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1798.

dans la capitale du monde chrétien donna lieu à une correspondance curieuse. Les parties intéressées se hâtèrent d'écrire, et, au défaut d'un autre tribunal, d'en appeler à celui de l'opinion publique, les unes pour inculper, les autres pour se défendre.

La première pièce de cette correspondance, après celle de Joseph Buonaparte, est de M. le chevalier Azara, ministre d'Espagne à Rome, fin courtisan, délié politique, ami de tout le monde, et surtout des vainqueurs (1).

Gelui-ci feignit d'abord de vouloir sortir de Rome avec l'ambassadeur françois, puis se laissa vaincre par les prières du cardinal secrétaire; il offrit sa médiation, et conserva la confiance des deux partis, qu'il jouoit également.

La seconde est du cardinal secrétaire à l'ambassadeur françois, qu'il appelle son ami, et à la bonne foi reconnue duquel il s'en rapporte pour tout ce qu'il exposera à son gouvernement. Cette lettre ne fait honneur ni au caractère ni à l'esprit de son auteur. Il est inconcevable qu'un

(1) Don Joseph-Nicolas chevalier d'Azara, né en Aragon en 1731, fut envoyé de bonne heure à Rome en qualité d'agent du roi pour les affaires ecclésiastiques: il eut une grande part dans les négociations relatives à la destruction des jésuites. Il avoit beaucoup d'esprit, d'instruction, et de goût pour des arts. Il est mort en 1804.

prince de l'église, un Doria, soit descendu assez bas pour s'excuser très mal d'une offense qu'il n'avoit pas commise.

La troisième est d'un abbé Corona, secrétaire de la légation de Prusse. Elle est si évidemment dictée par l'esprit qui avoit soufflé l'orage, qu'on la croit supposée.

La quatrième est du ministre des relations extérieures au citoyen Joseph Buonaparte, dans laquelle on lit, avec un étonnement mêlé de pitié, le passage sui

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Malgré le soin que vous avez mis à cacher tout ce qui vous est personnel dans cette terrible journée, vous n'avez pu nous laisser ignorer que vous avez manifesté au plus haut degré l'intrépidité, le sang froid, et cette intelligence à qui rien n'échappe, et que vous avez soutenu avec magnanimité l'honneur du nom françois. »

Toutes ces pièces furent lues à la tribune des conseils, à la suite du message qui leur annonçoit l'événement; et, après la lecture, la plupart des députés se mirent à crier comme des énergumėnes : Aux armes, vengeance!... Vengeance contre le tyran de Rome, contre le chef infame de l'exécrable race sacerdotale! Et ces cris de mort, ces cris atroces retentirent des bords de la Seine jusqu'à ceux du Tibre.

L'effet suivit de près la menace. Le

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courrier de Joseph n'étoit pas encore réFin de la Parti de Paris, que déja Berthier, qui puissance étoit à Milan, avoit reçu l'ordre de martempo- cher sur Rome.

relle du C'étoit une glorieuse expédition que pape. celle d'aller attaquer dans son palais un

vieillard octogénaire, qui n'opposoit aux baïonnettes de ses ennemis que des larmes et des mains suppliantes! Mais nous laisserons au directoire le soin de la raconter. Son récit est adressé aux députés.

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que

«Le gouvernement théocratique de Rome, oubliant le bienfait du traité de Tolentino.... (étrange bienfait celui qui le dépouilloit de la moitié de ses états, de ses trésors, et de ses chefs-d'œuvre!) ingrat envers la république françoise, qui avoit daigné l'épargner après l'assassinat de Basseville.... (dont il n'étoit pas plus coupable que de celui de Duphot); ce gouvernement, toujours infidéle au droit des gens, a insulté le 8 nivose dernier la majesté de la grande nation. »

Sauf le côté de la guerre, cette grande nation étoit bien petite alors et bien misérable. C'est ici le moment de recueillir quelques traits particuliers de notre régime intérieur, que la crainte d'interrompre le récit des événements nous a empêchés de mettre à leur place.

Tandis que le directoire, intimidé par les jacobins, faisoit fermer à Paris leur club connu sous le nom de grand cercle constitutionnel, qu'il avoit fait ouvrir lorsqu'il craignoit les royalistes, on ouvroit dans les départements des cercles ambulants, foyers d'intrigues, de cabales, et de complots, moins éclatants, mais non moins dangereux que ceux du grand cercle, dont ils étoient autant d'émanations.

Tandis que dans des messages, écrits dans un style poétique et ridicule, on peignoit les anarchistes comme autant de lions rugissants, tournant autour de leur proie et toujours prêts à la dévorer; dans le fait, on les combloit de biens et d'honneurs, on les recevoit par-tout avec distinction, on leur livroit toutes les places de l'administration, on n'écoutoit que leurs plaintes, on ne suivoit que leurs conseils.

Tandis que les soldats, protégés, caressés, redoutés à Paris, autant que les prétoriens dans l'ancienne Rome, et les janissaires à Constantinople, se croyoient, et non sans raison, les protecteurs du directoire; le directoire les sacrifioit sans scrupule et sans ménagement sur les bords de l'Adige, du Danube et du Rhin.

Tandis que les préparatifs d'une descente en Angleterre, les travaux d'un graud armement maritime, une nouvelle

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Régime intérieur.

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guerre, prête à s'allumer en Allemagne et en Italie, exigeoient le concours de la confiance et du crédit; on étouffoit l'un et l'autre sans cesse et sans raison, par des emprunts forcés, par des visites domiciliaires, par des lois sanguinaires.

De cette foule de contradictions compliquées avec toutes les fautes d'administration, et tous les succès militaires, il résultoit que rien de ce qui se faisoit alors en France ne pouvoit plus s'expliquer par les règles ordinaires du bon sens, c'est-àdire dans le rapport des effets aux causes, ou des causes aux effets.

On ne cessoit de dire, par exemple, que les royalistes relevoient par-tout leur tête hideuse, qu'ils conspiroient ouvertement, qu'ils avoient à Paris des agents, des protecteurs et des sicaires...... Nous regardions de tous côtés, et nous ne voyions que des jacobins, nous n'entendions que des jacobins. Les royalistes étoient dispersés, fugitifs, éperdus, sans force et sans moyens.

On nous promettoit tous les jours de nous faire jouir le lendemain des douceurs de la paix, et tous les matins on entendoit retentir de nouveaux cris de guerre tantôt contre l'Amérique, tantôt contre la Russie, et toujours contre l'Angleterre.

Dans la profonde obscurité qui nous enveloppoit, nous croyions pourtant voir

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