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« Un quatrième débarquement est attendu; les vaisseaux sont en vue; mais les vents contraires les empêchent d'aborder.

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Georges et Pichegru arrivent à Paris ; ils sont logés dans la même maison, entourés d'une trentaine de brigands auxquels Georges commande. Ils voient le général Moreau. On connoît le lieu, le jour, l'heure où la première conférence s'est tenue. Un second rendez-vous étoit convenu et n'a pas eu lieu. Il y en a eu un troisième et un quatrième dans la maison même du général Moreau.

« Les traces de Georges et de Pichegru sont suivies de maison en maison; ceux qui ont aidé à leur débarquement; ceux qui, dans l'ombre de la nuit, les ont reçus; ceux qui les ont conduits de poste en poste; ceux qui leur ont donné asile à Paris, leurs confidents, leurs complices, leur principal intermédiaire, le général Moreau, tous sont arrêtés. Les effets et les papiers de Pichegru sont saisis.

"

« L'Angleterre vouloit renverser le gouvernement, assassiner le premier consul, et livrer la France à des siècles de guerres civiles. Les citoyens ne doivent concevoir aucune inquiétude, et doivent prendre exemple sur le gouvernement. »

Ce rapport, rédigé avec beaucoup de

1804.

1804. perfidie quant aux intentions, étoit d'ailleurs exact quant à la plupart des faits. On y voit que Moreau n'est pas moins que Pichegru l'objet principal de la haine du consul, et l'auteur des mouvements du complot. Personne ne doute aujourd'hui que Moreau n'eût connoissance du projet, dont Pichegru devoit être le premier agent; personne ne doute qu'il ne fit des vœux pour le succès de la partie de ce projet qui tendoit à renverser celui qu'il appeloit le tyran de son pays; mais Moreau étoit très prudent et sincèrement républicain. Il ne haïssoit point les rois, mais il croyoit que son pays pouvoit s'en passer. Il vit Pichegru, mais sans adopter toutes ses vues. Quand le ministre de la justice que Moreau traitoit secrètement avec l'ennemi de son pays, il savoit positivement le contraire; mais ce mensonge importoit à son maître, qui craignoit autant Moreau comme républicain, que Pichegru comme royaliste, et qui vouloit les faire périr tous les deux, comme les deux grands obstacles à ses desseins.

dit

Le ministre n'étoit pas de meilleure foi, lorsqu'il invitoit les citoyens à rester tranquilles et à prendre exemple sur le gouvernement. Le gouvernement étoit si peu tranquille que, pendant les jours qui précédèrent et suivirent l'arrestation de Pichegru, Paris ressembloit à une ville de

guerre, et les Tuileries à une forteresse
en état de siège. Toutes les barrières fu-
rent fermées; les rues étoient pleines de
soldats et d'espions. On fit des visites do-
miciliaires; on força les habitants, sous
des peines très sévères, d'aller dénoncer
à la police, non seulement les étrangers
suspects qu'ils connoissoient, mais les pa-
rents et les amis qu'ils logeoient chez eux (1).
Toutes ces précautions annonçoient que
le gouvernement n'étoit pas fort tran-
quille, et n'étoient
pas de nature à rassu-
rer les citoyens.

1804.

Pichegru, trahi par un ami qui lui avoit Pichegra offert un asile, fut arrêté dans son lit. Peu est assasde jours après, Georges subit le même sine dans sort dans la rue des Fossés-Monsieur-le

Prince.

A la joie que le premier consul ressentit en apprenant la nouvelle de ces deux arrestations, on peut estimer la peur qu'il avoit ressentie en apprenant celle de leur arrivée à Paris. Ce fut pour lui une victoire plus douce que celle de Marengo. Il dit à ce sujet plusieurs bons mots, que ses courtisans prétendirent être sublimes, et qui n'étoient que méchants.

Toutes les autorités allèrent, suivant l'usage déja bien établi, lui renouveler les protestations d'amour et de respect dont

(1) Ordonnance du préfet de police, et procla mation du grand-juge.

sa prison.

1804.

elles étoient pénétrées pour sa personne; toutes prononcèrent, à ce sujet, des discours flatteurs et qui commençoient dèslors à devenir une espèce de protocole, dénué de sens et d'esprit. Le premier consul fit à toutes ces députations des réponses gracieuses et préparées d'avance. Voici celle qu'il fit au sénat:

"

Depuis le jour où je suis arrivé à la suprême magistrature, un grand nombre de complots ont été formés contre ma vie. Nourri dans les camps, je n'ai jamais mis aucune importance à des dangers qui ne m'inspirent aucune crainte.

<< Mais je ne puis me défendre d'un sentiment profond et pénible, lorsque je songe dans quelle situation se trouveroit aujourd'hui ce grand peuple, si ce dernier attentat avoit pu réussir: car c'est princi- palement contre la gloire, la liberté et les destinées du peuple françois que l'on a conspiré.

« J'ai depuis long-temps renoncé aux douceurs de la condition privée. Tous mes moments, ma vie entière, sont employés à remplir les devoirs que mes destinées et le peuple françois m'ont imposés.

« Le ciel veillera sur la France, et déjouera les complots des méchants. Les citoyens doivent être sans alarmes. Ma vie durera tant qu'elle sera nécessaire à la na

tion (1); mais, ce que je veux que le peuple 1804françois sache bien, c'est que l'existence, sans sa confiance et sans son amour, seroit pour moi sans consolation, et n'auroit plus. aucun but (2).

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Pendant plus d'un mois toutes les tribunes, tous les journaux, toutes les places publiques retentirent des plus grands éloges de Buonaparte, et des plus violentes déclamations contre l'Angleterre. On por

à cet égard, l'oubli de toutes les bienséances au point de publier, dans le Moniteur du 17 ventôse, l'article suivant :

« Les ministres du roi d'Angleterre comptoient annoncer au parlement qu'ils avoient lâchement fait assassiner le premier consul. Mais celui qui dispose de la vie des hommes et de la destinée des empires en avoit ordonné autrement, Le premier consul, supérieur à tous les événements, tranquille au milieu de ces vaines

(1) C'est probablement en conséquence de cette pensée, et parcequ'il croyoit toujours sa vie nécessaire à la nation, qu'il eut le courage de déserter son armée en Egypte, à Moscou, à Leipsick et à Waterloo....!

Que pensera la postérité, que devons-nous penser nous-mêmes du sentiment qui lui dicta cette phrase héroïque, quand nous la rapprochons de la réponse atroce qu'il fit à peu-près dans le même temps à son frère Lucien, qui lui exprimoit ses craintes que la France ne se révoltât contre l'abus qu'il faisoit de son pouvoir? « Ne crains rien, dit-il, je la saignerai tellement au blanc, qu'elle en sera de long-temps incapable. »

"

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