restrictions peuvent porter.

Pinheiro Ferreira fait observer qu'en général on ne saurait qualifier de contrebande de guerre que les objets exclusivement employés dans l'art de la guerre, mais qu'il est loisible à toute puissance belligérante de déclarer tels ceux dont elle est sûre que la privation amènera l'ennemi à faire la paix, ou ceux dont elle a les moyens de lui couper l'approvisionnement. Du moment que l'une

de ces deux conditions manque, il serait absurde de prétendre que
les nations neutres doivent s'abstenir d'en faire le commerce avec
l'ennemi; mais toutes les fois que les deux conditions se trouvent
réunies, on ne saurait contester au belligérant qui peut les invo-
quer en sa faveur le droit d'empêcher qu'on procure à son ennemi
des articles hostiles à ses intérêts. Ainsi, si ces objets rencontrés
par
les forces de l'un des belligérants appartiennent à l'autre et
sont de nature à lui fournir les moyens d'alimenter la guerre, il est
évident que le premier de ces belligérants a le droit de s'en emparer.
Cependant, si ces objets, destinés même à l'usage de l'ennemi,
appartiennent soit à des nations neutres, soit à des nationaux de
l'autre belligérant, on peut les empêcher d'arriver à leur destina-
tion, mais non les saisir; car, dans ce dernier cas, ce serait appli-
quer une punition là où il n'y a pas de délit *.

A. Desjardins admet la division en deux classes, établie par A. Desjardins. Heffter, des marchandises qui peuvent être réputées articles de contrebande, la première comprenant les objets qui servent exclusivement à la guerre; la seconde, ceux qui, servant à la guerre, peuvent aussi servir à la paix.

Dans la première classe, A. Desjardins fait rentrer, outre les armes et les munitions de guerre, « tous les articles de pyrotechnie militaire, même le soufre et le salpêtre qu'il suffit de combiner pour en faire des munitions,» ainsi que tous les objets confectionnés de campement, d'équipement et de harnachement mili

taire.

Quant aux objets appartenant à la seconde classe, pour qu'on puisse les regarder comme articles de contrebande, il faut avant tout qu'ils s'approprient à un usage spécial et tout militaire.

Contrairement à l'opinion de Grotius et des anciens publicistes, A. Desjardins excepte de cette catégorie les objets qui sont néces

* Gentilis, De jure belli, lib. I, cap. xxI; Grotius, Le droit, liv. III, ch. 1, § 5; Bynkershoek, Quæst., lib. I, cap. x; Heineccius, De navibus, cap. 1, § 14; Vattel, Le droit, liv. III, ch. vii, § 112; Valin, Traité, ch. v, sect. 6, § 1-3; Cocceius, De jure belli, § 6; Lampredi, Du commerce, t. I, ch. 1, § 4; Jouffroy, pp. 114, 133-139; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. III, § 24; Ortolan, Règles, t. II, liv. III, ch. vi, pp. 182 et seq. Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 71 et seq., 81 et seq.; Phillimore, Com., v. III, pte. 10, ch. 1; Dana, Elem. by Wheaton, note 226; Gessner, pp. 72 et seq.; Halleck, ch. XXIV, §§ 14, 15; Pradier-Fodéré, Vattel, t. II, pp. 458-461; Martens, Précis, t. II, p. 331; Boeck, Propriété privée ennemie, § 656; Desjardins, Les derniers progrès du Droit international, Revue des Deux-Mondes, 15 janvier 1882, p. 350; Nys, La guerre maritime, pp. 35-49; et Rolin, Rapport à l'Institut de Droit int. Revue de Droit int., 1875, p. 603.

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