Page images
PDF
EPUB

« à l'occasion des travaux publics que vous autorisez, ordonnent que « les difficultés relatives à leur exécution, et notamment aux estima→ «tions des terrains qui y seront employés, seront décidées par les « corps administratifs. On aurait donc tort de répéter que la pro<< position de votre comité renverse l'ordre actuel des choses : « au contraire, elle tend à le maintenir (1). »

Antérieurement même, et dès le 19 octobre 1790, un amendement avait été adopté en ces termes : « On a demandé sur l'art. «5 (du projet de canal du sieur Brulée), qu'au lieu d'attribuer « aux juges de paix la connaissance des indemnités que le sieur Bru«<lée aurait à payer pour les terrains qu'il serait forcé d'acqué« rir, l'estimation en fût faite par des commissaires nommés par les « directoires de département dans leurs territoires respectifs. Cel << amendement a été décrété de la manière suivante avec l'ar«ticle (2). » C'est l'art. 5 déjà transcrit ci-dessus, à l'occasion de la concession faite au sieur Brulée (3).

:

A la même époque, la loi du 8-10 juillet 1791, tit. 4, art. 7, déclarait «< que, toutes les fois qu'un terrain, appartenant à «< une municipalité ou à quelque particulier, serait nécessaire « pour un établissement militaire, le département de la guerre << en ferait l'acquisition de gré à gré; et que, dans le cas où le propriétaire refuserait de céder sa propriété, les directoires des corps « administratifs seraient consultés et chargés de l'estimation de l'objet « demandé, »

5. Aux termes d'une loi en date du 4 avril 1793 (art. 13) : << lorsque la Convention avait décrété l'acquisition, au nom de la « nation (de maisons ou terrains appartenant à des particuliers), l'évaluation devait en être faite par deux experts nommés, l'un par « le propriétaire, et l'autre par le directoire de district (4). »

[ocr errors]

6. La loi du 28 pluviôse an VIII, en chargeant les conseils de préfecture de prononcer : « sur les demandes et contestations <«< concernant les indemnités dues aux particuliers à raison des « terrains pris ou fouillés pour la confection des chemins, canaux << et autres ouvrages publics (art. 4), » a maintenu ces opérations dans la sphère administrative. Ce n'était plus alors l'administration active proprement dite qui prononçait, c'était l'administration avec des formes contentieuses accordées pour la garantie des droits, mais c'était encore l'administration.

(1) Rapport de M. Poncin, collection Baudoin, LVI, no 657, p. 9, 10.

(2) Collection Baudoin, xxx1v, no 446,

P. 24, 25.

(3) Suprà, p. 44.

(4) Ord. content., 17 déc. 1847.

7. Dans son Titre de la Propriété, promulgué le 6 février 1804, le Code Napoléon (Code civ.) contient cette déclaration solennelle : « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce « n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une juste et << préalable indemnité » (art. 545). Mais il n'a pas organisé l'application de ce principe. La raison en est que le Code civil, destiné à régler les relations des citoyens entre eux, devait naturellement laisser à une loi de droit public le soin de régler des relations entre les citoyens et le Gouvernement.

8. La loi du 16 septembre 1807 a commencé cette organisation. Le titre XI tout entier de cette importante loi est consacré « aux indemnités dues aux propriétaires pour occupation de terrains. » On y remarque, entre autres dispositions, l'art. 49, qui veut que les terrains nécessaires pour l'ouverture de canaux, de routes, de rues, la formation de places et autres travaux reconnus d'une utilité générale, soient payés à leurs propriétaires, et à dire d'experts; l'art. 57, qui maintient encore la compétence du conseil de préfecture, en exigeant que le procès-verbal d'expertise lui soit soumis par le préfet ; l'art. 54, qui oppose en compensation jusqu'à concurrence, à l'indemnitaire, les avantages acquis à ses propriétés restantes.

9. Mais l'époque décisive, dans cette partie de notre législation, est celle de 1810. L'empereur Napoléon Ier avait résolu de donner à la propriété, dans ses rapports avec l'administration, des garanties qu'elle n'avait eues jusqu'alors sous aucun Gouvernement. La note célèbre, écrite à Schoenbrünn le 29 septembre 1809, en avait posé les bases: c'était avant tout, dans l'intérêt de la propriété, l'intervention du tribunal. Dès le 16 novembre, le Conseil d'État était réuni pour discuter le projet de loi; l'Empereur présidait (1). Le ministre de l'intérieur fit observer: «que les formes judiciaires rendraient très-difficile la réfor«mation des évaluations forcées; qu'avec les recours qui sont «< ouverts aux parties chaque affaire deviendrait intermina«ble» (2). La section même du conseil, qui avait été chargée de la rédaction des articles, persista, pendant plusieurs séances, à présenter à l'Empereur une série de dispositions qui réservaient du moins à l'administration la première place. Mais l'Empereur voulait un principe clair (3). En conséquence, il renvoya

(4) Locré, 1x, p. 66.

(2) Ibid., p. 672.

(3, Ibid., p. 690.

cinq fois à la section, pour une rédaction nouvelle (1), et il ne donna son approbation au projet de loi que lorsqu'il y trouva l'expropriation, « par l'autorité de la justice,» occupant le premier rang dans l'art. 1, comme expression du système entier de la loi. C'était là, en effet, ce que voulait l'Empereur; c'était l'idée qu'il voulait faire pénétrer dans l'esprit des populations : que l'on ne serait pas exproprié par la préfecture (2), et qu'un citoyen ne pourrait pas être contraint de céder sa propriété sans la permission du tribunal, constitué ainsi, en quelque sorte, gardien du foyer.

:

La loi du 8 mars 1810 créait deux innovations dans l'ordre judiciaire le pouvoir conféré aux tribunaux de vérifier si l'utilité publique avait été constatée dans les formes légales, et celui d'opérer l'expropriation (art. 1 et 2). Dans l'ordre gouvernemental, par le même système de protection en faveur de la propriété et pour la garantir contre le libre arbitre des Services administratifs, elle concentrait dans le pouvoir suprême, inaccessible à tout mobile autre que le véritale intérêt général, en un mot, dans le chef de l'État seul, le droit de déclarer l'utilité publique (art. 3, 1o). Enfin, dans la procédure administrative, elle ́introduisait l'importante institution d'une commission, que l'Empereur appelait un jury (3), commission chargée de recevoir les demandes et les plaintes des particuliers qui soutiendraient que l'exécution des travaux n'entraîne pas la cession de leurs propriétés, et autorisée à appeler les propriétaires toutes les fois qu'elle le jugerait convenable (art. 8).

Du reste, la loi du 8 mars 1810 ne pouvait, pas plus qu'aucune autre loi, avoir d'effet rétroactif. En conséquence, un décret délibéré en Conseil d'État, le 18 août 1810, inséré au Bulletin des lois, porte : « que les décisions rendues par décrets «< antérieurs à la loi du 8 mars 1810, et prononçant l'expropria<«<tion, soit explicitement par la désignation des propriétés, soit « implicitement par l'adoption des plans qui y sont annexés, "recevront leur exécution, selon la loi du 16 septembre 1807, «sans qu'il soit besoin de recourir aux tribunaux, conformé«ment à la loi du 8 mars 1810. » Ce décret interprétatif, bien

(4) Séances des 16 et 28 nov. 1809, 4,9,13 janv. 4810; Locré, Ix, p. 680, €90, 704. 707, 744.

(2) Voy. la Note, Locré ̧·

P. 619,

650; Disc. au Cons. d'Etat, Locré, ix, p. 675, 676.

(3) Locré, ix. p. 675, 676.

que remontant à 1810, a encore son utilité aujourd'hui et reçoit son application (1).

10. La loi du 17 juillet 1819, relative aux servitudes imposées à la propriété pour la défense de l'État, a étendu, quant au mode de règlement des indemnités, la loi du 8 mars 1810, qui ne concerne que les transmissions de propriété (2), à de simples destructions, dégradations et dommages (art. 15 de la loi du 17 juillet 1819, et art. 24, 30, 31, 32, 33, 38, de la loi du 8-10 juillet 1791).

11. La loi du 15 avril 1829, relative à la pêche fluviale, a également étendu, quant au mode de règlement des indemnités, la loi du 8 mars 1810, qui ne concerne que la cession des immeubles proprement dits, à la privation d'un droit de pêche (art. 3).

12. D'un autre côté, la loi du 8 mars 1810 a été exagérée dans la manière dont elle a été appliquée. Les inconvénients prévus par le ministre de l'intérieur, dans la séance du Conseil d'État du 16 novembre 1809 (3), s'étaient réalisés. Des réformes devinrent indispensables (4).

13. Une réforme partielle eut lieu par la loi du 30 mars 1831, relative à l'expropriation et à l'occupation temporaire, en cas d'urgence, des propriétés privées nécessaires aux travaux des fortifications. Au moyen d'une déclaration d'urgence émanée du pouvoir exécutif, d'un transport de juge sur les lieux avec un expert nommé d'office par le tribunal, de la convocation des parties assistées de leurs experts, de plans parcellaires, d'un procès-verbal contenant toutes les indications de nature à fixer par écrit l'état exactement détaillé des propriétés, d'une indemnité approximative et provisionnelle de dépossession déterminée par le tribunal, sauf règlement ultérieur et définitif en les formes d'expropriation ordinaire, l'administration est autorisée, par jugement, à se mettre en possession dans ce cas spécial.

14. Deux années après, la législature entreprit une réforme générale de la loi du 8 mars 1810. La loi du 7 juillet 1833 abrogea celle de 1810 et réorganisa complétement la procédure d'expropriation ordinaire, sans préjudicier cependant au mode d'envoi en possession établi par la loi du 30 mars 1831, pour les

[ocr errors][merged small][merged small]

travaux de fortifications urgents. Les parties à signaler dans la loi du 7 juillet 1833 sont: 1° celle qui confirme et développe l'empiétement que le pouvoir législatif avait commis, au moyen d'une disposition incidente dans la loi de finances de l'exercice 1832, sur le pouvoir exécutif, en lui enlevant le droit d'ordonner les grands travaux publics (1); et 2° celle qui substitue aux tribunaux civils un jury spécial, chargé de régler les indemnités (2).

15. La loi du 21 mai 1836 a organisé une procédure plus simple et plus locale, en matière de chemins vicinaux. Les travaux d'ouverture et de redressement de ces chemins sont autorisés par arrêté du préfet. Le nombre des jurés est réduit. Le juge de paix du canton peut être désigné pour présider et diriger le jury. Le recours en cassation a lieu dans les cas prévus et selon les formes déterminées par la loi du 7 juillet 1833 (3). 16. Mais cette loi du 7 juillet 1833 elle-même n'a pas été de longue durée. La pratique et la jurisprudence y avaient rencontré des imperfections (4). Entre autres abus, on avait vu des jurys accorder au propriétaire un prix double de celui qu'il avait demandé. La révision de la loi du 7 juillet 1833 a donné pour résultat la loi du 3 mai 1841. Cette loi a conservé de la loi du 8 mars 1810, le principe de l'expropriation opérée par l'autorité de la justice (5); le pouvoir, conféré aux tribunaux, de vérifier si l'utilité a été constatée et déclarée dans les formes prescrites par la loi (6); la commission chargée de recevoir les observations des propriétaires qu'il s'agit d'exproprier (7); de la loi du 7 juillet 1833, l'usurpation, par le pouvoir législatif, du droit d'ordonner les grands travaux publics (8), et le règlement des indemnités par un jury spécial (9); elle a amélioré, d'après l'expérience acquise, les détails de plusieurs parties de la loi précédente; enfin, sur le modèle et avec simplification même des formalités prescrites par la loi du 30 mars 1831, elle a introduit un titre sur l'urgence pour la prise de possession des terrains non batis.

17. A la loi du 3 mai 1841, qui remplace aujourd'hui celles

(4) Art. 40 dela loi de finances du 24 avr. 1832, et art. 3 de celle du 7 juill. 1833. (2) Art. 29 et suiv. de la loi du 7 juillet 4833. V. MM. Gillon et Stourm, Introduction, p. 10, 14 et suiv.

(3) Loi du 24 mai 1836, art. 46.
(4) V. les observations de M. Duver-

gier, 1844, p. 424 et suiv.

(5) Art. 4 des deux lois.
(6) Art. 2 des deux lois.

(7) Art. 7 et 8 de la loi du 8 mars 4840, 8 et 9 de celle du 3 mai 1841.

(8) Art. 3 des deux lois.

(9) Art. 29 et suiv. des deux lois.

« PreviousContinue »