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CAMPAGNES

DE

CHARLES-QUINT ET DE PHILIPPE II

(1554-1557).

RELATIONS CONTEMPORAINES,

TRADUITES DU FLAMAND, D'APRÈS LE TEXTE ORIGINAL, ET ACCOMPAGNÉES DE NOTES HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES,

PAR

M. LOUIS TORFS,

MEMBRE CORRESPONDANT, A ANVERS.

C'est à feu M. Rethaan-Macaré, un des plus savants bibliophiles hollandais, que nous sommes redevables de la connaissance des deux relations, dont nous nous hasardons d'offrir une traduction au public studieux. Il en publia le texte original dans la Kronijk de la Société historique d'Utrecht (année 1851, pp. 280-308 et 312-340); mais sans y ajouter aucune note ou commentaire, dont ces récits avaient cependant grand besoin. Ce n'est pas que ces relations, rédigées sous forme de journal, soient des chefs-d'œuvre dans leur genre, car le style et l'orthographe trahissent partout la plume d'un homme peu lettré. Aussi, n'est-ce point sous ce rapport qu'il faut les juger, mais sous celui des détails recueillis tantôt de visu, tantôt de

Commissaires rapporteurs: MM. le général GUILLAUME et P. HENRARD.

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auditu par un militaire qui avait fait les deux campagnes et qui, en nous racontant les événements de la guerre, nous initie à des incidents parfois très-vulgaires, mais qui, par cela même, sont d'autant plus précieux.

Ces relations présentent d'ailleurs un intérêt particulier pour nos provinces wallonnes et les départements du nord de la France, formés de la Picardie, de l'Artois, du Cambrésis et d'une grande partie du Hainaut, qui furent le principal théâtre des deux campagnes. De plus, comme on y est, en général, fort peu familiarisé avec les écrits flamands, il nous a semblé que Wallons et Français ne seraient pas fâchés de pouvoir apprécier, par une traduction, cette narration des événements militaires de 1554 et de 1557, écrite par un Flamand sans aucune prétention à la célébrité, car nulle part il ne se fait connaître.

Seulement, à en juger par l'orthographe de certains mots usuels, l'auteur serait originaire des provinces septentrionales des Pays-Bas et, d'après un certain nombre de détails locaux, il aurait habité Malines. Il semble aussi qu'il ait appartenu à l'artillerie; mais s'il y avait une position, elle doit avoir été très-subalterne, car de l'ensemble des mouvements stratégiques, il ne sait pas plus long que le dernier pionnier. Par contre, Par contre, il annote assez exactement les dates et les lieux d'étape du gros de l'armée commandée par le duc de Savoie.

Il ne faut donc pas chercher dans les deux relations, des données bien neuves sur les plans stratégiques des généraux ou sur la politique de Charles-Quint et de Philippe II; mais, en revanche, elles abondent en détails sur la manière de guerroyer à cette époque, sur le régime intérieur des camps et les mœurs du soldat, la discipline militaire et la composition des armées dont M. le capitaine

Henrard, dans son rapport sur le présent travail, a caractérisé les vices en ces termes:

« Ces armées, dit-il, renfermaient, indépendamment des >> troupes nationales, des régiments allemands, espagnols >> et, en petit nombre, italiens'. Levés à prix d'argent au >> moment du besoin et combattant pour des causes qui >> leur étaient étrangères, ces mercenaires, ramassis d'aven>>turiers de toutes les nations, sous les ordres de capitaines » célèbres, n'avaient en faisant la guerre d'autre mobile >> que la cupidité. . . Piller et rançonner était leur but » suprême. De là, la barbarie avec laquelle étaient traitées » les misérables populations des villes et des campagnes, » la ruine du pays au cœur duquel était portée la guerre; » de là aussi l'indiscipline dont une armée qui se livrait » à de tels brigandages, devait nécessairement devenir » la proie. >>>

Parmi les corps étrangers qui se signalaient par leur insubordination, on remarque surtout la cavalerie noire du comte de Schwartzbourg. Troupe d'élite venue de la haute Allemagne, elle comptait dans ses rangs beaucoup de coquins déterminés qui ne se faisaient aucun scrupule, lorsqu'ils en trouvaient l'occasion, de dévaliser les vivandiers du camp impérial et se moquaient des ordres du jour, au point de piller et de massacrer les prisonniers confiés à leur escorte. Par deux fois, pendant la campagne de 1554, l'insubordination des cavaliers noirs dégénéra même en révolte ouverte, dans laquelle la vie du duc de Savoie et des autres principaux chefs de l'armée courut les plus grands périls.

Les autres troupes allemandes à la solde de Charles

1 Il У avait en outre un contingent anglais, envoyé par la reine Marie. Dans l'armée de France, on avait des mercenaires anglais, écossais, suisses et allemands:

Quint, ne valaient guère mieux « que ces reitres qui, comme >> le dit ironiquement Rabutin, s'estoient tous faictz noirs » comme beaux diables, pour nous intimider. » A SaintRiquier, par exemple, on voit ces Allemands se conduire impunément comme de véritables iconoclastes. Les troupes du Rhingrave, au service du roi très-chrétien, ne respectèrent même pas la vie des ecclésiastiques. Ces excès, pour ne pas parler des viols et d'autres attentats infâmes avaient rendu les bandes allemandes la terreur des campagnes belges.

Les deux relations nous permettent aussi d'apprécier le peu de respect qu'on avait alors pour les propriétés privées. De part et d'autre, on ravage sans aucune nécessité les terres et les moissons, on brûle les châteaux, on exerce les représailles les moins justifiables. A la destruction de son château de Folembraie, Henri II répond par l'incendie non moins regrettable de la maison de plaisance de Mariemont, et Charles-Quint croit venger l'affreuse dévastation du Hainaut en mettant la Picardie en feu.

Pour l'exécution de ces stériles représailles, les deux armées avaient chacune à leur suite quelques boute-feux en titre (brandmeesters), qui étaient appuyés et protégés par des détachements armés. La besogne de ces incendiaires officiels, lorsqu'il ne s'agissait pas de quelque château seigneurial, a dù être des plus faciles, les habitations villageoises, à cette époque, étant généralement construites en bois ou en argile, avec des toitures en chaume ou en paille, de sorte que le feu se communiquait rapidement d'une maison à l'autre.

L'impassibilité stoïque avec laquelle notre anonyme enregistre tous ces ravages, ferait croire qu'il les jugeait de bonne guerre, car il ne trouve pas un seul mot pour les blâmer. Toutefois, il ne les approuve pas non plus en

termes exprès, et quel que soit le motif de sa discrétion, il montre à cet égard moins de franchise que le capitaine François de Rabutin. Celui-ci, qui avait sans doute reçu une éducation distinguée, « n'hésite pas de témoigner grande pitié » pour les malheureux habitants du Hainaut, surpris avec leurs bestiaux et leurs meubles dans leurs maisons et voués aux flammes. Il regrette de ne « pouvoir escrire qu'avec compassion » le récit de la destruction. des châteaux de Mariemont et de Trazegnies. Il hasarde même quelques paroles de critique et, à l'occasion des « merueilleux dégastz» faits en Artois par le corps du prince de la Roche-sur-Yon, il dit « que ce sont les misères et calamitez que les guerres et dissensions entre les grands princes apportent au pauvre peuple '. » Réflexion devenue banale, à force d'avoir été répétée, mais qui n'en fait pas moins remonter à qui de droit la responsabilité des désastres de la guerre.

Un autre point sur lequel notre anonyme ne s'apitoie pas davantage, c'est la sévérité et l'arbitraire parfois révoltant de la justice militaire. Les révélations faites par les délinquants, n'empêchaient pas le prévôt de violer sa promesse de leur faire grâce de la vie. C'est ainsi que nous voyons le chef d'une bande d'incendiaires français, qui les avait trahis, envoyé avec eux au gibet. C'est ainsi encore que quelques autres Français, échappés de Saint-Quentin et qui avaient donné des renseignements précieux sur les travaux de défense des assiégés, reçurent la hart pour récompense.

Nous avons exprimé plus haut l'opinion que l'auteur appartenait au corps de l'artillerie; cette présomption semble trouver une confirmation dans la circonstance qu'il

Commentaires, livre VI, pp. 49, 50 et 56 verso.

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