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qui représente ce bien; il devait payer un canon sur le produit, et il le paie réellement. Le bailleur touche le canon qu'il s'était réservé; à la fin du bail il devait rentrer dans son bien, et il rentrera dans l'indemnité qui le représente.

Nous avouerons cependant que les intérêts du bailleur paraissent être légèrement blessés, Si en 1821 on a donné à bail emphyteotique pour quatre-vingt-dix-neuf ans un héritage évalué 1,000 fr., et moyennant un canon de 40 ou 50 fr., le bailleur a sans doute songé qu'en 1920 le bien aura augmenté de valeur par la culture et les améliorations que le preneur y aura faites; et d'ailleurs, d'après l'augmentation ordinaire du prix des propriétés, sans aucune amélioration, ce même immeuble vaudra probablement, et 1920, 1,200, et peut-être 1,300 fr. Or, si l'expropriation en est prononcée en 1840, et qu'on n'alloue pour indemnité que 1,000 à 1,100 fr., il résultera de là que le propriétaire touchera bien jusqu'en 1920 le canon stipulé, mais à cette époque il n'aura qu'une somme de 1,000 à 1,100 fr., au lieu d'un héritage de 1,200 à 1,300 fr. qu'il pouvait espérer. Il n'en est pas moins vrai que l'Etat a rempli toutes ses obligations envers le proprietaire lorsqu'il lui paie la valeur de son bien à l'instant où ce bien est pris pour les travaux publics. La perte d'une augmentation de valeur qui ne devait avoir lieu que dans un siècle est un dommage trop incertain pour que l'Etat soit tenu de l'en indemniser. Un incendie, une inondation, l'irruption de l'ennemi, une multitude d'autres événements, pourront détériorer l'héritage avant que le propriétaire en reprenne la possession. L'Etat n'est pas tenu de payer au propriétaire les bénéfices qu'il espérait retirer d'une spéculation, même légitime. On ne lui doit que le prix qu'il eût obtenu, s'il eût mis son bien en vente. Il serait à désirer que les parties s'entendissent pour acheter une autre propriété, qui serait soumise à l'emphytéose au lieu et place de la première; mais on ne peut les y obliger. Après beaucoup de méditations, nous nous sommes arrêté aux décisions que nous venous d'indiquer; cependant nous ne les présentons qu'avec une certaine défiance. La nature du bail emphyteotique est si bizarre, les clauses dont il est susceptible sont si variées, qu'il est bien difficile de tracer des règles générales.

Si les parties présentent des bases différentes sur la nature de l'indemnité, par exemple, si le propriétaire et l'emphytéote réclament chacun une indemnité distincte, tandis que l'administration prétend qu'il n'est dû qu'une seule indemnité sur laquelle

le propriétaire et l'emphytéote feront valoir leurs droits respectifs, le jury doit faire un règlement alternatif qui pourvoie à ces deux hypothèses. C'est ce que décide un arrêt de la Cour de cassation, du 19 juillet 1843 (1).

370. Si le bail emphytéotique portait que le preneur construirait des bâtiments sur l'héritage, dans un certain temps, qui ne serait pas encore écoulé lors de l'expropriation, il n'y aurait pas lieu à lui reprocher l'inexécution de cette clause, puisqu'il serait empêché par une force majeure d'exécuter la convention. Si au contraire le délai accordé était écoulé, le bailleur pourrait demander la résolution de l'emphytéose, puisqu'il y aurait impossibilité d'en exécuter les conditions. Lorsque les constructions ont été faites, il faut voir si, à la fin du bail emphytéotique, elles doivent appartenir au propriétaire sans indemnité, ou s'il ne peut les retenir qu'en en payant la valeur. Au premier cas, l'indemnité est générale et unique pour le fonds et pour les constructions; mais, dans l'autre cas, il faut fixer séparément l'indemnité des bâtiments: car, à la fin du bail, il y aurait impossibilité de faire cette ventilation, et cependant la valeur des bâtiments devra revenir à l'emphytéote.

371. Quant au bail à longues années (on appelle ainsi tous ceux qui excèdent neuf ans), beaucoup d'auteurs pensent qu'il ne diffère pas, à proprement parler, du bail emphytéotique, et qu'il est, comme celui-ci, translatif de la propriété utile du fonds qui en est l'objet. S'il en était ainsi, la décision que nous avons donnée no 369 s'appliquerait sans difficulté au bail à longues années. Mais Merlin, Rép., vo Bail, § 4, n° 2, soutient qu'un bail fait pour plus de neuf ans n'est pas d'une autre nature que celui qui est fait pour un temps moins long. Nous partageons cette dernière opinion. L'indemnité due au preneur sera donc réglée comme pour les baux ordinaires. On sent qu'il est impossible de prétendre appliquer ici la disposition de l'art. 1746, C. Nap., d'après laquelle, s'il s'agit de biens ruraux, l'indemnité est du tiers du prix du bail pour tout le temps qui reste à courir. Or, si le bail devait encore durer seulement trente ans, le dédommagement serait égal à dix années de fermage, ce qui serait entre le tiers et la moitié de l'indemnité due au propriétaire. Pour une durée de soixante ans, l'indemnité serait de vingt années de fermage. Le fermier aurait par là des bénéfices énormes, tan

(4) S. 43.4.732.

dis qu'il ne lui est dû qu'un dédommagement des pertes qu'il éprouvé.

372. Le bail à vie diffère essentiellement de l'usufruit, ainsi que l'a jugé la Cour de cassation, le 18 janvier 1825 (1). L'indemnité due au preneur à vie devra donc être déterminée d'après les circonstances, car les dispositions du Code civil seraient encore moins applicables que dans le cas de bail à longues années.

373. Les baux à complant ou à devoir de quart, de tiers ou de demi-raisin, consistaient dans la cession de biens déjà en rapport, ou de terrains destinés à être plantés en vignes, à la charge par les preneurs de faire tous les travaux de plantation et de culture, de fournir les engrais et de donner aux bailleurs la portion de fruits stipulée dans l'acte. L'usage des baux de cette nature est établi depuis longtemps dans nos départements de l'Ouest. Il est assez difficile de déterminer quels sont les effets de ces baux, parce qu'ils ne sont pas les mêmes dans tous les départements.

Un avis du Conseil d'État, des 2-4 thermidor an VIII, établit que, dans le département de la Loire-Inférieure, le bail à complant ne transfère au preneur aucun droit sur la propriété des biens qui en sont l'objet ; que le preneur, ses héritiers et ses représentants, ne possèdent qu'au même titre et de la même manière que les fermiers ordinaires, sauf la durée de la jouissance; que la contribution foncière est due et payée par le bailleur, circonstance qui détermine avec encore plus de force et de précision le caractère de cette tenure (Merlin, Rép., vo Vigne, p. 579). Ainsi, dans le département de la Loire-Inférieure, les preneurs à complant doivent être assimilés aux fermiers ordinaires; mais leur indemnité doit varier selon l'importance des travaux par eux exécutés. En l'an x, le ministre des finances soumit au Conseil d'Etat la question de savoir s'il y avait lieu de déclarer l'avis du Conseil des 2-4 thermidor an VIII commun aux départements de la Vendée et de Maine-et-Loire. Le Conseil d'Etat, par un nouvel avis des 23-24 messidor an x, déclara : « Qu'il résulte des lois citées dans l'avis du 4 thermidor que la législation sur cette matière est faite ; que dès lors elle est applicable à tous les actes ou baux consentis dans les mêmes cas et avec les mêmes caractères, quelque nom qu'il ait été donné à ces baux, et dans quel

(4) S., Coll. nouv., viti, p. 48.

que département que soient situés les biens ainsi donnés à bai!. -En conséquence, le Conseil est d'avis qu'il n'y a pas lieu à prendre l'arrêté demandé pour rendre l'avis du 4 thermidor an VIII commun aux départements de la Vendée, de Maine-etLoire, ni à tout autre; qu'il suffit que les principes aient été établis dans cet arrêté pour recevoir leur application partout où les clauses des actes caractérisent la réserve de la propriété au bailleur » (Ibid., p. 583). Ainsi, dans les départements autres que celui de la Loire-Inférieure, où cette espèce de contrat est aussi usitée, les actes peuvent seuls faire connaître si la propriété est restée au bailleur, ou si elle a été transmise au preneur. C'est aussi ce qu'a reconnu l'administration des domaines dans une instruction générale du 5 pluviôse an XI (1).

Les mêmes principes sont admis par la Cour de cassation. La Cour d'appel de Poitiers avait jugé que, dans les principes de l'ancienne coutume de la Rochelle, le bail à complant emportait aliénation, et que les clauses de l'acte dont il s'agissait au procès indiquaient une aliénation de la propriété. On s'est pourvu en cassation; mais le pourvoi a été rejeté par arrêt du 10 octobre 1808, par le motif que la Cour d'appel avait fait une juste appréciation de l'acte dont il s'agissait. On doit donc conclure de cet arrêt que, dans la coutume de la Rochelle, il y avait des baux à complant qui transmettaient la propriété au preneur. Nous croyons qu'on ne peut tirer non plus d'autres conséquences des arrêts de la Cour de cassation des 26 janvier 1826 et 29 juillet 1828 (2), rendus, le premier pour l'arrondissement de Fontenay (Vendée), l'autre pour l'arrondissement de Bressuire (DeuxSèvres). Ces arrêts se bornent à déclarer que les redevances réclamées à titre de droits de complant ne pouvaient donner lieu à une complainte possessoire; ce qui était reconnaître que les actes dont il s'agissait avaient transféré la propriété aux preneurs.

Lorsque la propriété a été transférée au preneur, c'est lui qui a droit à la principale indemnité, et le bailleur ne doit être considéré que comme créancier d'une rente foncière. Nous nous en référons donc à ce que nous avons dit n° 365, en parlant du bail à rente.

374. Les droits de champart, terrage ou agrier, ont été assimilés par les lois nouvelles aux rentes foncières : on peut donc

(4) S., p. 452.

2) S., Coll. nouv., VIII, p. 259 et 268; S., Coll. nouv., Ix, p. 144.

CH. VIII.—RÈGlement des indEMNITÉS PAR LE JURY SPÉCIAL. 285

appliquer aux propriétaires de droits de cette nature ce que nous avons dit ci-dessus, no 365.

CHAPITRE VIII.

DU RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS PAR LE JURY SPÉCIAL.

375. 376.

377. 378.

379. 380.

381.

382.

383. 384.

385.

386.

387.

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Transition.

Inconvénients du système consacré par la loi du 16 septembre 1807 pour le règlement des indemnités.

Intervention des tribunaux admise par la loi du 8 mars 1810. Création d'un jury spécial pour le règlement des indemnités par les lois de 1833 et de 1841. Observations générales.

Sens du mot jury.

Compétence de ce jury. Il est appelé uniquement à régler le montant des indemnités dues par suite d'expropriation.

Des qu'il s'agit d'expropriation, il peut fixer les indemnités accessoires en même temps que l'indemnité principale.

A cause de la connexité. Développements.

Conclusion, quand la connexité manque. Divers exemples.
Mais que faut-il pour que la connexité existe? A quelle époque
prend-elle naissance en matière d'expropriation pour cause
d'utilité publique?

Considérations dans le sens de l'opinion qui ne la fait naître que
du jugement d'expropriation. Conséquences.

La jurisprudence du Conseil d'Etat la fait naître de la déclaration régulière de l'utilité publique. Conséquences.

Un cas dans lequel le Conseil d'Etat n'admet la connexité, ni en faveur de l'ordre administratif, ni en faveur de l'ordre judiciaire.

388. Les questions préjudicielles doivent être renvoyées devant la juridiction compétente.

389.

Le jury spécial n'est pas chargé de statuer sur toutes les questions de fait.

390. Divisions de ce chapitre.

375. Lorsque l'administration a obtenu un jugement d'expropriation et l'a rendu public, elle peut encore, ainsi que nous l'indiquerons ci-après, s'entendre avec les propriétaires et autres intéressés pour le règlement amiable des indemnités qui leur

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