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des anarchistes. Au lieu de l'affection générale dont il se croyoit l'objet, il ne vit plus que des cabales, des jalousies, des ressentiments et des fureurs. Au bout de deux mois il voguoit sur une mer inconnue et pleine d'orages, sans pilote et sans boussole. Le 18 fructidor arrive. L'orage éclate; il est frappé : et, au lieu du vainqueur de la ligue, qu'il appeloit de tous ses vœux, il n'aperçoit que le spectre effrayant de la révolution."

Vers les cinq heures du soir, le bruit se répandit que le faubourg Saint-Antoine marchoit au Luxembourg pour le protéger contre les royalistes. Ce bruit étoit sans fondement. Mais il étoit vrai que deux ou trois cents bandits mal vêtus, armés de piques, et traînant deux pièces de canon, traversèrent une partie de la ville dans le plus hideux de tous les cortèges, et allèrent offrir leurs bras au directoire, pour en finir.

Ces derniers mots n'étoient pas équivoques, et annonçoient fort clairement le projet d'égorger les prisonniers du Temple. Le directoire eut peur. Il ne voulut ni les voir ni les entendre. On leur jeta quel ques écus, et on les congédia avant da

nuit.

Cette nuit fut pleine d'alarmes. Les ha bitants craignoient également le pillage et le feu. Les soldats bivouaquoient sur les

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ponts et sur les places, murmurant tantôt contre les royalistes, qu'ils étoient venus, disoient-ils, mettre à la raison, et tantôt contre le directoire qui retenoit leurs bras et n'accomplissoit pas ses promesses. Cependant il n'y eut ni pillage, ni incendie. Peu-à-peu les alarmes se dissipèrent ; les affaires et les plaisirs reprirent leur cours ordinaire: et telle est la légèreté des Parisiens, que deux jours après, cette journée qui les avoit si fort consternés, qui les avoit privés de leur liberté, qui avoit failli faire de leur ville un champ de carnage, n'étoit plus qu'une nouvelle de gazette et un sujet de conversation.

Ce n'est pas qu'on ne plaignît les victimes nombreuses de cette journée; mais la pitié qu'elles inspiroient n'alloit pas jusqu'à troubler le sommeil ou les plaisirs de ceux qui l'éprouvoient; ce n'est pas qu'on ajoutât la moindre foi aux calomnies dont le directoire peu généreux ne cessoit d'accabler son ennemi par terre : mais cette incrédulité n'empêchoit ni de payer l'impôt, ní d'obéir au gouverne

ment nouveau.

Pour dissiper une partie des préventions que le public s'obstinoit à garder contre lui, le directoire publia une lettre du général Moreau au directeur Barthélemy; lettre dans laquelle le général dénonçoit comme traître son maître et son ami Pichegru. La voici :

Le général en chef de l'armée de Rhin et
Moselle au citoyen Barthélemy, membre du.
directoire.

Au quartier-général de Strasbourg,
19 fructidor an 5.

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dénoncé par

« Vous vous rappelez sûrement qu'à Pichegru mon dernier Voyage à Bale je vous instruisis qu'au passage du Rhin nous avions Moreau. pris un fourgon au général Kinglin, contenant; deux ou trois cents lettres de sa correspondance. Celles de Witterbach en faisoient partie; mais c'étoient les moins importantes. Beaucoup de ces lettres sont en chiffres: on s'occupe à les déchiffrer; ce qui sera long.

« Personne n'y porte son vrai nom; de sorte que beaucoup de François qui correspondent avec Kinglin, Condé, d'Enghien et autres sont difficiles à découvrir.

« J'étois décidé à ne donner aucune publicité à cette correspondance, puisque la paix étant présumable, il n'y avoit plus de dangers à craindre pour la république.

"

Mais voyant à la tête des partis qui font actuellement tant de mal à notre pays, un homme jouissant d'une place éminente, et destiné à jouer un grand rôle dans le rappel du prétendant, j'ai cru devoir vous en instruire, pour que vous ne, soyez pas dupe de son feint républica

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nisme, que vous puissiez faire éclairer.ses démarches, et vous opposer aux coups funestes qu'il peut porter à notre pays, puisque la guerre civile ne peut qu'être le but de ses projets.

"Je vous avoue, citoyen directeur, qu'il m'en coûte infiniment de vous instruire d'une telle trahison, d'autant plus que celui que je que je vous fais connoître à été mon ami, et le seroit sûrement encore, s'il ne m'étoit connu. Je veux parler du représentant du peuple Pichegru; il a été assez prudent pour ne rien écrire; il ne communiquoit que verbalement avec ceux qui étoient chargés de la correspondance, qui faisoient part de ses projets, et qui recevoient ses réponses.

« Il est désigné sous plusieurs noms, et entre autres sous celui de Baptiste. Un chef de brigade nommé Badouville lui étoit attaché, et désigné sous le nom de Coco: il étoit un des courriers dont il se servoit, ainsi que les autres correspondants. Vous devez l'avoir vu à Bâle.

« Le grand mouvement devoit s'opérer au commencement de la campagne de l'an 4; on comptoit sur des revers, à mon arrivée à l'armée, qui, mécontente d'être battue, devoit redemander son ancien chef, qui alors auroit agi d'après les instructions qu'il avoit reçues.

« Il a dû recevoir 900 louis pour le

voyage qu'il fit à Paris à l'époque de sa mission: de là vient son refus de l'ambassade de Suede. Je soupçonne la famille Lajolais d'être dans cette intrigue.

« Il n'y a que la grande confiance que j'ai en votre patriotisme et en votre sagesse qui m'a déterminé à vous donner cet avis. Les preuves en sont plus claires que le jour; mais je doute qu'elles puissent étre judiciaires (1).

« Je vous prie, citoyen directeur, de vouloir bien m'éclairer de vos avis dans une affaire aussi épineuse. Vous me connoissez assez pour croire combien a dû me coûter cette confidence: il n'a pas fallu moins que les dangers que court mon pays pour vous la faire. Ce secret est entre cinq personnes les généraux Desaix, Reignier, un de mes aides-de-camp et un officier chargé de la partie secrète de l'armée, qui suit continuellement les renseignements que donnent les lettres qu'on déchiffre.

« Recevez l'assurance de l'estime distinguée et de mon inviolable attachement. « Signé MOREAU. »

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Si Moreau a réellement écrit cette

(1) On ne reconnoît point dans cette dernière phrase le grand sens de Moreau; ce qui pourroit faire douter que le reste de la lettre fût son ouvrage, Il y a eu tant de faussaires dans ces temps malheu

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