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« taire et occupée par la route nouvellement construite. Le sieur «Rodet est renvoyé à se pourvoir, ainsi qu'il avisera, pour faire « fixer par qui de droit ladite indemnité. Art. 3. L'indemnité << due au sieur Rodet, pour le préjudice causé à sa propriété par << la construction de la route nouvelle, est et demeure fixée à la << somme de 2191 fr. 60 c.» (1).

Sous le régime de la loi du 3 mai 1841, dans une espèce où il s'agissait aussi de déclarer en même temps: 1° la compétence à l'effet de fixer le prix d'un terrain réuni à une route; 2° la compétence à l'effet d'apprécier les dommages causés au restant de la propriété par suite des déblais opérés pour la rectification de cette route, le Conseil d'État a statué ainsi qu'il suit : « Consi« dérant que si, d'après la loi du 3 mai 1841, il appartient à l'au« torité judiciaire de statuer sur la question de propriété et de « régler le prix du terrain réuni à la route royale, no 74, l'autorité << administrative est seule compétente, aux termes des lois du « 28 pluviôse an vIII, et du 16 septembre 1807, pour apprécier « les dommages causés à la maison du sieur Landfried, par suite des « travaux de rectification de cette route: Art. 1er. L'arrêté de «< conflit, pris par le préfet de la Moselle le 31 août 1843, est « confirmé, en tant qu'il revendique pour l'autorité adminis«trative l'appréciation des dommages causés à la maison du «<sieur Landfried par suite des travaux de rectification de la « route royale, no 74. Art. 2. Sont considérés comme non << avenus l'exploit introductif d'instance du 13 juin 1843, et le << jugement rendu, le 18 août suivant, par le tribunal de Sarre«guemines, en ce qu'ils ont de contraire à la présente ordon<nance » (2).

310. Le tribunal des conflits lui-même paraît avoir consacré cette distinction; 1o en réservant à l'autorité administrative, en vertu et par application de la loi du 28 pluviôse an VIII, la question des dommages-intérêts pour préjudices éprouvés par suite de l'exécution des travaux, quoique la question de l'indemnité due à cause du terrain pris pour la confection du canal, objet des travaux, se trouvât portée et pendante devant l'autorité judiciaire (3); et 2o en déclarant qu'un tribunal avait, à bon droit, d'une part renvoyé les parties devant le jury spécial d'expropriation pour faire juger les chefs de demande relatifs au règlement des indemnités dues pour les dépossessions d'immeubles et pour les torts

(1) Ord. content., 47 janv. 4838.
(2) Ord. sur onfl., 12 janv. 1844.

(3) Trib. des confl., 3 juill. 4850.

et dommages inhérents à cette dépossession, et, d'autre part, accueilli le déclinatoire relativement à la demande pour dommages causés à la toiture de moulins et autres bâtiments (1).

311. Reste un dernier point à examiner : la circonstance que le dommage à provenir de l'exécution des travaux aura été prévu devant le jury, aura-t-elle rendu le jury compétent? L'affirmative semblerait résulter de l'un des considérants d'un décret rendu au contentieux, le 12 mai 1853, dans l'affaire du sieur de Niort. Voici le fait de l'espèce : Le sieur de Niort attaquait devant le Conseil d'État un arrêté du conseil de préfecture de l'Aude, lequel avait rejeté sa réclamation à l'effet d'obtenir, outre l'indemnité qui lui avait été accordée pour l'expropriation d'une parcelle de sa propriété, une nouvelle indemnité pour dommages causés au surplus de cette propriété par la construction d'un chemin de grande communication. Il s'agissait de terrassements et de remblais qui nuisaient à la propriété du réclamant. Ce propriétaire soutenait devant le Conseil d'État : qu'en droit, le jury n'est compétent que pour statuer sur le prix de la chose expropriée, et accessoirement sur la moins-value que, par suite de l'expropriation d'une partie, le reste du terrain peut subir; mais qu'il n'a qualité, ni principalement, ni accessoirement, pour statuer sur la réparation du préjudice qui résulte de travaux publics, matière qui, aux termes de l'art. 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII, est exclusivement réservée aux conseils de préfecture; qu'en fait, il n'y avait rien, dans la décision du jury, qui fût relatif aux dommages qui seraient causés à la partie de la propriété non expropriée, par suite de l'établissement du chemin et des travaux à venir; qu'en conséquence, la somme qu'il avait reçue représentait seulement la valeur de la parcelle expropriée, et qu'il était fondé à réclamer une indemnité pour les détériorations que le reste de sa propriété avait subies. M. le ministre de l'intérieur, consulté par le Conseil d'État, avait adopté pleinement ce système; et il appuyait de ses observations, tant le principe de la séparation tracée entre le jury spécial et le conseil de préfecture, que l'interprétation donnée à la décision du jury, et les conclusions prises par le réclamant, sur ce chef.

D'un autre côté, le motif par lequel le conseil de préfecture avait rejeté la demande du sieur de Niort, était tiré de ce que

(1) Trib. des confl., 28 nov. 1850.

<< en fixant à sept mille francs l'indemnité à payer à ce dernier, <«< alors que son terrain valait à peine trois mille francs, il était « évident que le jury d'expropriation avait compris dans ce pre«mier chiffre tous les éléments d'indemnité afférents aux di« verses espèces de dommages appréciables ou possibles en «vue des travaux dont il s'agit; que dès lors, il n'y avait pas « lieu d'accueillir la demande du réclamant quant à ce. »

Dans ces circonstances, le Conseil d'Etat a statué en ces termes : « Considérant, en droit, que, d'après la loi du 3 mai « 1841, le jury est chargé de fixer l'indemnité des propriétaires « dépossédés en raison des préjudices de toute nature qui sont « la conséquence de l'expropriation; considérant que lesdits « propriétaires ne sont en droit de réclamer, postérieurement, << une indemnité supplémentaire que s'il leur est causé, dans « l'exécution de travaux, un dommage nouveau et non prévu « lors de la décision du jury; considérant, en fait, que le sieur « de Niort ne se plaint pas d'avoir éprouvé un préjudice de « cette nature; que, dès lors, le premier chef de sa réclamation << est mal fondé » (1).

Déjà, par une décision rendue à la date du 22 juillet 1848, le conseil avait jugé : «Que l'indemnité à laquelle des expropriés « avaient droit avait été réglée dans la forme prescrite par la «<loi du 3 mai 1841; que cette indemnité avait nécessairement «< compris les dommages qui pourraient résulter des faits anté«rieurs de l'administration et du trouble apporté par elle dans <«< la jouissance des requérants; qu'ainsi c'était avec raison que le «< conseil de préfecture avait rejeté la demande d'indemnité des « requérants » (2). Dans cette espèce, le mot « nécessairement » n'est justifié ni en droit ni en fait. Les expropriés, au contraire, pouvaient très-justement avoir compté sur la loi du 28 pluviôse an VIII, et n'avoir pas joint, devant le jury, à leur indemnité d'expropriation, les indemnités dues pour des faits antérieurs autres que l'expropriation elle-même. La première chose à examiner était donc de savoir si, ou non, les réclamations avaient été jointes; et le mot « nécessairement » n'éclaircit rien.

Maintenant, pour revenir à l'espèce de l'affaire de Niort, je crois que la circonstance de dommage prévu devant le jury ne change rien au droit, le consentement de l'administration non plus. La raison en est qu'il s'agit, là, de confusion des juridic

(4) 42 mai 1853, Lebon, Rec., 4833, p. 521.
(2) 22 juill. 1848, Lebon, Rec., 1848, p. 444.

tions, question qui est toujours d'ordre public. Ne voit-on pas aussi, dans les marchés de fournitures, les administrateurs insérer quelquefois dans les traités, par erreur, les clauses suivantes : Que les contestations, s'il s'en élève entre le Gouvernement et les entrepreneurs, sur l'exécution du traité, seront jugées par le conseil de préfecture, ou qu'elles seront jugées par des arbitres? Là, aussi, le cas est prévu, et il y a consentement de la part de l'administration; mais qu'importe? « Selon l'ordre des juridic«tions, les liquidations des marchés et fournitures, et par con«séquent les questions sur l'interprétation et l'exécution des«dits marchés sont décidées par les ministres, sauf recours de«vant le chef de l'Etat en son conseil; les ministres ne peuvent a pas changer, à cet égard, l'ordre des juridictions; ainsi la clause « du traité qui soumet les contestations qui pourraient s'élever « à un jugement arbitral doit être réputée non écrite (1). »

Par le même motif : « que les juridictions sont d'ordre pu«blic, » je crois que la circonstance de dommage prévu devant le jury spécial d'expropriation, et le consentement même de l'administration, ne changent pas la règle légale de compé

tence.

Et en résumé sur la question générale : je dis que le texte de la loi est formel, qu'il n'attribue, par dérogation, compétence au tribunal civil et au jury spécial que pour les indemnités dues « par suite d'expropriation » (art. 29); que ces mots ne peuvent pas être étendus aux suites des travaux qui suivent l'expropriation, parce que, en allant ainsi de suite en suite, on finirait par absorber les lois du 28 pluviôse an vIII et du 16 septembre 1807 tout entières; je dis que cette règle est conforme à la nature des choses, parce qu'il est naturel que des dommages à provenir de l'exécution des travaux ne soient appréciés que lorsqu'ils existeront; je dis enfin que le système opposé est inconciliable avec le défaut de connaissances techniques, de la part du jury spécial d'expropriation, en matière de travaux d'art, et avec le droit, qui appartient à l'administration, de modifier ses plans et projets de détail, selon le besoin des circonstances, pendant tout le cours de l'exécution.

Je pense donc que le jury ne peut comprendre, dans l'indemnité d'expropriation, des dommages qui ne résultent pas de

(1) Ord. content., 17 nov. 1824, 17 août 1825, et M. de Cormenin, Marchés de fournitures, I, p. 304, 305.

l'expropriation elle-même, qui n'existent pas au moment où il statue, et qui ne proviendront, s'ils se réalisent, que de l'exécution ultérieure d'ouvrages publics ordonnés par l'administration; que l'Etat, ou les concessionnaires qui se trouvent à son lieu et place, sont fondés à s'opposer à ce que ces éléments soient discutés devant le jury, acceptés et appréciés par lui; et qu'en les faisant entrer dans le chiffre de l'indemnité d'expropriation, le jury appliquerait faussement les art. 1, 22 et 38 de la loi du 3 mai 1841, violerait la loi du 28 pluviôse au viir, art. 4, sortirait des limites de sa compétence, et commettrait un excès de pouvoir-(A).

312. Sur la portée et les limites de la règle : «< indemnités dues par suite d'expropriation, » en ce qui concerne les dom

Additions.

(A) Le jury d'expropriation a compétence pour fixer l'indemnité due, nonseulement à raison de la valeur matérielle du terrain dont l'expropriant s'empare, mais encore à raison de la dépréciation qui sera, pour la partie restante de la propriété de l'exproprié, la conséquence immédiate de l'expropriation.

Spécialement, il y a lieu d'annuler l'ordonnance du magistrat directeur qui s'agissant de régler l'indemmité due à un usinier à raison de l'expropriation d'un chemin privé qui servait à l'exploitation de son usine, déclare que l'indemnité qu'il appartient au jury d'allouer doit être uniquement réglée d'après la valeur matérielle du terrain exproprié, et que le jury est incompétent pour statuer sur le chef de conclusions par lequel l'exproprié demande à être indemnisé de la dépréciation que causent à son usine la suppression du chemin privé et l'allongement de parcours que le nouvel état des lieux va lui occasionner. Cass., 6 janv. 1858 (Gaz. trib., 7 janv. 58).

Le jury d'expropriation peut et doit comprendre dans l'indemnité qu'il détermine et la valeur du terrain exproprié et toute espèce de dommage résultant directement de l'expropriation. Mais on ne doit pas considérer comme résultant directement de l'expropriation le dommage que le propriétaire d'une usine a pu éprouver de la déviation d'un chemin vicinal rendue nécessaire par la construction du

chemin de fer, lorsque d'ailleurs le propriétaire de l'usine n'a subi d'autre expropriation que celle d'un terrain destiné à l'établissement du nouveau chemin et ne formant pas partie intégrante de l'usine.

Dans ces circonstances, le dommage dont se plaint le propriétaire de l'usine, n'est pas la conséquence directe de l'expropriation qu'il a subie, mais le résultat des travaux publics qui ont entraîné la modification des voies vicinales dont il avait coutume de se servir, et l'indemnité, s'il en est dû, ne peut être fixée que par le conseil de préfecture (Art. 4 de la loi du 28 pluviose an vIII). Cass., 20 janv. 1858 (Gaz. des trib. du 24 janv. 1858).

Il a été jugé que, au cas où les étages supérieurs d'une maison ont été démolis pour l'exécution de travaux publics, si le propriétaire requiert l'acquisition totale de son immeuble, ce n'est pas au conseil de préfecture, mais au jury d'expropriation qu'il appartient de fixer l'indemnité due à ce propriétaire. Cons. d'Etat, 27 déc. 1860 (S. 61.2.521);

Que le propriétaire d'un terrain exproprié ne peut réclamer une indemnité à raison de dommages résultant de fouilles opérées dans ce terrain avant l'expropriation, et au sujet desquels il n'a fait aucunes réserves devant le jury, ces dommages ayant nécessairement été compris dans l'indemnité d'expropriation. Cous. d'État, 29 juill. 1859 (S. 59.2.332.)

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