cette fameuse république de Venise, jadis si florissante, de tout temps renommée pour la sagesse de son gouvernement, et dont le gouvernement remontoit jusqu'au sixième siècle de l'ère chrétienne. Du fond de ses lagunes, Venise lutta souvent avec succès contre les empereurs d'Allemagne, et contre ceux de Constantinople. Elle partagea avec les croisés l'honneur de la conquête et les dépouilles de cette dernière ville; elle fut pendant trois siècles la seule puissance maritime de l'Europe, et le seul entrepôt du commerce des trois parties du monde alors connu ; son commerce étendit sa puissance avec ses richesses; elle avoit été long-temps maîtresse souveraine des belles îles de l'Archipel. Sa rivalité avec Gênes, et la découverte du Cap de Bonne-Espérance, diminuèrent insensiblement les sources de sa prospérité. Depuis la ligue de Cambray (1508) elle a constamment déchu de sa grandeur; mais elle eut le bon esprit de ne pas lutter contre sa destinée, et resta protégée par la sagesse de son gouvernement. Cet état de choses pouvoit durer long-temps: pour le changer, il ne falloit rien moins qu'une révolution comme la nôtre, qui, semblable aux terribles ava lanches, a renversé et détruit tout ce qu'elle a rencontré devant elle. 1797 1797. République ligu rienne. On ne doute plus aujourd'hui que la ruine de la république de Venise n'ait été comprise dans les articles secrets des préliminaires de Léoben, et que, d'après les conventions des hautes puissances contractantes, son territoire n'ait été dèslors réservé à servir d'indemnité à la maison d'Autriche, pour la perte de la Belgique et de la Lombardie. Que les chefs de la république françoise, tout en proclamant l'indépendance des peuples, aient vendu celui de Venise comme on vend un troupeau de moutons, nous avons par-devers nous tant de preuves de leur déloyauté, qu'une de plus ou de moins n'a pas le pouvoir de nous étonner: mais comment l'Autriche a-t-elle pu consentir à un tel marché? Certes, l'histoire remarquera un jour, avec plus de sévérité qu'il ne nous est permis d'en montrer aujourd'hui, que les souverains qui négocient et signent de pareils traités n'ont ni le droit de former de saintes alliances, ni celui de désapprouver les gouvernements de fait. Si la république de Gênes échappa au même sort (1), c'est qu'à cette époque (1) Elle n'y échappa alors que pour le subir quelques années plus tard. On ne peut s'empêcher de remarquer à cette occasion que la république françoise n'a pas laissé subsister une seule des six républiques qui existoient depuis plusieurs siècles en Europe. elle ne pouvoit être ni vendue, ni livrée à aucune puissance alliée du directoire, sans rompre l'équilibre que celui-ci avoit le projet et intérêt d'établir en Italie. Mais la forme de son gouvernement fut changée; d'aristocratique qu'elle étoit, elle devint démocratique. Ce changement étoit préparé depuis long-temps par les missionnaires de la révolution, qu'on appeloit propagandistes. Dès l'année 1791, un des membres les plus fins et les plus célébres de cette société avoit été envoyé à Gênes avec un titre honorable et la commission secréte de corrompre l'esprit de la noblesse, et de semer parmi ses membres les germes de la révolution françoise, qui devoient tôt ou tard étouffer ceux de l'aristocratie génoise, et entraîner la chute de leur gou vernement. Le 13 mai 1797, le peuple de Gênes s'insurgea contre le sénat, et déclara que, las de son esclavage, il reprenoit l'exercice de ses droits. Le sénat, divisé d'opinions, délibéra, négocia et fléchit, au lieu de se défendre; les insurgés, qu'avec un peu de fermeté il eût aisément dispersés, profitèrent de sa foiblesse, s'emparèrent de l'arsenal, armèrent la chiourme, ouvrirent les prisons et proclamèrent leur indépendance. Buonaparte, qui avoit favorisé ce mou 1797. 1797. Puissance vement, offrit sa médiation pour l'apaiser. Elle fut acceptée. D'après les instructions qu'il envoya, la noblesse fut abolie, la souveraineté du peuple reconnue, une nouvelle constitution acceptée aussitôt que présentée (1). Et de toutes ces innovations se composa un amalgame de gouvernement, auquel on donna le nom de république ligurienne; on auroit pu lui donner avec plus de raison celui d'annexe de la république françoise. Celle-ci étoit arrivée à son plus haut péde la ré- riode de gloire, si on peut appeler gloire publique une puissance acquise par toutes sortes françoise. de moyens. On ne peut nier au moins qu'elle ne fût alors très redoutable. A mesure qu'elle effaçoit par des victoires à l'extérieur la honte de ses procédés dans - l'intérieur, elle paroissoit offrir dans sa (1) On ne sera pas fâché de lire un extrait de la lettre que Buonaparte écrivit à ce sujet au doge de Gênes. « Sérénissime doge, vous trouverez ci-joints les noms des personnes que j'ai cru devoir choisir, comme les plus propres à former votre gouvernement provisoire. Ce sont MM. Jacques Brignolé, Charles Cambiaso, Louis Carbonara, Charles Serra, Luc Gentilé, Augustin Carretto, Emmanuel Balbi... Je prie votre sérénité de leur faire connoître leur nomination, et de faire installer le gouvernement le 14 du courant. J'emploierai, toutes les forces de la république françoise pour le faire respecter... » Il faut convenir que quinze ans après, lorsqu'il étoit maître de l'Europe, il ne parloit et n'écrivoit pas d'un ton plus absolu. force une garantie de sa durée. Ses armées la réhabilitoient dans l'opinion publique, qui à son tour se plaisoit à glorifier ses armées. Elle tenoit en ses mains les trophées de la victoire, les lauriers de la paix et la destinée de l'Europe. L'Angleterre elle-même, malgré toute sa fierté, fut contrainte de céder à sa puissante influence, en renvoyant en France lord Malmesbury avec des instructions moins équivoques que la première fois, et des dispositions plus pacifiques. Les conférences s'ouvrirent à Lille sous des auspices en apparence très favorables, mais qui, n'étant secondés par la bonne foi d'aucune des parties contractantes, ne tardèrent pas à se dissiper. 1797. à Paris. A cette même époque, c'est-à-dire le Ambassa17 juillet 1797, Seid-Ali-Effendi, ambas- deur ture sadeur de la sublime Porte en France, arriva à Paris, et le 28 du même mois il fut présenté au directoire. Le directoire affecta de donner le plus grand appareil à cette cérémonie. Cavalerie, infanterie, chevaux de main, carrosses, musique militaire, foule, rien n'y manquoit. Dans le milieu de la cour du Luxenbourg s'élevoit un amphithéâtre en demicercle, décoré des statues de la Liberté, de l'Égalité et de la Sagesse. Dans la partie supérieure étoient placés cinq sièges |