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166. En conséquence, il n'y a pas lieu de procéder conformément à ces lois, dans le cas d'indemnités réclamées :

Pour cessation d'établissements d'industrie prohibés par des dispositions législatives (1);

Pour suppression ou diminution de la force motrice des usines établies sur cours d'eau (2);

Pour privation d'une prise d'eau nécessaire à l'alimentation de l'usine d'un particulier (3);

Pour dérivation et emprunt des eaux appartenant à une association (4);

Pour le préjudice que le Gouvernement causerait à des concessionnaires en réduisant, contre leur volonté, la perception des droits de navigation sur les canaux par eux exécutés (5). Et l'acte du Gouvernement qui, en se fondant sur l'intérêt général, a rompu le contrat, n'est pas susceptible d'être annulé par la voie contentieuse. On ne comprendrait pas, en effet, que, dans le service public des communications, comme dans toutes les autres parties des services publics, par exemple, dans le service de l'armée ou de la défense militaire, l'Etat pût être tellement lié par une convention, qu'il fût obligé de l'exécuter en nature, au risque de laisser périr l'armée, la défense militaire, ou une voie de communication. Il faut donc que la convention soit résiliée. Toutefois, comme il faut aussi que personne ne perde, l'acte du Gouvernement qui résilie la convention ne fait pas obstacle à ce que la partie intéressée porte devant la juridiction compétente toutes réclamations relatives au sens et à l'exécution de son traité (6)—(A).

(4) Ord. cont. précitée, 26 août 1835. (2) Ord. cont. précitées, 17 mai 1844, 17 déc. 1847; arr. de la sect. du cont., 13 août 1854; déc. du trib. des confl.; décr. cont., 12 août 1854.

(3) Décr. cont., 15 déc. 1853.
(4) Décr. cont., 23 mars 1854.
(5) Ord. cont., 30 août 1847.
(6) Décr. cont., 16 juin 1853.

Additions.

(A) Cependant, lorsqu'une compagnie ayant été déclarée adjudicataire des travaux à entreprendre pour la construction d'un canal de navigation, moyennant le paiement d'une certaine somme et la con

cession pendant 99 ans de la jouissance du canal, des travaux entrepris par l'administration dans le cours de la jouissance de la compagnie ont seulement pour objet de modifier l'état du canal en vue des nécessités du service public, et auront pour résultat, non pas de priver les concessionnaires d'une manière définitive et absolue du droit qui fait l'objet de leur concession, mais seulement de modifier l'exercice de ce droit et de changer les conditions de leur jouissance, on ne peut prétendre que les travaux ne peuvent être entrepris sans l'accomplissement préalable des formalités exigées par la loi du 3 mai 1844 sur l'expropriation pour utilité pu

167. Les lois spéciales sur l'expropriation ne s'appliquent qu'aux immeubles; mais elles s'appliquent à tous les immeubles du territoire. En effet, c'est le terrain proprement dit qui est nécessaire à l'administration, pour y établir l'assiette de ses travaux. Peu importe, dès lors, la qualité du possesseur (1), même la qualité d'étranger.

« Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, « sont régis par la loi française. » (Cod. civ., art. 3.)

168. Sauf pourtant l'hôtel de l'ambassadeur étranger, en vertu des principes qui ont consacré l'indépendance de l'ambassadeur et la franchise de son hôtel, lequel est toujours censé situé en pays étranger, et est inaccessible aux ministres ordinaires de la justice du territoire (2). Si donc, pour l'ouverture ou le prolongement d'une rue, à Paris, l'acquisition de l'hôtel d'un ambassadeur étranger devenait nécessaire, l'expropriation ne pourrait pas être prononcée par le tribunal civil de la Seine. Ce serait l'objet d'une transaction diplomatique (3).

169. Une troisième règle de notre sujet consiste dans le caractère d'utilité publique. L'expropriation dont il s'agit ne peut être autorisée pour cause d'intérêt général, jamais pour l'intérêt privé d'un particulier.

170. Du reste, l'utilité publique n'est pas renfermée dans les seules entreprises de l'Etat, des départements et des communes. Elle s'étend aux travaux entrepris par des associations d'individus, associations volontaires ou forcées, constituées par les lois, dans des conditions déterminées, pour l'exécution de certains ouvrages d'intérêt collectif, qui aboutissent à un véritable intérêt public, spécialement en matière de desséchements, d'irrigations, de digues et chaussées contre les fleuves, rivières

blique. Cons. d'Etat, 4 mars 4860 (Lebon, 1860, p. 182).

Les troubles qui peuvent résulter de la suppression d'une rue, comme de tous travaux opérés sur la voie publique, ne constituent pas une expropriation. Le jury est incompétent pour allouer une indemnité de ce chef; c'est aux tribunaux administratifs seuls qu'il appartient de statuer. Trib. de la Seine, 2 janv. 1862 (Gaz. trib., 14 févr. 62).

L'interdiction de distiller des céréales prononcée par le décret du 26 oct. 1854,

ne rentre pas dans les cas d'expropriation pour cause d'utilité publique, et ne peut, à ce titre, donner lieu à une indemnité au profit des propriétaires des distilleries atteintes par cette interdiction. Cons, d'Etat, 26 févr. 1857 (S. 58.2.57.)

(4) Loi du 3 mai 1844, art. 43. (2) Vattel, liv. II, chap. 9, § 147. (3) Traité des Servitudes d'utilité publique, 11, p. 64, et, en outre, la loi du 3 mars 1794, relative aux envoyés des gouvernements étrangers; et discours au Conseil d'Etat, C. civ., 11, p. 45, 46.

et torrents navigables ou non navigables, d'inondations des mines, etc. (1).

L'utilité publique peut même s'étendre à un établissement particulier. Toutefois, ce qu'il faut, alors, c'est que le privilége de l'expropriation soit conféré à ceux qui le reçoivent, non dans leur intérêt privé, non pour l'augmentation de leur fortune personnelle, mais dans les rapports de l'établissement dont il s'agit avec l'intérêt public, par exemple, pour faciliter, dans l'intérêt de l'industrie, du commerce et de l'agriculture, l'exploitation ou la distribution des produits d'un établissement métallurgique. C'est ainsi que nous avons déjà montré le privilége d'expropriation pour cause d'utilité publique conféré pour la construction d'un chemin de fer particulier d'embranchement destiné à relier une usine aux voies d'une grande ligne de chemin de fer (2).

171. Enfin, à plus forte raison dans ces extensions du privilége, la haute garantie d'un acte du chef de l'État est indispensable. Un préfet excéderait ses pouvoirs en autorisant des concessionnaires de mines à construire un chemin de fer sur les parcelles de terrains situées en dehors du périmètre de leur concession aux termes de l'art. 3 de la loi du 3 mai 1841, combiné aujourd'hui avec l'art. 4 du sénatus-consulte interprétatif, du 25 décembre 1852, aucun chemin de fer ne peut être exécuté qu'en vertu d'une autorisation par décret impérial rendu dans les formes prescrites pour les règlements d'administration publique (3).

172. Une quatrième règle, en cas d'expropriation, est celle de l'indemnité, et même de l'indemnité préalable.]

Sans indemnité, il y aurait confiscation.

173. [Toutefois, pour qu'il y ait lieu à indemnité, il faut qu'il s'agisse d'une véritable expropriation, transmission de propriété privée au domaine public — (A).

(4) Traité des Servitudes d'utilité publique, 11, p. 556 et suiv., 600 et suiv.

(2) Décr. impérial du 28 oct. 4854, préambule et art. 4o du décret, et art. 4, 20 et 24 du cahier des charges; et autres exemples, suprà, p. 26.

(3) Arr. de la sect. du cont., 8 mars 1851.

Additions.

(A) Aussi, une compagnie de chemin de fer qui, a établi ses travaux sur un terrain

dépendant du lit d'un fleuve, ne peut être condamnée à une indemnité d'expropriation. Le chemin de fer, faisant lui-même partie du domaine public, la parcelle qu'il emprunte au domaine fluvial doit être considérée comme changeant seulement d'affectation et non pas comme faisant l'objet d'une mutation de propriété, qui pourrait seule justifier le paiement d'une indemnité d'expropriation. Cass. req., 6 janv. 1864 (Gaz. trib., 7 janv. 64).

174. Car, s'il s'agit de ces catastrophes dans lesquelles la nation ne s'enrichit pas aux dépens d'un particulier, dans lesquelles tout le monde perd, dans lesquelles la nation n'a pas opéré librement, et où elle n'a lutté que pour écarter de plus grands malheurs, alors les dommages sont des cas de force majeure, et la nation ne doit pas d'indemnité, en droit strict.

Voici comment s'exprime, à cet égard, Vattel: « L'État doit«< il dédommager les particuliers des pertes qu'ils ont souffertes « dans la guerre? Il faut distinguer ici deux sortes de dom«mages, ceux que cause l'État ou le souverain lui-même, et « ceux que fait l'ennemi.

« De la première espèce, les uns sont causés librement et par « précaution, comme quand on prend le champ, la maison ou « le jardin d'un particulier, pour y construire le rempart d'une <«<ville, ou quelque autre pièce de fortification; quand on dé«truit ses moissons ou ses magasins, dans la crainte que l'en<< nemi n'en profite. L'État doit payer ces sortes de dommages « au particulier, qui n'en doit supporter que sa quote-part.

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<< Mais d'autres dommages sont causés par une nécessité <«< inévitable tels sont, par exemple, les ravages de l'artillerie, « dans une ville que l'on reprend sur l'ennemi. · Ceux-ci sont « des incidents, des maux de la fortune, pour les propriétaires «sur qui ils tombent. Le souverain doit équitablement y «< avoir égard, si l'état de ses affaires le lui permet; mais on n'a << point d'action contre l'État pour des malheurs de cette nature, << pour des pertes qu'il n'a point causées librement, mais par << accident, en usant de ses droits.

« J'en dis autant des dommages causés par l'ennemi. Tous « les sujets sont exposés à ces dommages; malheur à ceux sur << qui ils tombent !

« On peut bien, dans une société, courir ce risque pour les << biens, puisqu'on le court pour la vie.

« Si l'État devait à la rigueur dédommager tous ceux qui « perdent de cette manière, les finances publiques seraient «< bientôt épuisées, il faudrait que chacun contribuât du sien, « dans une juste proportion, ce qui serait impraticable. D'ail« leurs ces dédommagements seraient sujets à mille abus et «< d'un détail effrayant. Il est donc à présumer que ce n'a ja<< mais été l'intention de ceux qui se sont unis en société.

«Mais il est très-conforme aux devoirs de l'État et du souve« rain, et très-équitable, par conséquent très-juste même, de

« soulager autant qu'il se peut les infortunés que les ravages de « la guerre ont ruinés, de même que de prendre soin d'une << famille dont le chef et le soutien a perdu la vie pour le ser« vice de l'État. Il est bien des dettes sacrées pour qui connaît «ses devoirs, quoiqu'elles ne donnent point d'action contre « lui» (liv. III, chap. XV, § 232).

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Toullier enseigne la même distinction en ces termes : « Au « reste, les dispositions de la loi du 8 mars 1810 ne peuvent s'appliquer aux mesures que commandent les événements extraor«dinaires ou fortuits, tels que la rupture d'une digue, la « submersion d'une route, le siége d'une ville, un incendie, un << naufrage imminent. On ne peut appliquer à ces cas d'autre « règle que la loi suprême, salus populi suprema lex esto. La << dure nécessité commande alors souvent le sacrifice des pro« priétés particulières, sans indemnité préalable (1).

Dans le même esprit, la loi du 10 juillet 1791 (art. 36, 37, 38), a accordé des indemnités, aux frais du Trésor public, pour la démolition des bâtiments ou clôtures qu'il deviendrait nécessaire de détruire dans les places « en état de guerre » 1° lorsque ces démolitions ont eu lieu en vertu d'un ordre exprès du Chef de l'État; 2o lorsque, l'urgence ne permettant pas d'atteindre ces ordres, le conseil de guerre, assemblé par le commandant des troupes, a délibéré sur l'état de la place et de la défense de ses environs, et a autorisé la prompte exécution des dispositions nécessaires à sa défense. Mais, lorsque les places de guerre et postes militaires sont « en état de siége, » cas dans lequel « toute l'autorité, dont les officiers civils sont revêtus par << la constitution pour le maintien de l'ordre et de la police «< intérieure, passe au commandant militaire, qui l'exerce << exclusivement, sous sa responsabilité personnelle », la loi ne parle plus d'indemnités.

Aussi, en dehors des cas de simple état de siége légal, dans les cas de guerre proprement dits, de guerre en action, de combat, le conseil n'a-t-il jamais accordé d'indemnités au contentieux « Considérant (porte une ordonnance contentieuse, « en date du 26 mars 1823), que les travaux de défense qui «< donnent lieu aux réclamations des demandeurs ont eu pour « objet de s'opposer à l'envahissement du territoire français ; « qu'ils ont été exécutés, tandis que l'armée manœuvrait en pré

(4) 111, p. 379, no 280.

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