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si, au lieu de laisser à l'usufruitier l'intérêt du capital entier, vous aimez mieux, dès ce moment, séparer sa cause de celle du nu propriétaire, en divisant entre eux le montant de l'indemnité, vous pouvez, dans certains cas, altérer gravement la condition sous laquelle l'usufruit a été fondé. Il ne faut pas créer pour l'usufruitier un véritable droit nouveau, et qui me paraît en opposition directe avec les principes du Code civil.

« L'usufruit est une propriété, et celui qui en est privé doit recevoir la juste indemnité du dommage qu'il éprouve : mais quelle sera cette indemnité? Cette indemnité sera-t-elle distincte de celle qui doit être attribuée au nu propriétaire? La distinction sera-t-elle établie par le jury?... Pour rendre ma pensée plus nette, plus précise, je supposerai qu'un usufruitier jouit d'un immeuble dont la valeur foncière, largement estimée, s'élève à cent mille écus. Dans le cas où l'immeuble serait acheté pour l'exécution d'un travail public, ou bien l'usufruitier touchera le capital de cent mille écus, s'il peut donner une caution qui garantisse pour le nu propriétaire la remise de ce capital à l'extinction de l'usufruit, ou bien la somme de cent mille écus sera placée, et l'usufruitier en touchera les intérêts. Mais, a-t-on dit, vous dénaturez la position de l'usufruitier. Est-ce que nous ne dénaturons pas aussi la condition du propriétaire ? Ce propriétaire avait un immeuble, et nous lui donnons en échange une somme d'argent; l'usufruitier avait la jouissance d'une propriété foncière, et nous lui donnons en échange l'intérêt d'un capital. N'y a-t-il pas identité entre les deux cas? (Mon., 14 mai 1833, p. 1350). De quel droit un jury, un tribunal, viendra-t-il se constituer juge de la durée de la vie humaine, et dire, par exemple, à l'usufruitier, que la valeur de l'usufruit a été fixée à telle somme, parce qu'il n'avait plus que tant d'années à vivre ? » (Ibid.).

Il est permis de s'étonner que des arguments aussi concluants n'aient pas été accueillis par la Chambre des pairs. Le projet ayant été reporté aux députés, ceux-ci refusèrent d'adopter l'amendement relatif aux usufruitiers, et la Chambre des pairs finit par reconnaître que ce système était réellement plus en harmonie avec les principes du droit commun et avec l'équité. En conséquence, l'art. 39, § 2, de la loi, porte : « Dans le cas « d'usufruit, une seule indemnité est fixée par le jury, eu égard « à la valeur totale de l'immeuble; le nu propriétaire et l'usu<< fruitier exercent leurs droits sur le montant de l'indemnité au « lieu de l'exercer sur la chose. >>

351. Ainsi l'usufruitier aura le droit de toucher le montant de l'indemnité et d'en jouir pendant toute la durée de l'usufruit. Mais, pour garantir la restitution de cette indemnité à la cessation de l'usufruit, il devra donner caution, même quand il en aurait été dispensé par le titre constitutif de l'usufruit.

M. Martin (du Nord), rapporteur de la Chambre des députés en 1833, a exposé en ces termes les motifs de cette disposition: «Le nu propriétaire et l'usufruitier, s'ils ont la capacité légale, pourront toujours régler comme ils l'entendront leurs droits sur l'indemnité. Mais, s'ils ne peuvent ou ne veulent user de cette faculté, il ne faut pas que le nu propriétaire soit exposé à ne plus retrouver, à l'expiration de l'usufruit, le capital dont la jouissance aura été abandonnée à l'usufruitier; il sera à l'abri de tout danger à cet égard, moyennant l'obligation, que nous vous proposons d'imposer à l'usufruitier, de se conformer aux dispositions des art. 601 et 602, C. civ. » (Monit., 30 mai 1833, p. 1524.) « Il est facile, ajouta-t-il ensuite, de justifier cet amendement. La position du propriétaire est tout à fait changée par l'expropriation. On ne peut méconnaître, en effet, que, lorsque l'usufruit s'exerce sur un immeuble, le nu propriétaire trouve dans la nature même de la chose soumise à l'usufruit une garantie de son droit; au contraire, une somme d'argent peut être facilement dissipée par l'usufruitier, si aucune précaution n'est prise dans l'intérêt du propriétaire. Il faut donc, dans ce cas, pourvoir à cette position nouvelle. Nous croyons qu'il est juste de déclarer, comme une condition essentielle de l'usufruit, que l'usufruitier sera toujours obligé de donner caution. Nous n'avons admis qu'une seule exception, et pourquoi? C'est que la loi générale elle-même, le Code civil, l'a admise sans restriction. Lorsque les père et mère ont l'usufruit des biens de leurs enfants, il y a présomption établie par la loi qu'il n'y aura pas détournement; un sentiment de respect, une raison de pudeur, s'oppose à ce que les père et mère soient tenus de fournir caation à leurs enfants. Ce motif a déterminé l'amendement de la commission. Nous déclarons donc que pour ce cas seul il y aura dispense de fournir caution. » (Monit., 8 juin 1833, p. 1607.)

«Mais, dit-on, si le titre primitif a dispensé l'usufruitier de donner caution, comment pouvez-vous l'y contraindre? La réponse est facile. Lorsqu'un testateur a donné la propriété à l'un et l'usufruit à l'autre, il a pu dispenser l'usufruitier de donner caution, parce que la nature même de l'immeuble soumis à l'usufruit a pu lui faire penser que les droits du nu propriétaire

ne pourraient être compromis. Mais quand, par suite de l'expropriation, une somme d'argent est substituée à l'immeuble, vous sentez que la convention première ne peut plus être suivie. Le cas de l'expropriation n'a pas été prévu: il faut donc poser des règles nouvelles pour ce cas imprévu, et de manière à concilier tous les intérêts. C'est ce but que votre commission croit avoir atteint. On vous a parlé du vendeur et du donateur; la même observation leur est applicable. En résultat, quel doit être le droit de l'usufruitier? C'est de toucher les intérêts de l'indemnité. Si l'usufruitier ne peut pas fournir caution, son droit ne sera pas pour cela anéanti. L'art. 602, que nous ne voulons pas écarter, auquel il est au contraire indispensable de recourir, dispose que dans ce cas le capital sera placé et que les intérêts seront payés à l'usufruitier. Ainsi l'usufruitier a le droit qui lui appartient, et le nu propriétaire n'a pas à craindre le détournement de la somme. » (Ibid.)

Le § 3 de l'art. 39, conforme à ces principes, porte: « L'usu<< fruitier sera tenu de donner caution; les père et mère ayant « l'usufruit légal des biens de leurs enfants en seront seuls dis« pensés. » Ces solutions avaient aussi été présentées dans la première édition de cet ouvrage, nos 894 et 895 — (a).

352. Si l'usufruitier avait déjà fourni une caution, il ne devrait pas moins en fournir une nouvelle car la première, n'ayant pas prévu que cet événement augmenterait sa responsabilité, pourrait soutenir, et avec raison, qu'elle n'est pas tenue de répondre d'un fait extraordinire qu'elle n'a pu prévoir et qu'elle ne s'est pas obligée à garantir. Je me rends caution d'un usufruitier dont les droits ne doivent s'exercer que sur des terres de labour, ma responsabilité ne peut s'étendre bien loin. Mais combien elle se trouverait aggravée, si une grande partie de ces terres était comprise dans une expropriation, et que je dusse répondre de la somme allouée pour indemnité de cette expropriation! Telle est aussi l'opinion de Proudhon, t. 2, n° 870.

353. Cependant l'usufruitier a quelquefois droit personnellement

Additions.

(A) Le nu propriétaire qui a consenti des hypothèques sur l'immeuble grevé d'usufruit n'est pas tenu, en cas d'expropriation de cet immeuble, de fournir mainlevée de ces hypothèques afin que l'usufruitier puisse toucher immédiate

ment l'indemnité dont il a droit de jouir, moyennant caution; mais il doit tenir compte à l'usufruitier de la différence qui existe entre le taux légal de l'intérêt et celui que paie la caisse des consignations. Dijon, 6 juill. 4857 (Dall. 58.2.148).

à une indemnité accessoire indépendante de celle du propriétaire, par exemple, pour pertes de récoltes, d'engrais, indemnité de déménagement, etc. Il peut toucher cette indemnité sans donner

caution.

354. Le droit d'habitation est un droit d'usufruit restreint (C. Nap., art. 633). Ici il ne suffirait pas, comme dans le cas d'usufruit complet, de fixer une seule indemnité, dont le capital appartiendrait à celui qui avait la nue propriété, et la jouissance, pendant le temps réglé par la loi (C. Nap., art. 625, et 617 et suiv.), à celui qui avait le droit d'habitation. Car ce droit pouvait ne pas absorber la jouissance de l'immeuble total (art. 633). Dans ce cas, il faut que l'indemnité représentative de la jouissance partielle soit déterminée à l'égard de celui qui réclame le droit d'habitation.

Les droits d'usage sont également des droits d'usufruit restreints. Une indemnité est due aux usagers, pour la perte des avantages dont ils sont privés (art. 21 et 39, § 1o, de la loi du 3 mai 1841).

L'art. 21 divise les usagers en deux classes, relativement à l'obligation que la loi impose au propriétaire de faire connaître les droits que des tiers peuvent avoir sur l'immeuble. Cet article, dans son paragraphe 1, ne déclare le propriétaire tenu de faire connaître, sous peine de rester seul chargé des indemnités, que « ceux qui ont des droits d'usage, tels qu'ils sont réglés par le Code Napoléon.» Les autres intéressés (§ 2 du même article), et par conséquent ceux qui ne peuvent réclamer que des droits d'usage d'une autre nature, par exemple, des droit de pacage et de pâturage dans les marais et les forêts, sont tenus de se faire connaître eux-mêmes, et mis en demeure de faire valoir leurs droits par l'avertissement collectif énoncé en l'art. 6. Cette division en deux classes existait déjà dans l'art. 21 de la loi du 7 juillet 1833 (1), et elle a été maintenue dans l'art. 21 de la loi du 3 mai 1841.

Mais en ce qui concerne la mission confiée au jury de fixer des indemnités distinctes, le texte de la loi (art. 39) du 3 mai 1841 diffère de celui de la loi du 7 juillet 1833. Celle-ci ne chargeait le jury de prononcer des indemnités distinctes qu'en faveur des usagers « autres que ceux dont il est parlé au 1a paragraphe de « l'art. 21, » c'est-à-dire autres que ceux dont les droits sont réglés par le Code Napoléon. La loi du 3 mai 1841 charge, au

(1) V. MM. Gillon et Stourm, p. 89.

contraire, le jury de prononcer des indemnités distinctes en faveur <«< des usagers ou autres intéressés dont il est parlé à l'art. 21, » ce qui rend la disposition applicable à tous les usagers.

355. Les servitudes donnent lieu à une observation semblable. L'art. 21, § 1er, n'oblige l'exproprié à faire connaître que ceux qui peuvent réclamer des servitudes résultant de ses titres mêmes ou d'autres actes dans lesquels il serait intervenu: « les autres intéressés» (§ 2 du même article), ce qui comprend ceux qui peuvent réclamer des servitudes établies par tous autres modes, sont en demeure de faire valoir eux-mêmes leurs droits par l'avertissement énoncé en l'art. 6. Mais, en ce qui touche les indemnités distinctes, l'art. 39 les prescrit « en faveur de tous les intéressés dont il est parlé à l'art. 21, » ce qui comprend aussi bien le 2 paragraphe que le premier de cet article.

Au surplus, nous ne nous proposons ici que de constater les droits à indemnité au fond. Tout ce qui concerne la règle des indemnités distinctes sera exposé sous l'art. 39 de la loi du 3 mai 1841.

356.

SECTION III. De l'indemnité des fermiers et locataires.

Les fermiers ou locataires ont droit à une indemnité distincte. 367. Bases de l'indemnité des fermiers.

358. 359. 360.

Indemnités pour les locataires de maisons, boutiques, usines, etc.
Peut-on appliquer les art. 1744 et suiv. du Code civil?

Du cas où le locataire a, dans son bail, renoncé à demander une
indemnité. Deux arrêts en sens contraires.

361, 362. Le propriétaire n'est pas appelé lorsqu'il ne s'agit que de

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fixer l'indemnité du locataire, et réciproquement.

Des loyers payés d'avance.

Contestations entre les locataires et les propriétaires, dans le cas d'expropriation partielle.

356. Le jugement d'expropriation fait cesser les droits des fermiers et locataires, mais l'art. 21 de la loi du 3 mai reconnaît qu'il leur est dû une indemnité. Cet article charge le propriétaire de les faire connaître à l'administration, sous peine de rester seul chargé envers eux des indemnités qu'ils seraient en droit de réclamer. L'art, 39, § 1", ajoute que le jury prononce des indemnités distinctes en faveur du propriétaire et du fermier ou locataire.

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