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AFFAIRE DU CANAL DE SUEZ

M. DE LESSEPS AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. (Extrait.) Paris, le 22 mars 1872.

Monsieur le ministre, j'ai l'honneur de transmettre à Votre Excellence, sous ce pli, une copie de la décision prise par le conseil d'administration de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, dans sa séance du 4 mars 1872, et qui détermine le mode de perception des droits de transit qui sera appliqué, à dater du 1er juillet prochain, aux navires passant par le canal de Suez.

Veuillez agréer, etc.

Signé : CH. AIMÉ DE LESSEPS.

ANNEXE

(Extrait).

Le conseil d'administration de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez,

Vu les articles 14 et 17 de l'acte de concession du 5 janvier 1856,

ainsi conçus :

Art. 14. Nous déclarons solennellement, pour nous et nos successeurs, sous la réserve de la ratification par S. M. I. le Sultan, le grand canal maritime de Suez à Peluse et les ports en dépendant ouverts à toujours, comme passages neutres, à tout navire de commerce traversant d'une mer à l'autre, sans aucune distinction, exclusion ni préférence de personnes ou de nationalités, moyennant le payement des droits et l'exécution des règlements établis par la Compagnie universelle concessionnaire pour l'usage dudit canal et dépendances. Art. 17. Pour indemniser la Compagnie des dépenses de construction, d'entretien et d'exploitation qui sont mises à sa charge par les présentes, nous l'autorisons dès à présent, et pendant toute la

durée de sa jouissance, telle qu'elle est déterminée par les paragraphes 1er et 3 de l'article précédent, à établir et percevoir, pour le passage dans les canaux et les ports en dépendant, des droits de navigation, de pilotage, de remorquage, de halage ou de stationnement, suivant des tarifs qu'elle pourra modifier à toute époque, sous la condition expresse :

1° De percevoir ces droits, sans aucune exception ni faveur, sur tous les navires dans des conditions identiques;

2o De publier les tarifs, trois mois avant la mise en vigueur, dans les capitales et les principaux ports de commerce des pays intéressés;

3° De ne pas excéder, pour le droit spécial de navigation, le chiffre maximum de 10 francs par tonneau de capacité des navires et par tête de passager;

Décide :

1o A partir du 1er juillet 1872, la Compagnie universelle du canal maritime de Suez percevra le droit spécial de navigation de 10 francs par tonne sur la capacité réelle des navires.

2o Le gros tonnage, ou tonnage brut, inscrit sur les papiers de bord des navires jaugés d'après la méthode anglaise actuellement en usage servira de base à cette perception.

3o Les navires de toutes nations dont les papiers de bord n'indiqueront pas ce tonnage établi d'après la méthode ci-dessus, y seront ramenés au moyen du barême le plus récent de la Commission internationale du Bas-Danube, rectifié ou complété au besoin.

4o Les bâtiments qui n'auraient pas de papiers de bord, ou n'en auraient que d'incomplets, seront jaugés par les agents de la Compagnie d'après la règle actuellement en usage en Angleterre pour mesurer les navires chargés.

5° Tous les espaces couverts à demeure ou provisoirement, qui ne seraient pas compris dans le tonnage officiel du navire, seront jaugés par les agents de la compagnie suivant la règle actuel– lement en usage en Angleterre. Le tonnage obtenu sera soumis à la taxe.

6o Les bâtiments d'État seront traités, pour la perception des droits dus à la compagnie, conformément aux règles appliquées aux navires de commerce.

Tout en adoptant comme base de la perception de ses droits, le tonnage résultant du mode de mesurage d'après la méthode indiquée, la Compagnie du canal maritime de Suez ne renonce pas, pour l'avenir, à l'application de tel mode nouveau de jaugeage qui se pré

senterait avec des avantages de précision supérieurs à tous ceux du

mode actuel.

Fait et délibéré le 4 mars 1872.

Le Président-Directeur,
Signé FERD. DE LESSEPS.

M. DE RÉMUSAT AU COMTE DE VOGUÉ, A CONSTANTINOPLE.

(Extrait.)

Versailles, le 25 juillet 1872.

Monsieur le comte, vous savez que l'aggravation de charges résultant, pour le commerce maritime, du nouveau mode adopté par la Compagnie du canal de Suez, pour le calcul du droit de tonnage qu'elle est autorisée à percevoir, a soulevé de la part des intéressés de nombreuses réclamations, que leurs Gouvernements respectifs, ainsi que le Gouvernement ottoman, sont en ce moment accupés à examiner.

En réponse aux communications qui m'ont été adressées par les représentants de quelques puissances maritimes, dans le but de connaître l'opinion du Gouvernement français sur la suite que comporteraient ces réclamations, j'ai annoncé l'intention de m'abstenir de toute intervention diplomatique jusqu'à l'issue du procès que la Compagnie des messageries maritimes a intenté, en France, à la Compagnie du canal de Suez. La question me paraît, en effet, devoir tomber d'elle-même si nos tribunaux décident que les déclarations antérieures de cette dernière Compagnie lui imposent l'obligation de prendre, comme par le passé, pour base de ses perceptions, le tonnage inscrit sur les papiers de bord; ce serait donc seulement le cas d'une décision en sens contraire qu'il y aurait lieu de rechercher jusqu'à quel point l'interprétation que la Compagnie de Suez donne aujourd'hui aux mots tonneau de capacité est conforme au sens que le Gouvernement territorial a entendu leur attribuer dans le firman de concession. Je suis d'ailleurs disposé, pour ma part, à considérer cette interprétation comme équitable, puisqu'elle tend à prendre pour base de perception le nombre de tonneaux représentant la capacité utile du navire, au lieu du nombre de tonneaux, toujours inférieur à la réalité, qui s'obtient par l'application des méthodes de jaugeage en vigueur chez les différentes nations.

Agréez, etc.

Signé DE RÉMusat.

LE COMTE DE VOGUÉ, A CONSTANTINOPLE, A M. DE RÉMUSAT. (Extrait.) Péra, le 18 décembre 1872.

Monsieur le ministre, j'ai eu l'honneur de vous faire connaître la demande qui avait été adressée à la Sublime Porte par la Compagnie des messageries maritimes, à l'effet d'obliger la Compagnie du canal de Suez à revenir à l'ancien mode de perception jusqu'à ce que la question du tonnage ait été tranchée par l'autorité compétente. J'ai ajouté que cette demande avait été appuyée par la grande majorité des représentants étrangers.

J'apprends aujourd'hui que ces démarches auraient fait impression sur l'esprit de Khalil-Pacha, et qu'il se serait décidé à inviter M. de Lesseps à venir à Constantinople pour s'entendre avec lui sur le meilleur mode de régler la perception provisoire. En même temps, le ministre des affaires étrangères a donné l'ordre d'expédier les circulaires destinées à provoquer la formation d'une commission technique pour l'unification des jaugeages, indiquant comme lieu de réunion soit Constantinople, soit Londres.

Veuillez agréer, etc.

Signé : VOGUE.

M. DE RÉMUSAT A M. DUFAURE, MINISTRE DE LA JUSTICE. (Extrait.) Versailles, le 19 décembre 1872. Monsieur et cher collègue, vous savez que la Compagnie des messageries maritimes a fait un procès à la Compagnie du canal de Suez au sujet des modifications apportées par cette dernière dans le mode de constatation du tonnage des navires qui traversent l'isthme.

Le tribunal de commerce de la Seine a rendu, le 26 octobre dernier, un jugement qui, après avoir rejeté l'exception invoquée par la Compagnie de Suez pour décliner la compétence des tribunaux français, a statué sur le fond du litige et donné gain de cause à la Compagnie des messageries.

Le Gouvernement ottoman s'est ému de cette décision, et m'a fait remettre, par l'entremise de son ambassadeur à Paris, Server-Pacha, une protestation contre la compétence que s'est attribuée le tribunal de commerce de la Seine dans une question qui, suivant lui, serait exclusivement du ressort de l'autorité turque.

J'ai l'honneur de vous envoyer ci-joint le texte de la dépêche ministérielle, dont copie m'a été remise par Server-Pacha. Je vous serai obligé de vouloir bien me faire connaître votre manière de voir sur la suite que vous paraîtrait comporter la proposition du Gouverne

ment ottoman.

Agréez, etc.

Signé: RÉMUSAT.

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