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frégates, trois corvettes, huit flûtes, et trois cent cinquante bâtiments de transport.

Vingt-cinq mille hommes de toute arme, parfaitement équipés, et tous dans le meilleur état, étoient embarqués sur cette flotte.

Le général, qui ne se proposoit pas seulement de faire une conquête, mais qui avoit le projet de fonder une colonie, emmenoit avec lui des hommes distingués dans les sciences, dans les lettres et dans les arts; parmi eux on distinguoit MM. Monge, Bertholet, Denon, Méchain, Nouet, Beauchamp, Peyre, Arnaud, Champy, Conté, Costard, Fournier, etc.

Il arriva le 18 mai 1798 à Toulon; le 19 il monta l'Orient de cent dix pièces de canon, un des plus beaux vaisseaux qui soit sorti de nos chantiers. Il étoit commandé par l'amiral Brueys, très brave, mais non pas très habile marin.

Le même jour la flotte appareilla, et cingla vers l'est, ralliant sur sa route les divisions de Bastia, de Gênes et de CivitaVecchia.

Le 10 juin, ce formidable armement parut devant l'île de Malte, dont la possession étoit nécessaire aux vues de Buonaparte.

Prise de Il commença par faire demander au Malte. grand-maître la permission pour l'es

cadre d'entrer dans le port, et pour les bâtiments de convoi de faire de l'eau.

Ces deux demandes furent également refusées. Que le refus et les demandes aient été concertés entre le grand-maître et le général françois, comme on l'a dit, c'est ce qui n'est pas prouvé; mais ils furent immédiatement suivis d'une attaque soudaine, et d'un débarquement rapide, qui fut exécuté sur divers points, et sous les ordres du général Desaix.

Deux heures après, les généraux Lannes et Marmont resserroient la place, et s'en étoient approchés jusqu'au pied du glacis.

Cette place, la plus forte peut-être de toute la terre, pouvoit soutenir un long siége; ce qui auroit donné aux Anglois le temps d'arriver à son secours. Plusieurs causes réunies, parmi lesquelles il faut compter l'intelligence de quelques chevaliers françois avec les assiégeants, paralysèrent tous les moyens de résistance.

Après vingt-quatre heures de tranchée ouverte, la ville se rendit. La ville, les forts, la marine, l'artillerie, les magasins, les trésors, tout fut livré au vainqueur, par un traité signé le 13 juin à minuit à bord du vaisseau l'Orient. Telle fut la fin de l'ordre militaire et religieux de SaintJean de Jérusalem, connu depuis deux cent cinquante ans sous le nom de Che

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valiers de Malte, et qui, pendant cinq siècles, avoit été regardé comme le boulevard de la chrétienté.

Heureux de n'avoir pas été retardé par une plus longue résistance, Buonaparte continua sa route vers l'Égypte, et parut le premier juillet devant Alexandrie, sans avoir rencontré un seul vaisseau anglois. Dès le soir, le débarquement commença.

Le lendemain, il fit sommer la ville, qui n'avoit pour toute défense qu'une foible garnison et des fortifications qui tomboient en ruine.

Les habitants n'en parurent pas moins disposés à faire une vigoureuse résistance. Ils répondirent à la sommation qu'on leur fit par de grands cris et la décharge de toutes leurs armes.

Sans attendre son artillerie, Buonaparte ordonna l'assaut. L'enceinte fut promptement escaladée; les Turcs et les Arabes, délogés des tours et de tous les postes militaires, furent vivement poursuivis dans la ville, où l'on se battit pendant quelque temps. Le combat étoit trop inégal, les habitants demandèrent grace; le général fit cesser le carnage, et, avant la fin de la journée, il étoit maître de la ville et du port. Le convoi entra dans le port, et l'escadre alla mouiller dans la rade d'Aboukir.

Avant de mettre pied à terre Buonanarte

avoit adressé à son armée la proclamation 1799.

suivante :

« A bord de l'Orient, 4 messidor.

« Soldats, vous allez entreprendre une conquête dont les effets sur la civilisation. et le commerce du monde sont incalculables. Vous porterez à l'Angleterre le coup le plus sûr et le plus sensible, en attendant que vous puissiez lui donner celui de la mort.

« Nous ferons quelques marches fatigantes, nous livrerons plusieurs combats, nous réussirons dans toutes nos entreprises, les destins sont pour nous. Les beysmamelucks, qui favorisent exclusivement le commerce anglois, qui ont couvert d'avanies nos négociants, et qui tyrannisent les malheureux habitants du Nil, quelques jours après notre arrivée n'existeront plus.

« Les peuples avec lesquels nous allons vivre sont mahométans; leur premier acte de foi est celui-ci : Il n'y a pas d'autre Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète. Soyez tolérants; agissez avec eux comme nous avons agi avec les Juifs et avec les Italiens; ayez des égards pour leurs muftis et leurs imans, comme vous en avez eu pour les rabbins et les évêques; ayez pour les cérémonies que prescrit l'alcoran, pour les mosquées, la

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Arrivée

même tolérance que vous avez eue pour les couvents, pour les synagogues, pour la religion de Moïse et pour celle de Jésus-Christ.

Les légions romaines protégeoient toutes les religions: vous trouverez ici des usages différents de ceux de l'Europe; il faut vous y accoutumer.

« Les peuples chez lesquels nous allons entrer traitent les femmes autrement que nous; mais dans tous les pays celui qui les

viole est un monstre.

« Le pillage n'enrichit qu'un petit nombre d'hommes, il déshonore les autres, il détruit les ressources de ceux qui s'y livrent, il les rend ennemis des peuples dont il leur importe de conserver l'amitié.

« La première ville que nous allons rencontrer a été bâtie par Alexandre. Nous trouverons à chaque pas de grands souvenirs, dignes d'exciter l'émulation des François (1).

Signé BUONAPARTE. » Quand il fut descendu, il adressa aux de Buona- habitants du pays cette autre proclamaparte en tion en trois langues, en arabe, en cophte Egypte. et en langue populaire.

la

(1) Cette proclamation est remarquable et par tournure du style et par la modération des pensées. César n'auroit pas mieux parlé; et, ainsi que César, Buonaparte savoit se servir de sa plume comme de son épée.

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