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vos conseils. Voilà, Messieurs, l'unique ambition qui me dévore; sentiment précieux, auquel je m'abandonne avec délices, auquel je sacrifierai, s'il le faut, jusqu'à la dernière goutte de mon sang.

Je vous prie d'ailleurs de m'oublier dans vos décisions. Votre opinion doit être vierge, et ne doit jaillir que de la sincérité de votre cœur, de la pureté de vos intentions, et sur-tout de l'intérêt que chacun de vous doit prendre à la prospérité de l'état. Encore une fois, retournez vers vos collègues, et dites - leur que l'individu, quel qu'il soit, n'est rien, quand il s'agit du bonheur général.

Citoyen consul, répondit l'interlocuteur, mes collègues et moi, nous vous refusons aujourd'hui une réponse qui, d'après les sentiments que vous venez d'exprimer, blesseroit trop votre modestie. Dans quelques jours, le sénat en corps vous transmettra cette réponse, que vous pourriez lire, à l'instant même, dans les yeux de ceux qui vous entourent. Pendant ee dialogue Buonaparte rayonnoit d'espérance et de joie : il avoit atteint son but.

En conséquence des instructions qu'ils reçurent, tous les ministres ordonnèrent, chacun en ce qui le concernoit, aux préfets, aux commandants des départements, aux évêques, aux présidents des tribunaux, aux commissaires de police, d'en

1804.

1804. voyer au premier consul des adresses, dans lesquelles ils le supplieroient d'accepter le titre d'empereur des François.

Motion

Bientôt après arrivèrent de toutes les parties de la France des adresses variées dans le style et uniformes dans l'objet ; adresses que tous les journaux publièrent avec un zèle et un abandon qui ne laissoient aucun doute sur la sincérité de leurs auteurs; adresses dont voici à-peuprès le sens :

« Général, la France étoit perdue, vous l'avez sauvée ; la France pénétrée de reconnoissance vous offre la couronne de Charlemagne. Puissiez-vous la porter longtemps avec gloire, et puissent vos descendants la porter après vous jusqu'à la fin des siècles! >>

Lorsque ces adresses eurent produit leur effet, lorsque les vœux qu'elles exprimoient eurent suffisamment préparé les esprits au dénouement de la grande comédie qu'on jouoit depuis deux mois (1), on frappa le dernier coup, le coup décisif.

Le 30 avril 1804, M. Curée, Gascon faite dans d'origine, confident du prince et membre le tribu- du tribunat, prononça un discours, dans

nat.

(1) Le mot de comédie est peut-être un peu léger pour un évènement qui a eu des suites si graves et si fâcheuses mais quel autre nom donner à des scènes dans lesquelles les anteurs, les acteurs et les spectateurs se moquoient les uns des autres ?

:

lequel il récapitula toute l'histoire de la révolution, assura que la nation avoit besoin d'un chef héréditaire, prétendit que le système d'élection étoit pour les grands états un système de destruction, essaya de prouver que les temps étoient arrivés où la troisième race, effacée du livre héréditaire, laissoit voir la race de Charlemagne demandant vengeance et un successeur digne des trois héros qui l'ont fondée. Il conclut en proposant : 1° que Napoléon fût proclamé empereur de la république françoise; 2° que l'empire fût héréditaire dans sa famille ; 3° que les institutions existantes reçussent une forme définitive et conforme aux deux premiers articles de ce vœu.

MM. Siméon, Duveyrier, Jaubert, Duvidal, Fréville et Carion-Nisas, appuyerent cette motion de tout ce que l'histoire, les services du premier consul, les avantages du système héréditaire, le passé, le présent et l'avenir, pouvoient fournir d'arguments péremptoires en sa faveur.

M. Carnot seul osa parler contre la motion, et dire que si Buonaparte avoit en effet rétabli la liberté en France, ce n'étoit

pas une raison de lui en offrir le sacrifice pour récompense. L'opposition de M. Carnot ne servit qu'à rehausser le triomphe du consul. La motion de M. Curée fut convertie en décret et portée au

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sénat par une députation, au discours de laquelle le vice-président répondit ce qui

suit :

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Citoyens tribuns, ce jour est remarquable: c'est celui où vous exercez pour la première fois près du sénat conservateur cette initiative républicaine et populaire que vous ont déléguée nos lois fondamentales. Vous ne pouviez ni l'essayer dans un moment plus favorable, ni l'appliquer à un plus grand objet. Vous venez d'exprimer devant les conservateurs des droits nationaux un droit national. Je dois vous dire que depuis long-temps le sénat avoit fixé sur le même sujet la pensée du premier consul.

« Comme vous, citoyens tribuns, nous ne voulons pas des Bourbons, parceque nous ne voulons pas la contre-révolution, seul présent que puissent nous faire ces malheureux transfuges, qui ont emporté avec eux le despotisme, la noblesse, la féodalité, la servitude et l'ignorance (1).

« Comme vous, nous voulons élever une nouvelle dynastie, parceque nous voulons garantir au peuple françois tous ses droits,

(1) Si cette phrase signifie quelque chose, elle tend à faire croire que sous le règne des Bourbons les François n'ont fait que végéter dans la servitude et dans l'ignorance. M. le président du sénat devoit pourtant se douter que cela n'étoit pas vrai, et que le siècle de Louis XIV valoit bien celui de Buonaparte.

que des insensés ont le projet de lui reprendre. Comme vous, nous voulons que la liberté, l'égalité et les lumières ne puissent plus rétrograder.

« Je ne parle pas du grand homme appelé par sa gloire à donner son nom à son siècle, et qui doit l'être par nos vœux à nous consacrer son existence. Ce n'est pas pour lui, c'est pour nous qu'il doit se dévouer. Ce que vous proposez avec enthousiasme, le sénat le pèse avec calme.

"

«< Citoyens tribuns, c'est ici qu'est la pierre angulaire de l'édifice social, mais c'est dans le gouvernement d'un chef héréditaire qu'est la clef de la voûte. Vous déposez dans notre sein le vœu que cette voûte soit enfin cimentée. En recevant ce vou, le sénat ne perd pas de vue que ce que vous sollicitez est moins un changement de l'état de la république, qu'un moyen de perfection et de stabilité.... »

Quelques jours avant celui où ce discours fut prononcé, le sénat avoit pris une première initiative, en adressant au consul les paroles suivantes, par l'organe de M. Cambacérès :

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1804.

du sénat,

Citoyen premier consul, vous êtes Adresse pressé par le temps, par les événements, par les conspirateurs, par les ambitieux. Vous seul pouvez enchainer le temps, maîtriser les événements, mettre un frein aux conspirateurs, désarmer les ambi

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