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bell, qui les a tourmentés pendant toute sa vie; à l'abbé Morellet, qui a défendu les parents des émigrés, qu'à Chazal, qui les envoyoit mourir à l'hôpital; à Moreau, qui refusa l'emploi de ses grands talents à Buonaparte, qu'à Buonaparte, qui les faisoit fusiller dans la plaine de Grenelle.

Étrange aveuglement ! détestable politique ! C'est en raisonnant, c'est en agissant ainsi que les royalistes ont toujours perdu leur cause avec tous les moyens, avec les plus belles occasions de la gagner. C'est en raisonnant et en agissant ainsi qu'ils réussirent à faire de la journée du 18 fructidor, qui devoit éclairer leur triomphe, une journée de deuil et de désolation, une journée dont les suites funestes se font ressentir encore aujourd'hui, même après la restauration.

La veille de cette journée, à huit heures du soir, la commission du conseil des anciens se rassembla aux Tuileries. L'auteur de cette histoire y fut appelé; et, parmi les vingt membres qui composoient cette assemblée, il remarqua particulièrement MM. Rovère qui la présidoit, Portalis, Pichegru, Willot, Aubry, Tronçon-Ducoudray, Lemarchand-Gomicourt, Couchery, etc.

La discussion dont nous allons rendre compte est si peu connue, et a eu tant d'influence sur nos destinées, que nous

1797.

1797.

Conseil

tenu la

18 fructi

dor.

pensons que d'en rendre
compte avec dé-
tail, ce n'est pas nous écarter de notre
plan, ni rompre aucune des proportions
que nous nous sommes imposées dans le
cours de cet ouvrage.

M. Rovère, président (1). Nous voici rassemblés, messieurs, peut-être pour la derveille du nière fois, afin de délibérer sur les dangers qui nous menacent individuellement et collectivement. Le temps presse. Tous les rapports s'accordent à nous annoncer que nous serons attaqués cette nuit même. Depuis quinze jours, le directoire ne dissimuloit ni ses projets ni ses préparatifs : mais depuis vingt-quatre heures, il a jeté le masque. Il a fait arrêter les généraux Raffet et Malo. Son palais est entouré de canons. Augereau, arrivé ce matin avec une division de l'armée d'Italie, a reçu de Buonaparte l'ordre précis de protéger le directoire et de dissoudre ce qu'il appelle les conseils du roi de Vérone.

Il ne s'agit pas de savoir de qui Buonaparte a reçu le droit de protéger le directoire et de dissoudre les conseils; mais il importe que les menaces, les menaces, le ton et l'attitude de ce jeune ambitieux ne nous ôtent ni le sentiment de notre dignité personnelle, ni la faculté de nous expliquer sans

(1) M. de Rovère, marquis de Fonvielle, député des Bouches-du-Rhône à la convention, mort à Cayenne en 1798.

crainte sur la situation des choses, sur les ressources qui nous restent, et sur les moyens de les employer sans délai. Voilà, messieurs, quel est l'objet de votre délibération.

M. Aubry (1). J'ai lu les rapports dont le président vient de parler: s'ils sont exacts, nous serons attaqués avant le lever du soleil. La première question qui se présente à notre délibération est donc celleci: Avons-nous le moyen de résister? Je sais que l'ennemi est pret ; j'ignore si nous le sommes. Je sais que l'ennemi a des intelligences dans notre camp; j'ignore si nous en avons dans le sien. Je sais que nous avons pour nous la charte et l'opinion publique; mais vous savez aussi bien que moi que ce sont de foibles remparts contre des canons et des baïonnettes. Je demande donc, avant tout, si nous avons des baïonnettes et des canons; et, sur cette question, il convient d'avoir l'avis des deux généraux qui sont ici présents.

Le général Pichegru (2). Je suis venu ici, messieurs, pour recevoir vos ordres, et non pour vous donner des renseigne

(1) M. Aubry, député du département du Gard à la convention, étoit avant la révolution capitaine d'artillerie: il est mort à l'âge de quarante-neuf ans sur le vaisseau qui le ramenoit en Europe.

(2) Le général Pichegru, député du département du Doubs, mort étranglé dans la tour da Temple.

1797

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ments. Vous connoissez mieux que moi l'esprit de Paris. Si j'en crois les apparences, cet esprit est bon, il est à nous. Toute la jeunesse est pleine d'ardeur, et ne demande qu'à marcher contre l'ennemi. Mais où est l'ennemi ? Ayez le courage de le désigner; remontez à la source du mal; nommez-en les auteurs; et j'ose vous assurer qu'ils seront mal défendus leurs baïonnettes et par leurs ca

et par

nons. Tel est mon avis. A

Le général Willot (1). Voici le mien. Déclarez-vous franchement, messieurs; proclamez votre opinion: mettez ensuite l'ennemi hors la loi. Avec deux cents hommes que j'ai à ma disposition, je réponds de votre salut et du mien.

M. Tronçon-Ducoudray (2). Quelque pressant que soit le danger, il ne l'est pas au point de nous faire oublier les lois et la constitution. Rien ne nous autorise à repousser la violence par la violence. Nous avons pour nous la constitution, les tribunaux et l'opinion publique. Si le directoire s'est rendu coupable de haute trahison en se mettant en guerre avec les deux conseils, les conseils ont le droit et le temps de le mettre en état d'accusation. Mais

(1) Le général Willot, député des Bouches-du

Rhône.

(2) M. Tronçon-Ducoudray, avocat, et député du département de la Seine.

nous qui sommes rassemblés ici pour délibérer sur nos moyens de défense, nous n'avons ni le droit de faire des lois, ni celui de mettre le directoire hors la loi; c'est par une dénonciation régulière, que je me propose de faire demain aux conseils, que nous parviendrons.....

Une voix. Demain il ne sera plus temps. M. Tronçon-Ducoudray. Je demande en attendant que, séance tenante, nous envoyions un message aux citoyens Carnot et Barthélemy, afin d'en obtenir des renseignements plus positifs que ceux que nous avons sur les projets du directoire, et de se réunir à nous, si ces projets sont tels qu'on les signale dans les rapports.

Lemarchand-Gomicourt (1), avec humeur. Ce sont toutes ces demi-mesures qui nous perdent. Nous délibérons quand il faudroit agir. Qu'ai-je besoin de délibérer, pour détourner le poignard qu'un brigand me porte sur la poitrine? à quoi servira le message dont on vient de nous parler? Des deux directeurs qui sont dans nos intérêts, l'un, absent depuis trente ans, toujours occupé d'affaires étrangères à la révolution, ne connoît ni les hommes ni les choses qui nous occupent dans ce moment; l'autre est dans une fausse position, et ne peut vous donner ni conseils ni renseignements utiles.

(1) Député de la Somme.

1797.

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