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1797

craignoient, en rompant leur ban, de sacrifier leurs familles à leur salut personnel; ils espéroient d'ailleurs que le jour de la justice ne tarderoit pas à luire pour eux comme pour la nation. Ils s'abusoient : le jour de la justice étoit encore bien éloigné.

Pour ne plus revenir sur cet affligeant sujet, nous dirons que des seize déportés à la Guyane en vertu de la loi du 19 fructidor, six ont péri sur la terre de leur exil (1); huit sont parvenus à s'évader (2); et les deux autres obtinrent, en 1799, la permission de revenir en France (3).

C'étoit pour se dispenser de faire couler le sang sur les échafauds que le directoire déportoit à la Guyane les écrivains, les députés, les prêtres, les émigrés, tous ceux en un mot dont il vouloit se défaire, et qu'il n'avoit pas le courage de faire assassiner sous ses yeux. Il les Y envoyoit par cargaisons. Dans le mois de janvier 1798, il en fit partir à-la-fois cent quatre-vingt-treize, qui furent jetés comme des cadavres sur cette terre dévo

(1) MM. de Murinais, maréchal de camp; le marquis de Rovère, Bourdon de l'Oise, procureur; Tronçon-Ducoudray, avocat, tous les quatre députés; MM Lavilleheurnoy, ancien maître des requêtes; et Brottier, prêtre et professeur de mathématiques.

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(2) Les généraux Pichegru, Willot, Ramel; MM. Barthélemy, et Letellier, son domestique; DeJarue, Aubry et Dossonville.

(3) MM. Barbé-Marbois et Lafont-Ladebat.

4.

rante, et qui ne se servirent de la béche qu'on remit en leurs foibles mains que pour creuser leur fosse (1).

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de la France

après le

18 fructi

dor.

La journée du 18 fructidor remit la Situation France au point où elle étoit avant celle du 9 thermidor, c'est-à-dire sous le joug de la terreur : elle rouvrit les cachots de Robespierre, rétablit les tribunaux révolutionnaires sous le nom de commissions militaires, rappela dans les administrations les héritiers de Marat, d'Hébert et de Danton, chassa de France cent mille propriétaires, et désabusa pour toujours les gens simples et honnêtes du régime républicain.

Les conseils, avilis et mutilés, n'étoient plus que l'ombre vaine d'une représentation nationale. Prosternés devant le directoire, ils ne craignirent pas de se rendre les ministres de son despotisme, décrétant ses volontés, rapportant les décrets qui génoient son pouvoir, laissant les finances et les armées à sa disposition, et voulant bien prendre sur leur compte les charges d'une tyrannie dont le directoire recueilloit tous les bénéfices: mais celuici, composé d'hommes sans élévation

(1) La Guyane françoise étoit renommée depuis long-temps pour son terrain marécageux et son air malsain. Parmi les reproches que mérite l'administration de M. de Choiseul, celui d'y avoir envoyé péri huit ou dix mille François n'est pas encore oùblié; et le directoire s'en souviót à

propos.

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comme sans énergie, ne sut pas profiter des avantages de sa position, et n'osa jamais tout ce qu'il put.

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Pour remplacer MM. Carnot et Barthélemy, il venoit de s'adjoindre MM. Merlin de Douai, et François de Neufchâteau ; T'un jurisconsulte érudit, et fameux dans la révolution par sa loi sur les suspects; l'autre, homme de lettres, connu par des succès de college; et tous les deux également déplacés à la tête du gouvernement.

Ainsi la république n'existoit plus que de nom. Les conseils recevoient du directoire les ordres qu'ils devoient lui donner. Le directoire avoit remplacé le comité de salut public, et marchoit sur ses traces. Telle étoit notre position à la fin de l'année 1797.

Pour un système nouveau il fallut de nouveaux hommes. Les administrateurs furent destitués par-tout, et remplacés par les créatures du directoire. La constitution lui donnoit le droit de destituer, mais celui de nommer appartenoit aux colléges électoraux : il s'en empara. Plus il sentoit la fragilité de son existence, plus il voulut multiplier les supports autour de lui. En brisant avec violence les barrières que la constitution lui donnoit, autant pour protéger que pour circonscrire son pouvoir, il s'étoit mis dans la fâcheuse nécessité d'en chercher d'autres, et de

se défendre par tous les moyens que la ruse et la force 'mettoient tour-à-tour à sa disposition. Aussi, depuis le 18 fructidor jusqu'au 18 brumaire, le gouvernement ne fut qu'une anarchie constitutionnelle.

La nouvelle de cette révolution n'ar-riva aux armées que revêtue des couleurs et de la livrée du directoire. Elle y fut mal accueillie dans l'armée du Nord, mais très. bien dans celle d'Italie, que, depuis deux ans, on remplissoit de préventions contre les conseils. Du reste elle ne changea rien aux plans de Buonaparte.

Il avoit promis son appui aux triumvirs, et il tint parole. Peu de jours avant l'événement, ceux-ci lui avoient écrit : « Nous nous jetons dans vos bras : vous avez les mêmes intérêts que nous à défendre, et vous avez le moyen de nous

sauver. »

Cette étrange proposition le rendoit l'arbitre de nos destinées; il le sentit ; mais il sentit en même temps qu'elle étoit irrégulière, et qu'il y auroit quelque danger à l'accepter. İl pensa que les conseils pou voient lui en faire une autre plus légale, et qui lui conviendroit mieux. Mais, ou les conseils n'y songèrent pas, ou ils dédaignèrent de recourir à cette ressource. Il attendoit leur envoyé, et ne doutoit pas de son arrivée. Il étoit alors renfermé dans le

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château de Montebello comme dans un fort inaccessible, n'y recevant que ses familiers, travaillant beaucoup, employant cinq ou six secrétaires, envoyant des courriers, et dictant des lois au pape, au roi de Sardaigne, au sénat de Gênes, à la république cisalpine. Il espéroit pouvoir bientôt en dicter à la France. Il attendit en vain. Se croyant délaissé, et peut-être même deviné par les conseils, il accepta les propositions du directoire, et lui envoya le général Augereau avec une divi

sion de son armée,

Buonaparte étoit assurément plus dissimulé qu'on ne l'est communément à son âge: cependant il ne l'étoit pas encore assez pour échapper à tous les regards. Il y avoit dans son armée, comme à Paris, des hommes qui l'observoient, qui le suivoient pas à pas, qui ne se fioient nullement à ses paroles, et qui n'étoient pas tellement séduits par l'auréole de sa gloire militaire, qu'ils n'entrevissent très bien le but de sa politique, et qui ne doutoient pas que ce but ne fût le pouvoir suprême. Ce n'est pas ici une simple conjecture que nous émettons; c'est un fait dont nous pourrions offrir la preuve dans l'Histoire du 18 fructidor (1) que nous publiâmes dans le temps, s'il nous étoit permis de nous ci

(1) Histoire du 18 fructidor, ses causes et ses effets; 2 vol. in-8°. Hambourg, 1799.

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