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main. Le même jour, à dix heures du soir, 1799. il envoya chercher le général Bernadotte, dont il estimoit le caractère, mais dont il craignoit l'opposition, et lui demanda, après lui avoir confié son secret, s'il pouvoit compter sur lui. — Non, lui répondit-il avec franchise, j'ai conçu la liberté sur un autre plan, le vôtre la tue. —— cas-là, vous ne sortirez pas d'ici.-Suis-je votre prisonnier? Non, si vous n'avez rien entendu. Vous devez y compter:

et il fut libre de sortir.

En ce

du 18

Le 18 brumaire, à cinq heures du ma- Journée tin, ceux des membres du conseil des an- brumaire. ciens auxquels on avoit confié une partie du mystère se rassemblèrent dans le lieu ordinaire de leurs séances, où ils achevèrent de recevoir leurs instructions. Un de leurs collègues leur apprit que les poignards étoient levés sur leur poitrine; que Paris étoit menacé d'un incendie général, et que le seul moyen de sauver Paris et la représentation nationale étoit de transférer celle-ci à Saint-Cloud, et de donner à Buonaparte le commandement de la force armée.

A onze heures la séance fut rendue publique; on fit connoître en même temps la foi qui transféroit les deux conseils dans le palais de Saint-Cloud, et qui chargeoit Buonaparte de l'exécution de

cette mesure.

1799

Le même jour, le général choisit Lefebvre pour son premier lieutenant; il donna le commandement de l'état-major à Andréossy, de la cavalerie à Murat, de l'artillerie à Marmont, de la place de Paris à Morand, et du château des Tuileries à Lannes.

Ces dispositions faites, il fit afficher deux proclamations, l'une adressée aux soldats, l'autre aux citoyens; et toutes les deux ayant pour objet principal d'annoncer sa nomination au commandement général, et la translation du corps législatif au palais de Saint-Cloud. Dans celle qu'il adressa aux soldats, il dit ces mots remarquables:

« La république est mal gouvernée depuis deux ans. Vous avez espéré que mon retour mettroit un terme à tant de maux; vous l'avez célébré avec une union qui m'impose des obligations que je remplis; vous remplirez les vôtres en secondant votre général avec l'énergie, la fermeté et la confiance que j'ai toujours vues en

yous. "

Ce ton mêlé d'audace et de confiance flattoit les soldats, et annonçoit un maître à la France.

Que faisoient pendant ce temps-là ceux qui l'avoient si mal gouvernée depuis deux ans?

L'un d'eux, bon soldat, franc républi

cain, dépourvu de moyens et d'amis, fut consigné dans son appartement, trompa ses gardes et alla se perdre dans la foule d'où il étoit sorti depuis très peu de temps (1).

L'autre, ancien avocat, fougueux révolutionnaire, homme sans caractère et sans talent, mais dévoré d'ambition, montra dans ces derniers moments un certain courage, et refusa de donner la démission qu'on lui demandoit (2).

Barras donna la sienne sans hésiter : jouet de deux hommes qui lui devoient également leur élévation, il eut le bon esprit de ne pas s'en plaindre; il ne fit aucune résistance ni aucune réflexion ; il se retira dans son château de Grosbois, qu'il trouva désert et abandonné des nombreux courtisans qui, la veille encore, avoient juré de vivre et de mourir en le défendant (3). Ces vicissitudes, qui ne sont rares dans aucun temps, qui sont fréquentes dans les révolutions, n'en étonnent pas moins ceux qu'elles frappent, et ne consolent personne. Le peuple, qu'elles n'atteignent jamais, les considère toujours avec un malin plaisir. Il regardoit d'un œil tranquille les mouve

(1) Moulins.

(2) Gohier.

(3) Buonaparte avoit fait de fausses confidences MM. Syeyes et Barras, et les trompa tous les deux.

1799.

1799.

ments qui accompagnoient celles-ci. On eût dit qu'il étoit tout-à-fait étranger à ce qui se faisoit en son nom. Le décret du conseil des anciens, dont nous avons parlé plus haut, étoit terminé par ces

mots :

Vive le peuple, par qui et en qui est la république!.......

Aucune des révolutions précédentes ne s'étoit faite avec moins de bruit, et n'eut des résultats plus importants. Ni les travaux, ni les spectacles ne furent interrompus. Le plus grand calme régna dans toute la ville, et c'est la seule chose vraie que l'on trouve dans les journaux du temps, qui rendirent compte de cet évé

nement.

Les divers commandements furent distribués sans bruit; tous les postes assignés furent enlevés sans résistance. Le conseil des cinq cents, sur lequel les conjurés comptoient un peu moins que sur celui des anciens, reçut avec soumission le décret de translation, que, dans les formes ordinaires, il auroit dû faire et présenter, et l'enregistra sans délibérer.

La partie saine du public, celle dont les jugements composent l'opinion, observoit en silence, mais non sans inquiétude, l'engagement d'un combat qui ne devoit se terminer que le lendemain. Les uns attendoient ce lendemain avec effroi,

les autres avec alégresse, et tous avec l'impatience de la curiosité.

Nous n'avons jamais bien compris la raison qui contraignit l'audace accoutumée des jacobins dans cette journée si décisive pour leur parti. Ils paroissoient frappés de stupeur; on eût dit qu'ils étoient morts, par cela seul qu'ils étoient attaqués ; le courage et la présence d'esprit leur manquoient à-la-fois : quand ils retrouvèrent leurs forces, le lendemain, il tard.

étoit trop

Il étoit plus facile de comprendre et d'expliquer pourquoi le peuple ne prit que fort peu d'intérêt, et aucune part active dans une révolution qui alloit changer toutes ses destinées.

Que lui importoit désormais le nom de tels ou tels maîtres, depuis qu'une fatale expérience lui avoit appris que tous ces changements de maîtres, qui s'opéroient toujours en son nom, n'avoient jamais apporté aucune amélioration dans son sort?

Cependant le nom de Buonaparte n'étoit pas sans gloire; et, sous ce rapport, il méritoit de n'être pas confondu avec ceux qui régnoient depuis huit ans, et qui ne devoient leur célébrité qu'à leurs places ou à leurs crimes.

Quant au directoire, personne ne le regretta. La violence achevoit ici ce que

1799.

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