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attendre le jugement pendant deux ou trois ans, on marcherait à l'expropriation comme à la chose essentielle, et le débat ne s'établirait que sur le prix » (Monit., 6 fév., p. 299). « On sait, ajouta M. le rapporteur, qu'une fois une propriété vendue, un individu quelconque a le droit d'exercer une action en revendication, et que, dès lors, la propriété peut retomber entre les mains du propriétaire primitif. Eh bien! de quoi s'agit-il? c'est de faire un article qui déroge au droit commun» (Ibid.).

« L'existence du droit résolutoire, répliqua M. Lherbette, l'impossibilité où l'on est de le purger par aucune formalité hypothécaire, est un des nombreux et grands vices de nos lois en matière de transmission de biens. Ce vice, je ne viens pas vous proposer de le détruire dans toute notre législation..., mais je viens vous demander de ne pas l'introduire dans la loi nouvelle, où il exposerait l'État à payer plusieurs fois le prix d'un bien, et blesserait le principe dominateur de votre loi, celui que, tous les intérêts privés doivent se courber devant la grande et impérieuse loi de l'intérêt public » (Ibid., p. 298). « L'amendement de la commission dit bien, ajouta M. Lherbette, que l'action intentée par l'ancien propriétaire ne pourra pas arrêter la marche de l'expropriation, mais il ne dit pas assez explicitement qu'aucune action en réintégration ne pourra être intentée ensuite par aucun propriétaire » (Ibid., p. 299). C'est alors que M. le rapporteur modifia les derniers mots de l'article proposé, et présenta la rédaction actuelle de l'art. 18: « Le droit « des réclamants sera transporté sur le prix, et l'immeuble en de« meurera affranchi. »

L'art. 18 comprend les actions réelles de toute espèce, même l'action d'un précédent vendeur non payé, en résolution de la vente pour défaut de paiement du prix. (Art. 1654, C. Nap.)

Car l'art. 18 est comme un corollaire et une conséquence de l'art. 17, dont il complète et corrobore le principe. Il eût été à peu près inutile de mettre l'immeuble à l'abri des inscriptions relatives au privilége du vendeur, si on avait laissé à ce vendeur la faculté de rentrer dans la propriété de l'immeuble en faisant prononcer la résolution de la vente. L'extinction d'un de ces droits doit entraîner celle de l'autre. Nul n'admettra que l'on puisse forcer l'administration à délaisser un immeuble dont l'expropriation a été prononcée pour cause d'utilité publique, ou à laisser revendre aux enchères un bien incorporé au domaine public.

Mais l'art. 18 ajoute que le droit des réclamants sera trans

porté sur le prix. Or, suffit-il que les réclamants aient formé leur action en résolution, etc., contre celui avec lequel ils avaient traité, pour que leur droit soit transporté sur le prix? Évidemment non, car cette action sera presque toujours inconnue de l'administration, qui serait exposée à payer deux fois le prix de l'immeuble sans avoir aucun moyen de se mettre à l'abri de cet inconvénient. Telle n'a pas été certainement l'intention du législateur en adoptant les dispositions de l'art. 18; il a pensé que. par cela seul que ces tiers n'avaient plus d'action sur l'immeuble, ils se trouvaient compris au nombre des tiers intéressés au rẻglement de l'indemnité, que le § 2 de l'art. 21 oblige à se faire connaître à l'administration dans un délai de huitaine, à peine de déchéance de tout droit contre elle.

Ces principes ont reçu leur application dans l'espèce sui

vante :

L'État avait acquis, par voie d'expropriation pour cause d'utilité publique, en 1833, une portion d'un immeuble, pour l'exécution de travaux urgents de fortifications à Paris. L'expropriation et le paiement des indemnités avaient été accomplis selon toutes les conditions et formalités prescrites par les lois du 30 mars 1831 et du 7 juillet 1833. Postérieurement, les particuliers, détenteurs des portions restantes du même immeuble, poursuivis, quoiqu'ils eussent déjà payé le prix de leur propre acquisition, par un précédent vendeur non payé, s'étaient sonmis à un second paiement pour éviter l'éviction, et s'étaient fait subroger aux droits de ce précédent vendeur contre l'État pour la portion expropriée. Dans cette position, ils prétendaient que l'État était tenu de contribuer, proportionnellement, au paiement qu'ils avaient fait, et ils avaient assigné, à ces fins, l'État devant le tribunal civil de la Seine.

L'instance donna lieu, d'abord, à un conflit d'attribution, sur la compétence, à raison d'une question de déchéance quinquennale, d'après les règles de la législation financière en matière de dettes de l'État. Saisi du conflit, le Conseil d'État décida : « Que, d'après les lois sur la liquidation de la dette publique, il appartenait sans doute à l'autorité administrative seule de statuer sur la question de déchéance quinquennale; mais que, l'action intentée contre le préfet de la Seine (représentant l'État) ayant pour objet de faire déclarer que l'État serait tenu de contribuer, proportionnellement à l'importance de l'acquisition qu'il avait faite, à toutes les sommes payées au précédent vendeur, dans l'intérêt commun des sous-acquéreurs, et le préfet soutenant

que l'État était définitivement libéré de son prix d'acquisition, il y avait lieu, dans ces circonstances, de reconnaître préalablement s'il existait une créance contre l'État d'après les causes ci-dessus énoncées, et que l'autorité judiciaire était seule compétente pour prononcer sur cette question préalable (1).

En conséquence, les parties revinrent devant l'autorité judiciaire. Et c'est alors qu'après un jugement du tribunal civil de première instance qui avait débouté les particuliers de leur demande contre l'État, la Cour de Paris, dans un arrêt infirmatif, en date du 28 mars 1846, ne se borna pas à statuer sur la question de créance, mais autorisa même les particuliers à poursuivre contre l'État le déguerpissement de la portion en question de l'immeuble, si mieux n'aimait l'État payer en proportion du prix de son acquisition ce qui restait dû au précédent vendeur. Ainsi, une portion d'immeuble incorporée dans le domaine public, après l'accomplissement de toutes les conditions et formalités prescrites par les lois sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, était distraite de ce domaine, et des particuliers étaient autorisés à en reprendre possession, en exécution d'une décision judiciaire.

Sur le pourvoi formé au nom du Domaine militaire, cet arrêt a été cassé, par les motifs dont voici le texte :

« Vu les art. 11 de la loi du 30 mars 1831, et 21 de la loi du «< 7 juillet 1833...; attendu que, si l'art. 18 de la loi du 7 juil«<let 1833 (reproduit dans la loi du 3 mai 1841), en décidant << que les actions en résolution et revendication et toutes autres « actions réelles ne pourront arrêter l'expropriation ni en em« pêcher l'effet, maintient néanmoins le droit des réclamants « qu'il déclare seulement transporté sur le prix, la loi a dû en « même temps adopter des dispositions particulières, à l'effet de «hâter l'affranchissement dans les mains de l'État des immeu«bles requis dans un intérêt public, et, par suite, pourvoir à ce « que l'indemnité due aux ayants droit soit acquittée par lui « sans qu'il soit exposé à des réclamations ultérieures; que ces << dispositions sont l'objet de l'art. 11 précité de la loi du « 30 mars 1831, et des art. 17, 21 et suiv. de la loi du 7 juil«<let 1833 (reproduits également dans la loi de 1841); attendu «< qu'il résulte desdits art. 21 et suiv., qu'après l'accomplisse«ment par l'État des formalités prescrites, tous les intéressés

(4) Ord. sur confl., 7 déc. 1841; Lebon, Rec.. 1844, p. 629.

TOME I.

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<< sans exception doivent se faire connaître dans un délai déter«miné, passé lequel ils sont déchus; attendu que, d'après les qualités de l'arrêt attaqué, les époux Thory, auxquels appar<< tenait l'action en résolution dont était question au procès, ne « s'étaient pas fait connaître dans les délais déterminés par la « loi après les formalités accomplies; qu'il suit de là qu'ils « étaient déchus de tous droits et actions envers l'État, et, par « suite, qu'il en était de même des défendeurs qui agissaient «< comme subrogés desdits époux Thory; attendu, en consé«quence, qu'en admettant lesdits défendeurs à exercer par su« brogation ladite action en résolution contre l'État demandeur, « l'arrêt attaqué a expressément violé les articles précités... « Casse (1). »

285. L'expropriation empêchera souvent que certaines conventions ne reçoivent leur exécution, ou entraînera la nécessité d'y faire des modifications. Toutes les questions que cet événement fera naître devront être résolues d'après cette considération que l'expropriation est un événement de force majeure. Ainsi, si le propriétaire avait traité avec un maçon ou avec un entrepreneur pour des travaux à faire sur un terrain qui serait ensuite frappé d'expropriation, le traité serait résilié de plein droit sans dommages-intérêts pour l'entrepreneur, La résiliation est le résultat d'une force majeure. Telle est l'opinion de Pothier: « Si j'ai fait marché avec un entrepreneur, dit-il, de me construire au printemps prochain un édifice sur un certain terrain, et que peu après j'aie été contraint par des lettres patentes de vendre ce terrain pour servir d'emplacement à une place publique, il est évident que, le marché ne pouvant plus s'exécuter, il se résout et est annulé. L'entrepreneur ne peut, en ce cas, prétendre aucuns dommages et intérêts contre le locateur, puisque ce n'est pas par son fait que le marché ne s'exécute pas, mais par une force majeure dont il ne peut être responsable. Mais au moins, si l'entrepreneur avait fait quelque dépense pour l'approche des matériaux, ne serait-il pas fondé à demander au locateur qu'il l'en indemnisât? Je le pense, car, ayant fait ces frais pour l'affaire du locateur et de son ordre, et tanquam ejus negotium gerens, il paraît juste qu'il en soit remboursé (Tr. du louage, no 457) - (A).

(4) Cass., 40 juill. 1850 (Bulletin, Cour Cass., 1850, p. 196; J. du Pal., 1851, 1, p. 497).

Additions.

(A) Il a été jugé que, au cas où un propriétaire, en cédant, avant la loi du 15

SECT. IV. Des effets du jugement relativement aux créanciers.

286. Art. 16. Transcription du jugement d'expropriation.

287.

288.

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Comparaison avec la transcription selon la loi du 23 mars 1855, au point de vue de la translation de la propriété à l'égard des tiers.

- Avec la transcription, selon lé Code Napoléon, au point de vue de l'action réelle hypothécaire et de la surenchère.

289. Au point de vue de l'inscription d'office pour le privilége du vendeur, aux termes de l'art. 2108 du même Code.

290.

Epoque à laquelle la transcription doit être faite. Observations de la Cour des comptes. Circulaires des ministres des travaux publics et de l'intérieur.

291. Objet de la transcription, dans la loi du 3 mai 1841.

292.

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Priviléges et hypothèques judiciaires ou conventionnelles. In-
scription dans la quinzaine de la transcription. Question, par
suite de l'abrogation des art. 834 et 835, C. proc., par la loi
du 23 mars 1855, sur la transcription.

- Hypothèques légales: diminution, par la loi du 3 mai 1841, de
la faveur que leur avait accordée le Code Napoléon.
Art. 17, § 2. Sur les mots :

l'immeuble sera affranchi. »

juill. 4845 sur la police des chemins de fer, une portion de terrain pour l'établissement d'un chemin de fer, s'est réservé la faculté d'élever des constructions à la limite de cé chemin et d'y avoir des jours et issues, si ce propriétaire vient à former une demande d'indemnité pour privation des droits dont il s'agit, sa demande ne peut être rejetée par le seul motif qu'il n'est pas justifié d'obstacle à leur exercice, cet obstacle résultant nécessairement des prohibitions portées par l'art. 5 de la loi précitée. Cass., 6 mai 1862 (S. 62. 4.890);

Que, bien que des terrains vendus par une ville et destinés à former un quartier, n'aient été achetés que sur la foi de l'établissement de voies publiques devant les traverser d'après des plans annexés aux actes de vente, la ville ne saurait être déclarée responsable envers les acquéreurs de la non-exécution ou de la suppression de tout ou partie de ces voies publiques, par suite de l'expropriation du sol sur

lequel elles étaient ou devaient étre éta blies cette expropriation constitue un fait de force majeure exclusif de toute garantie; et les acquéreurs ne sauraient même prétendre aucun droit à l'indemnité reçue par la ville à raison de cette expropriation: la seule indemnité qui pût leur être accordée, en supposant qu'ils fussent fondés à en réclamer une, étant une indemnité de dépréciation des terrains achetés par eux, et non une indemnité d'expropriation.

Les changements apportés à l'état de choses projeté doivent être réputés avoir eu lieu par suite d'expropriation pour cause d'utilité publique, bien que le sol des rues projetées ait été, de la part de la ville, l'objet d'une cession amiable, si cette cession a été suivie d'un jugement d'expropriation qui en formait la condition et sans lequel elle ne pouvait avoir un caractère définitif. Cass., 47 fév. 1863 (S.63.1.209).

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