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1801.

munitions. Le reste étoit composé de chaloupes et de bateaux plats, armés de quatre pierriers chacun, et montés par vingt-cinq, trente et quarante hommes.

Tout cela étoit en mouvement depuis quatre mois, et offroit un coup d'œil su perbe et imposant.

Buonaparte crut devoir en augmenter l'éclat par sa présence. Il alla s'établir avec toute sa cour au milieu du camp. Il y donna des fêtes et des spectacles; il passa des revues, distribua des croix d'honneur, et n'épargna aucune de ces séductions dont il possédoit mieux que personne le secret, quand il vouloit éblouir ou tromper la multitude.

Il donna ordre au ministre de la police de lui envoyer tous les François qui savoient la langue angloise, ou qui avoient quelques notions sur l'Angleterre. Ce fut dans ce temps-là qu'il nomma le général Clarke, Irlandois d'origine, secrétaire de son cabinet. Il fit venir des savants de l'Institut, des poëtes du Vaudeville, des journalistes, des imprimeurs, des banquiers, qui tous devoient le suivre à Londres, et y former des établissements. On ne sait s'il se moquoit intérieurement de leur crédulité, mais il encourageoit publiquement leurs espérances.

Cependant il faisoit embarquer des chevaux et des troupes: lui-même s'embar

qua un matin sur une péniche, qui fit naufrage au port, et faillit l'engloutir avec ses projets gigantesqués. Un autre jour, il fit sortir cent de ces péniches, pour aller s'essayer contre un vaisseau de ligne et trois frégates, qui étoient en croisière à deux portées de canon. L'engagement eut lieu à la vue de toute l'armée. Les trois vaisseaux ennemis se retirèrent, après avoir échangé quelques boulets avec l'escadrille françoise.

Nous raconterons la suite de cette expédition après les grands événements qui se préparoient dans l'intérieur, et qui vont bientôt s'accomplir.

Les projets que Buonaparte avoit formés contre l'Angleterre ne détournèrent pas un moment son attention de l'Italie ช sur laquelle il avoit toujours fondé ses plus chères espérances, qu'il regardoit dès-lors comme son domaine privé, et qui pouvoit, en cas de besoin, devenir son dernier asile.

On a trouvé dans ses papiers le développement d'un système qu'il rêva dans un moment de découragement, et qui nous a paru assez curieux pour être rapporté, au moins en abrégé :

Il supposoit un traité avec l'Autriche, dont voici les principales conditions:

«La France restitue sans indemnité toutes les conquêtes qu'elle a faites sur la

1802.

1802.

Projets de

Buona

parte sur

l'Italie.

maison d'Autriche depuis 1792, jusqu'à la ratification dudit traité, à l'exception de ses possessions, aujourd'hui comprises sous le nom de république italienne.

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Napoléon Buonaparte, président de ladite république italienne, en sera déclaré et reconnu souverain sous le nom de roi de Lombardie.

« Sa majesté l'empereur s'engage et promet de le faire reconnoître en cette qualité par les électeurs qui composent le corps germanique. Le royaume de Lombardie sera héréditaire dans la dynastie de Napoléon.

« Voulant mettre un terme aux factions qui désolent la France, Louis-StanislasXavier, frère du dernier roi, est rappelé au trône des François.

«Napoléon, roi de Lombardie, s'engage, si besoin est, d'appuyer de la force de ses armes la rentrée de Louis XVIII dans ses états, et, de concert avec S. M. l'empereur d'Allemagne, de l'aider à s'affermir sur le trône de ses pères.

«S. M. Louis XVIII s'engage, de son côté, à reconnoître Napoléon Buonaparte en qualité de roi de Lombardie, et d'employer ses bons offices pour le faire reconnoître par les cours étrangères.

« La France restera nantie du Hanovre jusqu'à la conclusion de la paix avec l'Angleterre.

<< Tous les états envahis rentreront sous la domination de leurs anciens maîtres. » En lisant ce projet, il se présente une foule de réflexions; nous n'en ferons qu'une seule c'est qu'avec le caractère de Buonaparte il étoit impraticable. Će traité, signé en 1802, eût été rompu par lui-même en 1804.

Il y avoit dans la république cisalpine, plus qu'en France, des hommes qui ne voyoient pas de bon œil l'essor prodigieux que prenoit l'autorité du premier consul, et qui avoient deviné ses projets. Il importoit de les gagner ou de les intimider. Les principaux citoyens de la Lombardie reçurent l'ordre de se rendre à Lyon, et de s'y former en consulte extraordinaire, que Buonaparte voulut présider lui-même. La moitié des membres lui étoit vendue, et l'autre trembloit en arrivant.

De tous les peuples de l'Europe, l'Italien est celui qui sait le mieux contraindre ses affections. On peut le gagner par des caresses, on peut l'intimider par des menaces, mais jamais on ne le soumettra par la force. Buonaparte, qui devoit connoître ce caractère, devoit donc avoir recours au seul moyen de se l'attacher: il devoit être doux et caressant avec eux; il fut dur et impérieux. Jamais représentants d'un peuple ne furent traités avec plus de hauteur et de sévérité,

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1802.

Quelques jours avant l'ouverture de l'assemblée générale, il réunit dans son palais ceux dont il redoutoit le plus ou les lumières ou les opinions, et leur tint le discours suivant:

« Messieurs, depuis que je vous ai formés en corps d'état, je n'ai reçu de vous que tribulations et chagrins. Vous regorgez d'intrigants, de factieux et de lâches soudoyés par l'Autriche. Je vous déclare, messieurs, que vous avez à choisir ou d'étre pays conquis, ou d'être un peuple indépendant. Dans le premier cas, je saurai conserver ma conquête; dans le se cond, je protégerai, je ferai respecter la puissance que j'ai créée, et de laquelle je me propose d'être le chef, chose que je n'aurois point faite si j'avois trouvé parmi vous des hommes dépouillés de préjugés, et un homme assez ferme pour vous présider.

"

Veuillez donc, messieurs, transmettre à vos collègues cet extrait de mes intentions, qui toutes ne tendent qu'au bonheur de votre pays. Ce sera préparer leurs réponses à ce que j'aurai l'honneur de leur exposer dans l'assemblée générale. »

L'auditoire resta muet de surprise autant que de crainte. Le consul ne recevant point de réponse, reprit d'un ton plus modéré « Vous paroissez étonnés, messieurs; je n'ai point entendu vous bles

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