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LA haute poésie se présente partout sous deux formes principales la première lyrique, la seconde narrative. Sous la première, le poète contemple des vérités générales, le plus souvent des vérités religieuses; il se laisse saisir et entraîner par cette contemplation; les sentiments qu'elle excite dans son âme en débordent, et c'est sous l'impression, sous le tourment de ces pensées, qu'il laisse échapper des paroles harmonieuses, figurées, pleines de mouvement et de transport, expression de l'enthousiasme de l'âme à la vue des choses universelles, des choses divines. Aussi l'enthousiasme, c'est-à-dire l'inspiration, a-t-il toujours caractérisé ce genre de poésie; c'était, selon les anciens, le Dieu

même de la poésie qui s'abattait sur son interprète, et qui lui versait ses oracles dans le sein : « Le Dieu! voilà le Dieu ! »

Il est naturel de penser que la poésie lyrique, ou plus exactement hymnique, fut la source sacrée de toute poésie. Les premiers hommes, en effet, avaient peu de choses à se raconter; la société n'avait point encore produit assez d'évènements pour fournir matière aux œuvres narratives. On avait sous les yeux la nature, on avait dans l'intelligence les dogmes primitifs de la révélation; on n'était point devenu encore, par l'habitude et par les préoccupations de la vie corporelle, insensible aux beautés de la création, sourd à la parole intérieure; on était naïvement ému, effrayé, attendri, et tous ces mouvements de l'âme se répandaient au dehors par des chants. Aussi l'hymne domine-telle dans les monuments de l'ancienne poésie. La Bible en est pleine. Le récit même de la création qui la commence porte, comme on l'a déjà observé, les caractères de l'hymne, par la grandeur et la rapidité des tableaux, par l'élévation des expressions, et par le retour périodique des mêmes termes, qui, à la fin de chacun des six jours, semble terminer une stance. On dirait que le prophète, dont l'exactitude est si bien vérifiée aujourd'hui par la géologie, voyait, en écrivant, les choses se passer devant ses yeux, et qu'à l'aspect de ces merveilleuses apparitions de l'univers naissant, incapable de rendre par des sons humains tout ce qu'il sentait dans son cœur, il se bornait à narrer avec un calme sublime, au fond duquel on sent encore quelque chose de l'enthousiasme comprimé qui le remplissait.

Une foule d'hymnes ornait la mémoire du peuple, et lui servait de monuments historiques en même temps que d'enseignements religieux. Tantôt Moïse les rapporte au long, comme le chant de la mer Rouge; tantôt il se contente de les rappeler par leurs premiers mots. Les psaumes, les écrits des prophètes postérieurs, ne sont, pour ainsi dire, qu'un

recueil d'odes, dont plusieurs sont incomparables. Cette terre d'Asie avait vu les merveilles des jours anciens; de tout temps elle fut contemplative et religieuse il fallait donc bien que sa littérature portât l'empreinte de son esprit, et que l'hymne de l'homme s'élevât d'abord de ce berceau de l'humanité qui avait entendu la parole de Dieu.

Nous ne possédons point les hymnes primitives de la Grèce ; néanmoins on ne peut douter que la poésie grecque n'ait aussi commencé par là. Les hymnes attribuées à Orphée, et surtout celles qui portent le nom d'Homère, n'ont rien qui trahisse la nouveauté du genre. Au contraire, l'invocation qui les commence, et la salutation qui les termine toujours, semblent indiquer un cadre arrêté déjà par un long usage, une de ces formes immuables que les anciens sacerdoces prescrivaient aux choses du culte, comme pour les sphynx en Egypte. Même dans les poèmes narratifs, on peut trouver des traces d'hymne: pour moi, je ne puis croire qu'Homère n'ait pas mis à contribution celles qui existaient de son temps, et qu'il ne leur ait pas emprunté plusieurs de ces beaux passages où il dépeint la grandeur de la divinité; celui-ci par exemple : « Nul ne peut lutter contre Jupiter.... pas même l'immense puissance de l'Océan, de qui sortent tous les fleuves, et toutes les mers, et toutes les fontaines, et les vastes étangs lui aussi, il a peur de la foudre de ce grand Dieu, et de son effrayant tonnerre, lors-qu'il l'entend gronder du haut du ciel. » Le génie d'Homère n'a pas jailli tout-à-coup dans le monde sans s'être formé déjà dans la société où il vivait, et dont il partageait les idées; or les idées religieuses dominent de si haut dans tous ses écrits, qu'il faut nécessairement admettre, selon nous, l'existence antérieure d'une poésie religieuse, dans laquelle il aura largement puisé.

Bien plus, il est certain que la tragédie grecque, cet admirable répertoire de poésie et de religion, ne fut d'abord qu'une hymne chantée en choeur. C'était la louange des

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