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1799.

I arrive

vit à son retour. Il échappa aux croiseurs anglois et ottomans, aux tempêtes et aux escadres de la Méditerranée.

Il arriva le 9 vendémiaire en Corse sans aucun accident; les vents contraires l'y retinrent jusqu'au 15; le 16 il entra dans le port de Fréjus, et, sans s'embarrasser des lois qui ordonnent la quarantaine, le 17 il se mit en route pour Paris, où il arriva, le 23, inopinément, et à la grande surprise de tout le monde.

Si, comme on n'en peut douter, il avoit inopiné conçu le projet de changer un gouvernement à ment dont tout attestoit la foiblesse et l'instabilité, il ne pouvoit arriver plus à propos.

Paris.

Divisions

Depuis la journée du 30 prairial (18 juin) toutes les factions, inquiétes et mécontentes, démolissoient l'édifice pièce à piece, sans savoir ce qu'elles mettroient à sa place. Quoique les jacobins n'eussent pu faire entièrement prévaloir leurs desseins, ils étoient assez puissants pour se faire craindre, et on les ménageoit ; ils ne régnoient pas encore, mais ils balançoient le pouvoir de ceux qui régnoient.

Il y avoit dans le directoire deux memdans le bres qui les favorisoient secrétement, et dans les ministères des hommes qui leur ́ étoient entièrement dévoués.

gouverne

ment.

Le corps législatif étoit divisé comme le pouvoir exécutif aucune assemblée

délibérante n'avoit montré moins de sagesse, de lumières et de dignité; elle venoit de proclamer deux lois tyranniques, qui combloient la mesure du mécontentement général, celles des otages et de l'emprunt forcé.

Les recettes en souffrance et affoiblies, les armées sans paye, des projets insensés, des lois sans force, des législateurs sans considération, une corruption sans exemple infectant les bureaux et les administrations, la guerre civile prête à éclater, une étrange divagation dans les plans, nulle force dans les résolutions, telle étoit la situation intérieure de l'état.

Chacun sentoit, chacun disoit même hautement qu'il ne falloit rien moins qu'un caustique violent pour guérir une gangrene aussi profonde. Le mal étoit connu. Le remède étoit indiqué; mais où étoit l'empirique qui devoit l'appliquer? Jacobins et royalistes se flattoient également de l'espoir de le choisir.

Les royalistes, sous-divisés en feuillants, en constitutionnels, et en défenseurs de la légitimité, ne paroissoient que sous le nom de modérés, et ne s'entendoient pas plus sur le chef qu'ils vouloient se donner, que sur le gouvernement qu'ils vouloient adopter.

La partie des jacobins étoit mieux liée; mais plus foibles par le nombre et par les

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Buonaparte.

talents, ils attendoient du temps et de l'occasion un événement qui vînt à leur secours. Une foule de considérations, de lenteurs et d'obstacles sembloit éloigner cet événement décisif, lorsque le retour imprévu de Buonaparte jeta le trouble à-la-fois dans les deux partis.

Conspira- Dès les premiers jours de son arrivée, tion de le général leur prouva qu'il pouvoit se passer de leur secours, en leur laissant croire toutefois qu'il ne refuseroit pas leurs services. Il se déploya avec une assurance et une hauteur qui attestoient l'opinion qu'il avoit de son importance, de sa fortune et de son ascendant sur les circonstances actuelles. Dédaigneux, froid et taciturne avec les magistrats supérieurs; caressant, simple et modeste avec les soldats, dissimulant à tous ses vues et ses affections, il réussit à masquer les unes et les autres, et, par cette adroite politique, il se fit rechercher des deux côtés.

Les jacobins lui rappelèrent les journées glorieuses de Toulon et de vendémiaire; ils firent retentir à ses oreilles les mots sacrés de patrie et de liberté, et les noms célébres de Timoléon, de Marius et des deux Gracchus; ils l'accablèrent d'éloges, et se flattèrent un moment de l'avoir gagné.

Les modérés lui firent envisager la gloire plus réelle de relever la monarchie, et lui

proposèrent l'exemple de Monck ; ils négocièrent habilement pour le rapprocher d'un des membres du directoire, sans lequel il ne pouvoit agir, mais auprès duquel il dédaignoit de faire les premières

avances.

Trois jours s'écoulèrent sans que le punctilio eût permis aux deux personnages de se rendre visite. On vit même le moment où ils alloient rompre ouvertement. Leurs partisans respectifs se tournoient déja les uns vers le cit. S....., qui vouloit conserver les formes d'une république, les autres vers le général, dont le gouver nement militaire promettoit un monarque sous une dénomination quelconque.

La position du général étoit précaire ; il ne pouvoit pas long-temps traiter d'égal à égal avec un homme qui avoit à sa disposition le pouvoir et la loi ; il sentit que son crédit s'affoiblissoit; il craignit de tout perdre en voulant trop exiger: toutes les difficultés furent levées.

Une fois d'accord sur le principe, ils le furent bientôt sur les moyens, et ils convinrent de ne confier en entier leur secret qu'à un très petit nombre de personnes, dont la discrétion leur étoit connue, et l'intervention nécessaire.

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Il y avoit alors à Paris un grand nom- Révolubre d'officiers sans emploi, et prêts à ser- tion du 18 vir celui qui pourroit leur en procurer;

brumaire.

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c'étoit autant d'auxiliaires dévoués à Buonaparte. La garnison fut aisément gagnée. Les comités dirigeants du conseil des anciens, dans lesquels le cit. S..... avoit placé le point d'appui de ses leviers, reçurent une demi-confidence, et promirent une aveugle coopération.

Le public attendoit un mouvement, sans soupçonner quel en seroit le but; mais on en connoissoit déja les principaux moteurs.

Deux jours avant qu'il éclatât, le directoire et les conseils donnèrent une fête à Buonaparte dans l'église de Saint-Sulpice, métamorphosée en temple de la Victoire. Les convives mangèrent peu et s'observèrent beaucoup. Le général ne fit qu'y paroître; il étoit entouré d'un nombreux état-major; il affecta le regard et l'air soucieux d'un chef de parti; maladresse qui alarma ses amis et le laissa pénétrer tout entier par ses ennemis. On porta un toast à l'union des cœurs : et l'on se sépara avec l'intention de s'égorger.

Le vendredi, 17 brumaire, étoit le jour fixé pour le grand événement; les hauts conjurés étoient prêts; les lettres de convocation pour les complices subalternes alloient partir; mais le héros étoit superstitieux, il craignoit les vendredis, il donna des contre-ordres; et au risque d'échouer, il ajourna l'affaire au lende

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