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que les

qui nous paroît aussi peu fondé
autres, c'est d'avoir voulu se rendre indé-
pendant de la métropole.

En examinant sa conduite, on voit, au contraire, qu'il a toujours cherché à conserver ses communications avec la France; qu'il ne s'étoit emparé du pouvoir suprême que pour empêcher ses lieutenants d'en abuser; qu'il ne le conservoit que dans l'intention de le remettre au souverain légitime; que s'il avoit eu le projet de se l'approprier, loin de supporter un long blocus de la part des Anglois, il eût accepté avec empressement l'alliance qu'ils lui proposoient, etc. Tout prouve que, dans ses combats, dans ses négociations, dans son administration, il ne travailloit que pour la métropole ; et le succès de ses efforts pour retenir les noirs dans la soumission, et les ramener au travail, dit assez que le bon génie de la France sembloit avoir confié à cet illustre noir le soin de réparer tous les désastres que les hommes de sa couleur avoient causés dans la plus précieuse de nos colonies.

Rien ne le prouve mieux que la lettre que le général Leclerc écrivit au premier consul, immédiatement après son débarquement. « La culture de la colonie, dit-il, est à un degré de prospérité plus haut qu'on n'auroit osé l'espérer.

Certes, le capitaine qui l'avoit conser

1801.

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vée indépendante, qui, en moins de quatre ans, l'avoit retirée de l'état de la plus affreuse dévastation, pour la rendre à celui d'une prospérité inattendue, méritoit bien qu'on lui demandât quelles étoient ses intentions ultérieures, avant de porter chez lui le fer, la flamme, et tous les fléaux de la guerre.

Mais Buonaparte craignit sans doute de se compromettre, en ouvrant avec Toussaint-Louverture, qu'il regardoit comme un usurpateur, des négociations qui paroissoient établir entre eux une égalité de droits. Il ne daigna pas lui envoyer un aviso, pour le prévenir de ses intentions. Ce fut le général Leclerc lui-même, c'està-dire celui qui étoit chargé de le combattre ou de le faire arrêter, qui fut chargé de lui remettre la lettre du consul qui lui annonçoit sa destitution.

Qu'on daigne se mettre à sa place, et qu'on se demande l'impression que durent produire sur son esprit, et cette lettre singulière, et l'appareil d'hostilités qui l'accompagnoit. Toutes les apparences tendoient à lui faire croire que les François vouloient le surprendre, l'attaquer, le remettre aux fers, lui et tous ses compagnons d'armes.

La plus terrible révolution s'opéra toutà-coup dans ses idées : il oublia tout: ce ne fut plus qu'un Africain rendu à sa fé

rocité naturelle, ne respirant que la vengeance: il commanda l'incendie du Cap, le bombardement de la flotte, et le massacre de tous les blancs.

Cependant des proclamations, qui promettoient le pardon au repentir et l'indulgence à l'erreur, circuloient dans la colonie. Le consul, qui avoit prévu le premier effet de l'apparition de la flotte et de l'armée, avoit déguisé sa pensée; et, dans sa lettre à Toussaint, il lui disoit : « Je remets dans vos bras vos enfants, comblés des bienfaits du gouvernement, et capables, par l'éducation libérale qu'ils ont reçue en France, de seconder un jour vos efforts pour le rétablissement de la culture et de la subordination. »

Toussaint fut attendri à la vue de ses enfants; il les embrassa en pleurant ; mais le sacrifice qu'on lui demandoit en échange revenant à sa pensée, il se dégagea de leurs caresses, reprit les armes, et combattit avec une nouvelle fureur. Les succès furent balancés pendant quelque temps; mais la défection de Christophe, qui, avec les troupes qu'il commandoit, passa du côté des François, obligea Toussaint à se soumettre. Il signa une capitulation, remit ses armes et ses pouvoirs au général Leclerc, licencia ses troupes, et rentra dans la vie privée.

Un mois s'étoit à peine écoulé, que,

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Buona

nommé

vie.

libre sur la foi des traités, tranquille par goût, n'ayant ni la volonté ni les moyens de ressaisir l'autorité qu'il avoit volontairement abdiquée, il se vit tout-à-coup arrêté, chargé de fers, transporté en France, et jeté dans un cachot, sans qu'on ait jamais voulu ni l'entendre ni le juger. Il y a fini ses jours.

La fin si prompte de ce chef des noirs, si brave, si noble, et aussi extraordinaire que Buonaparte lui-même; le mystère qui l'a enveloppée, le silence qui l'a suivie, tout semble accuser le gouvernement de l'avoir commandée, afin de prévenir des révélations qu'une procédure éclatante rendoit inévitables. Le malheureux Toussaint a disparu, comme s'il n'avoit jamais été compté parmi les hommes. L'histoire le réclame aujourd'hui, ainsi que Pichegru, Hoche, Kléber, d'Enghien, et beaucoup d'autres : il sortira de sa tombe pour être à son tour l'accusateur de son bour

reau.

Buonaparte se moquoit de l'histoire et parte est des jugements de la postérité; mais il consul à croyoit encore devoir des ménagements à l'opinion de ses contemporains. Entre le trône de Louis XVI, où il vouloit monter, et la magistrature temporaire qu'il exerçoit, l'intervalle étoit immense pour le combler, il se fit nommer consul à vie. Le sénat en fit le décret, le peuple l'ap

prouva (1): la comédie fut parfaitement jouée d'un bout à l'autre : ce n'est pas là ce que nous voulons remarquer.

Ce qu'il faut dire, c'est que cette époque de la vie de Buonaparte est celle où il déploya plus d'habileté, plus d'art, et une plus sage politique, et celle où il amena plus adroitement et plus souvent l'opinion publique à regarder ses volontés comme des arrêts du destin. C'est à cette époque qu'il faut s'arrêter pour apprécier ses talents; c'est alors qu'on le voit s'emparer, sans violence et sans alarmer les consciences républicaines, de tous les pouvoirs qui tendoient à détruire la république; faire naître à propos les événements qui convenoient à ses desseins; et toujours d'autant plus fidèle à son ambition, qu'il paroissoit plus s'occuper de nos libertés.

C'est alors qu'il sembloit vouloir modérer une autorité qu'il possédoit sans partage; qu'il exerçoit la dictature consulaire comme un homme pressé de la déposer; qu'il se donnoit, dans la légion d'honneur, un puissant véhicule de ses succès militaires; dans la nouvelle organisation de

(1) Le sénatus-consulte qui proclama Napoléon consul à vie fut soumis à la sanction du peuple. Le journal officiel nous apprit que sur 3,577,259 citoyens qui donnèrent leur suffrage, 3,568,185 votèrent en sa faveur. On ne pouvoit pas approcher plus près de l'unanimité.

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Politique du pre

mier con

sul.

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