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M Seward à

§ 2815. Dans la réponse qu'il adressa à Lord Lyons le 18 dé- Réponse de cembre 1861, M. Seward après avoir déclaré que « le gouvernement Lord Lyons. anglais avait raison de supposer que le capitaine Wilkes avait agi d'après l'idée personnelle qu'il se faisait de son devoir, sans autres ordres ou instructions, sans même que le gouvernement eût connaissance de sa conduite », et après avoir rectifié quelques-uns des faits allégués, aborde le fond même de la question. « Au moment, dit-il, où l'événement a eu licu, il existait aux États-Unis une insurrection que notre gouvernement était occupé à comprimer en employant ses forces de terre et de mer. Relativement à cette lutte intérieure, les États-Unis considéraient la Grande-Bretagne comme une puissance amie, tandis qu'elle a pris l'attitude d'une puissance neutre; enfin l'Espagne était considérée sous le même point de vue et avait pris la même attitude que la Grande-Bretagne. Il a été réglé par correspondance que les Etats-Unis et la GrandeBretagne ont reconnu comme étant applicables à cette lutte intestine ces deux articles de la déclaration du congrès de Paris de 1856, savoir que le pavillon neutre ou ami couvre les marchandises de l'ennemi qui ne constituent pas la contrebande de guerre, et que les marchandises, à l'exception de la contrebande de guerre, ne sont pas sujettes à la confiscation sous pavillon ennemi. »>

Tel était le point de départ adopté par M. Seward dans son argumentation pour élucider les questions suivantes :

1° Les personnes arrêtées et les dépêches supposécs étaient-elles de la contrebande de guerre?

2o Le capitaine Wilkes pouvait-il légalement arrêter et visiter le Trent dans le but de découvrir ces personnes formant contrebande et ces dépêches?

3o A-t-il exercé ce droit d'une manière légale et convenable? 4 Ayant trouvé à bord du navire les personnes constituant contrebande en possession de dépêches constituant également de la contrebande, avait-il le droit de capturer les personnes?

5° A-t-il exercé ce droit de capture d'une manière permise et réglée par la loi des nations?

M. Seward se prévaut d'abord de l'opinion de Vattel et de Sir W. Scott, qui pensent que l'ambassadeur ennemi peut être détenu in transitu, pour soutenir que les quatre personnes arrêtées et les dépêches dont on les soupçonnait porteurs constituaient de la contrebande de guerre; il prétend ensuite que le capitaine du San Jacinto était pleinement autorisé par le droit international à agir comme il l'avait fait, et que la circonstance que le Trent était parti

Argumenta tion de M Seward.

Principes généraux sur la matière.

d'un port neutre à destination d'un autre port neutre n'était pas un motif suffisant pour empêcher la visite. A ce propos, il faisait d'ailleurs remarquer et prouvait que l'acte avait été consommé avec toute la modération voulue en pareil cas. Restait à résoudre la question de savoir si le capitaine Wilkes avait exercé le droit de capture conformément aux dispositions en vigueur.

« C'est ici, disait M. Seward, que commencent les difficultés. De quelle manière la loi des nations prescrit-elle de disposer de la contrebande trouvée et saisie à bord d'un vaisseau neutre? La réponse serait facilement trouvée, si la question était : Que faut-il faire du vaisseau de contrebande? Il faut le prendre et l'envoyer dans un port convenable, et l'y soumettre à une poursuite judiciaire devant un tribunal d'amirauté, qui examinera et décidera les questions de guerre, de neutralité, de contrebande et de capture. De même on trouverait promptement la même réponse, si la question était : De quelle manière la loi des nations prescrit-elle de procéder à l'égard de la contrebande lorsqu'elle consiste en propriétés, en autres objets ou en valeurs numéraires? Mais ici la question concerne le mode de procédure relativement non pas au vaisseau qui transportait la contrebande, ni aux choses de contrebande qui rendaient le navire passible de la confiscation, mais aux personnes constituant contrebande.

« Les ouvrages de droit sont muets; la question est cependant aussi importante qu'elle est difficile. D'abord le belligérant qui capture a le droit d'empêcher l'officier, le soldat, le matelot, le ministre, le messager ou le courrier de continuer son voyage illégal et d'atteindre le but de sa mission; d'un autre côté, la personne capturée peut être innocente, c'est-à-dire il se peut qu'elle ne soit pas de la contrebande; elle a pour cela droit à un jugement équitable de l'accusation portée contre elle. L'Etat neutre qui l'a prise sous son pavillon est obligé de la protéger, si elle n'est pas de la contrebande, et il a droit de demander d'être satisfait sur cette importante question. Cet Etat est tenu d'assurer sa sûreté, si elle est innocente, comme il est tenu de l'abandonner, si elle constitue réellement de la contrebande. Il y a ici en présence des réclamations diverses comprenant les questions de liberté personnelle, de vie, d'honneur, de devoir. Ici il y a en présence des réclamations nationales diverses comprenant des questions de bien-être, de sûreté, d'honneur et d'empire. Elles requièrent un tribunal et un jugement. Ceux qui ont capturé et ceux qui ont été capturés sont égaux; les Etats neutres et les Etats helligérants sont égaux.

« Comme les dispositions légales ne tranchaient pas ces questions, notre gouvernement a proposé au début de conduire les personnes capturées dans un port convenable et d'y instituer un tribunal pour vider la controverse. Mais les Cours d'amirauté ont seules juridiction dans des procès maritimes, et ces Cours n'ont de règlement que pour résoudre les réclamations en matière de contrebande ordinaire, mais non pour juger les réclamations concernant les personnes qui sont de la contrebande. Ces Cours ne peuvent rendre aucun jugement ni pour ni contre les personnes constituant de la contrebande. On peut obtenir dans ces Cours une décision qui aura un poids moral et qui sera aussi importante que celle d'une Cour judiciaire, en employant des voies détournées. On peut amencr les hommes suspects et les vaisseaux suspects dans un port, et la question de savoir si le vaisseau constitue de la contrebande y scra jugée. On le prouvera en démontrant que les hommes suspects sont de la contrebande, et la Cour devra alors décider que le vaisseau constitue également de la contrebande...

Application

de ces prin

en question,

« Dans l'affaire en question, le capitaine Wilkes, après s'être emparé du personnel de contrebande et avoir opéré la prise du cipes au Trent d'une manière parfaitement légale, à ce qu'il nous semble, au lieu de conduire sa capture au port, l'a relâchée et lui a permis de continuer son voyage avec toute sa cargaison. En agissant ainsi il a mis obstacle à l'information qui aurait pu avoir licu dans le cas contraire. Maintenant, si la prise du personnel de contrebande et la prise du navire en contrebande doivent être regardées non comme deux actes distincts et séparés, justifiables en vertu du droit des nations, mais comme un seul et même acte, il s'ensuit que la prise n'a pas été consommée ou qu'elle a été abandonnée. Quant à décider si les Etats-Unis ont le droit de s'approprier l'avantage principal de la prisc, c'est-à-dire la garde des personnes prisonnières, en administrant la preuve qu'elles sont de la contrebande, cela dépend de la question préalable de savoir si l'acte d'avoir laissé l'opération inachevée était un acte nécessaire, ou s'il était facultatif et par conséquent volontaire. S'il était nécessaire, l'Angleterre, nous le supposons, doit naturellement cesser d'insister sur l'abandon du navire et sur l'absence d'instruction légale, qui en est la conséquence. D'un autre côté, on ne voit pas comment les EtatsUnis pourraient insister sur cette instruction, si l'abandon de la prise a été le résultat d'un acte du capitaine Wilkes, qui serait une faute de leur part même. Le capitaine Wilkes a exposé au gouvernement les raisons qui l'ont porté à relâcher le Trent : « J'ai renoncé à

cas

Conclusion

de cette argu.

la saisie, dit-il, à cause du nombre réduit de mes officiers et de mon équipage, et des dérangements que cet acte aurait causés à des personnes inoffensives, à un grand nombre de passagers qui auraient été exposés à beaucoup d'inconvénients et de pertes... La question est de savoir non pas si la conduite du capitaine Wilkes peut être justifiée, mais bien quelle est actuellement la manière dont le gouvernement envisage les effets de sa conduite. Admettant donc, seulement par forme de raisonnement, que la relaxation du Trent, si elle a été volontaire, impliquait l'abandon du droit qu'avait le gouvernement de retenir les prisonniers, les Etats-Unis pourraient, dans ce cas, dire sans hésitation que l'acte déjà ainsi approuvé par le gouvernement doit être regardé comme devant être suivi de ses conséquences légales. Ceci nous amène directement à la question de savoir si nous sommes autorisés à regarder la relaxation du Trent comme un fait involontaire, ou si nous sommes dans l'obligation de la considérer comme volontaire. L'acte d'abandon aurait été involontaire, s'il avait eu lieu uniquement d'après le premier motif assigné par le capitaine Wilkes, savoir le manque d'une force suffisante pour conduire le bâtiment saisi dans un port où l'adjudication eût été opérée. Ce n'est pas un devoir pour un capteur de regarder la sûreté de son propre bâtiment pour assurer aux capturés une information légale sur le fait... Mais la seconde raison alléguée par le capitaine Wilkes pour avoir relâché le Trent diffère de la première. Donc, en mettant tout au mieux, il faut admettre, comme il l'explique lui-même, que le capitaine Wilkes a agi sous l'influence de sentiments combinés de prudence et de générosité, et que de la sorte la relaxation du Trent n'était strictement ni nécessaire ni involontaire...

« J'espère avoir démontré à la satisfaction du gouvernement mentation. anglais, par la [simple exposition des faits et par l'analyse des dispositions légales qui s'y rapportent, que le gouvernement américain n'a ni prémédité, ni commis, ni approuvé aucune offense volontaire dans toute l'affaire sur laquelle il vient d'appeler son attention. Tout au contraire, ce qui est arrivé n'a été autre chose que l'effet d'une inadvertance par laquelle l'officier de marine s'est départi sans aucun motif hostile d'un règlement mal défini et sans doute imparfaitement connu ou tout à fait inconnu aux parties intéressées dans l'affaire. Cette méprise met le gouvernement anglais en droit d'attendre de notre part la même réparation que nousmêmes, en qualité d'Etat indépendant, nous attendrions de la Grande_ Bretagne ou de toute autre nation amic dans un cas semblable. Je

ne me suis pas dissimulé qu'en examinant la question à ce point de vue je puis paraître abonder dans le sens anglais contre mon pays; mais je n'éprouve aucun embarras à cet égard. Je n'avais pas plus tôt abordé cet ordre d'idées que je découvris que ce que je voulais défendre et maintenir, ce n'était pas un intérêt exclusivement anglais, mais une cause dès longtemps honorée et défendue par l'Amérique, et cela en me fondant non sur des autorités anglaises, mais sur des principes qui constituent en grande partie la politique distincte à l'aide de laquelle les États-Unis ont développé les ressources de tout un continent, pris le rang d'une puissance maritime considérable et acquis le respect et la confiance de plus d'une nation. Ces principes nous ont été tracés par James Madison en 1804, lorsqu'il était secrétaire d'État sous Jefferson et qu'il les donnait pour instructions à James Monroe, notre ministre en Angleterre « Toutes les fois, dit-il, qu'une propriété trouvée sur un bâtiment neutre est, pour une cause quelconque, supposée de nature à être saisie, la règle pour tous les cas est que l'affaire ne peut être décidée par le capteur, mais doit être déférée à un tribunal compétent, là où l'on peut trouver un tel tribunal, après une procédure régulière, par suite de laquelle le capteur lui-même pourra être passible de dommages et intérêts, s'il vient à être établi qu'il y a eu abus de pouvoir de sa part. »

Après cette déclaration de principes, le secrétaire d'État de Washington déclara que pour décider la question en faveur de son propre gouvernement il lui faudrait désapprouver ses principes les plus chers et abandonner pour toujours sa politique essentielle : sacrifice que le pays ne pouvait faire; que, d'un autre côté, la sûreté de l'Union et le peu d'importance relative des personnes arrêtées n'exigeaient pas la prolongation de leur détention; qu'en conséquence MM. Mason, Slidell et leurs secrétaires seraient mis en liberté dès que le ministre d'Angleterre aurait indiqué le temps et le lieu où il désirait les recevoir.

§ 2816. En réponse à cette note, Lord Russell fit savoir à Lord Lyons, le 10 janvier 1862, que le gouvernement de la reine avait examiné très attentivement la question de savoir si les déclarations de M. Seward étaient de nature à satisfaire aux réclamations élevées par l'Angleterre, et que du moment que, malgré ses observations et ses réserves, le gouvernement des États-Unis consentait à mettre en liberté MM. Mason, Slidell, Eustis et Mac Farland, en reconnaissant que le capitaine Wilkes avait agi sous sa propre responsabilité, le gouvernement britannique se contentait de cette

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