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Bataille

On s'est étonné avec raison de ce que 1799. l'amiral Brueys, après avoir rempli si navale heureusement sa mission, n'ait pas quitté d'Abou- une rade ouverte, où il étoit au moins exkir. posé à livrer un combat inutile, tandis qu'en se relevant de la côte d'Égypte, il pouvoit gagner Malte ou Corfou, et peutêtre recevoir des renforts, avant que l'amiral Nelson eût reçu ceux qui lui étoient destinés.

Quels qu'aient été ses motifs, la flotte angloise parut devant la sienne le 1er août sur les trois heures après midi; le combat s'engagea aussitôt avec une fureur et une opiniâtreté dont peut-être on n'avoit jamais vu d'exemple. Les vaisseaux étoient rapprochés jusqu'à portée de pistolet, et tout ce qui existe de moyens de destruction fut employé de part et d'autre. L'amiral Brueys qui, déja blessé griévement, continuoit de commander, fut emporté par un boulet. Peu de temps après son vaisseau sauta. L'explosion fut si terrible, que les deux escadres restèrent comme ensevelies sous une pluie de fer et de feu. Il y eut un profond silence pendant quelques minutes; mais le combat recommença bientôt avec un nouvel acharne

ment.

Presque tous les capitaines des vaisseaux françois furent tués dans ce choc épouvantable. De part et d'autre il se fit

des prodiges de valeur; et dans aucune
bataille navale on auroit peine à trouver
autant de traits remarquables d'audace et
de constance héroïque. On a cité sur-tout
le trait du jeune Casa-Bianca, enfant de
dix ans,
qui voulut mourir à côté de son
père, capitaine de pavillon du vaisseau
amiral et celui de M. Dupetit Thouars,
capitaine de l'Heureux, qui, mutilé de
tous ses membres et n'ayant plus que le
tronc, mais vivant encore, ne voulut
point quitter le pont, et fit jurer à son
équipage de ne point amener.

L'Heureux, le Guerrier, l'Artémise sautèrent ainsi que l'Orient; le Timoléon échoua sur la côte; le Franklin, le Spartiate, le Tonnant, le Peuple-Souverain, le Conquérant, furent pris.

Le Généreux et le Guillaume-Tell furent les seuls vaisseaux qui échappèrent à cette catastrophe, dont les suites furent pour le gouvernement françois plus désastreuses qu'on n'auroit pu le prévoir, et dont l'influence, en assurant au pavillon anglois la domination des mers du Levant, alloit changer tous les rapports politiques et commerciaux de la Russie, de la France et de l'empire ottoman.

Après ce combat, Buonaparte se trouva dans la position d'Agathocle devant Carthage. Il falloit vaincre ou périr; il soutint ce grand revers avec beaucoup de

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calme; il osa même s'en servir pour inspirer de plus fortes résolutions à ses compagnons d'armes, qui, voyant dans la destruction des restes de la marine françoise leur séparation du continent de l'Europe, sentirent avec lui qu'ils devoient se suffire à eux-mêmes, achever l'exécution de leurs desseins, fonder et défendre un nouvel empire.

Tandis que Desaix poursuivoit Mourad-Bey dans la Haute-Égypte, Buonaparte poursuivoit Ibraim-Bey du côté du désert, le battit à Salahieh, dissipa quelques hordes d'Arabes, dégagea et pilla la caravane de Maroc, revint au Caire, et s'occupa de consolider sa conquête par un bon système de défense militaire, et par des institutions civiles auxquelles il donna peut-être trop de temps et trop de

confiance.

Il faut néanmoins rendre justice aux soins qu'il prit pour gagner l'esprit des peuples, dissiper les craintes et les défiances qu'inspire toujours la différence de mœurs, d'usages, et sur-tout de pratiques religieuses.

Pour arriver à ce but, et donner à son gouvernement plus d'énergie, il essaya de communiquer aux Égyptiens quelques idées de liberté; il voulut que ceux d'entre eux qui, par leurs lumières ou leur bonne conduite, conservoient de l'influence sur

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le peuple, prissent part à l'administration; il forma des assemblées de notables, il fonda un institut, il détermina les membres du divan à porter un schall tricolore, et engagea tous les habitants du Caire à prendre la cocarde nationale. Tout fut tranquille pendant quelque Révolte temps. Les peuples paroissoient s'accou- du Caire. tumer aux formes de leur nouveau gouvernement, lorsque le 21 octobre au matin une révolte éclata tout-à-coup dans les différents quartiers et dans tous les environs du Caire. Le général Dupuis commandant de la ville, s'étant hasardé avec une foible escorte à dissiper un des attroupements, fut assassiné ainsi que plusieurs officiers françois. De tous les côtés les insurgés coururent sur les François, et massacrèrent tous ceux qu'ils purent atteindre. La maison du général Caffarelli fut assiégée et forcée. Des ingénieurs qui s'y trouvoient s'y défendirent bravement et furent tués.

On battit la générale, tous les François s'armèrent. Buonaparte fit entrer dans la ville plusieurs bataillons, et les dirigea sur les mosquées, où les Turcs s'étoient retranchés comme dans des forteresses; ils y furent attaqués avec toute l'ardeur qu'inspire la vengeance; ils s'y défendirent avec toutes les forces que donne le désespoir. La citadelle, occupée par les

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François, jeta des bombes sur la ville, et principalement sur la grande mosquée; les portes en furent enfoncées; les François firent un horrible carnage de tout ce qui tomba sous leurs mains; la nuit suivante et le lendemain le combat et le carnage continuèrent. On évalua la perte des François à cinq cents hommes tués ou blessés; plus de huit mille Turcs périrent dans ces deux journées. Le troisième jour l'ordre fut rétabli.

La répression de cette émeute acheva d'affermir le pouvoir de Buonaparte. Les Musulmans sentirent tout le poids des armes françoises, et se résignèrent à l'obéissance.

Toutefois les vainqueurs ne purent se livrer à une entière sécurité : ils n'ignoroient pas que la Porte souffroit impatiemment leur établissement en Égypte, et combinoit avec les Anglois les moyens de les détruire ou de les chasser. Les principaux apprêts contre eux se faisoient en Syrie, sous les ordres de Djezzar-Pacha. L'attaque que celui-ci méditoit, du côté du désert, devoit être favorisée par une puissante diversion vers les bouches du Nil, et par des mouvements que Mourad-Bey se proposoit en même temps d'exécuter dans la Haute-Égypte. Ce fut pour diriger ce vaste plan que le commodore Sydney Smith se rendit dans les mers du Levant.

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