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commun, c'est-à-dire sous la juridiction du conseil de préfecture, puisqu'il s'agirait de dommages causés par des travaux publics.

386. Mais nous avons déjà reconnu (1) que la jurisprudence du Conseil d'État fait partir la connexité de l'acte qui a déclaré l'utilité publique, conformément à la loi du 3 mai 1841.

En effet, dans l'espèce jugée le 18 août 1849 (2), les travaux avaient été autorisés par une loi (3), l'administration avait traité à l'amiable avec le propriétaire, et il s'agissait de l'indemnité réclamée par le locataire qui ne s'accordait pas avec l'administration.

Dans l'affaire jugée le 19 janvier 1850 (4), il y avait eu déclaration formelle d'utilité publique par une ordonnance royale en date du 16 juillet 1845; un acte de cession amiable, postérieur à cette ordonnance, avait transporté la propriété des terrains à l'administration de la guerre ; mais il existait sur ces terrains une servitude de passage au profit d'un héritage voisin, et le propriétaire de cet héritage réclamait l'indemnité qui lui était due pour la cessation de la servitude; à défaut d'arrangement amiable entre lui et l'administration, le règlement devait être fait par les voies légales.

Enfin, dans l'espèce sur laquelle le conseil a statué le 29 mars 1851 (5), il avait aussi été régulièrement déclaré, conformément à la loi du 3 mai 1841, qu'il y avait lieu d'exproprier, pour cause d'utilité publique, les bâtiments, terres et prés dépendants d'une usine; postérieurement, l'administration les avait acquis par un acte de cession volontaire, et c'était un locataire qui poursuivait la fixation légale de son indemnité.

Dans ces trois affaires, le Conseil d'État a prononcé la décision uniforme, déjà transcrite ci-dessus (6) et portant: qu'après une déclaration régulière d'utilité publique, si l'administration acquiert, par des actes de cession volontaire, la propriété des immeubles sans être obligée d'accomplir, à l'égard des propriétaires, le surplus des formalités d'expropriation, cette circonstance ne saurait la dispenser d'accomplir lesdites formalités à l'égard des locataires, ou des ayants droit à une servitude, qui

(4) Suprà, p. 94.

(2) Lebon, Rec., 1849, p. 528.

(3) Régime de la loi du 3 mai 1844 (art. 2 et 3), aboli par le sénatus consulte

interpr. du 25 déc. 1852.

(4) Lebon, Rec., 1850, p. 77.
(5) Id., 1851, p. 233.
(6) P. 94.

ne consentiraient pas au règlement amiable des indemnités qui leur sont dues.

Il résulte de ces précédents que, dans la doctrine du Conseil d'Etat, c'est la déclaration d'utilité publique qui fait naître la connexité en faveur des tiers auxquels appartiennent quelques-unes des qualités prévues par les art. 21 et 39 de la loi du 3 mai 1841, - et qu'à dater du moment où l'acte déclaratif est intervenu, ces tiers ont un droit acquis à la compétence de l'autorité judiciaire et du jury spécial, droit auquel ne peut préjudicier la disparition, pour quelque cause que ce soit, de l'intérêt personnel du propriétaire.

Par une conséquence de la même doctrine, dans le sens opposé, le Conseil d'Etat n'a pas admis que la connexité fût née, dans l'affaire du sieur Gaudin, jugée le 15 septembre 1843. Il y avait cependant cession du fonds, de la part des hospices de Lyon, propriétaires, et le sieur Gaudin, qui tenait la propriété à bail, réclamait une indemnité à raison de la destruction, exécutée pour l'élargissement d'un chemin, de hangars et constructions établis par lui sur le terrain loué. Mais il paraît qu'il n'y avait pas eu déclaration régulière d'utilité publique, en vertu de la loi spéciale sur l'expropriation. Aussi le Conseil, dont la décision ne vise même pas la loi du 3 mai 1841, et ne vise que la loi du 28 pluviôse an VIII, art. 4, a prononcé en ces termes : « Consi« dérant que le dommage dont se plaint le sieur Gaudin résultait « de l'élargissement du chemin des Etroits, prescrit dans l'intérêt « de la sûreté publique; que, dès lors, aux termes de la loi du 28 pluviôse an VIII, le conseil de préfecture était compéten « pour statuer sur la demande du sieur Gaudin » (1).

387. On terminera, sur ce qui a rapport à la connexité, en faisant remarquer que le Conseil d'Etat n'en reconnaît l'existence ni en faveur de l'ordre judiciaire, ni en faveur de l'ordre administratif, dans la question de suppression des moulins et usines établis sur cours d'eau. Le conseil sépare, d'une manière absolue, la force motrice d'avec les bâtiments, terres et prés dépendants de l'usine. L'évaluation de la force motrice est réservée au conseil de préfecture, et celle des bâtiments et autres immeubles est seule renvoyée à l'autorité judiciaire et au jury spécial (2).

(4) 45 sept. 1843 (Lebon, Rec., 4843, p. 539).

(2) 28 mai 1852 et 45 mars 4855 (Le

TOME 1.

bon, Rec., 1852, p. 496. et 4855, p. 204); 29 mars 1854 (Id., p. 233).

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388. Dans les débats relatifs au règlement des indemnités, il s'élève souvent des questions préjudicielles dont la solution doit influer, soit sur la fixation des indemnités, soit sur leur attribution; le jury ne peut juger ni préjuger aucune de ces questions préjudicielles. Les art. 39, § 4, et 49, de la loi du 3 mai, sont formels à cet égard. Il y a plus: en pareil cas, les juridictions permanentes doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle ait été jugée par l'autorité compétente (Arm. Dalloz, v° Quest. préjud., nos 120 et suiv.); mais, comme le jury n'a qu'une existence momentanée, il ne lui est pas permis d'ajourner ainsi sa décision; il ne peut se séparer, dit l'art. 44, qu'après avoir réglé toutes les indemnités dont la fixation lui a été déférée. En conséquence, l'art. 39 déclare que, dans le cas où l'administration contesterait au détenteur exproprié le droit à une indemnité, le jury, sans s'arrêter à la contestation, dont il renvoie le jugement devant qui de droit, fixe l'indemnité comme si elle était due. Par la même raison, lorsqu'il y a litige sur le fond du droit ou sur la qualité des réclamants, et toutes les fois qu'il s'élève des difficultés étrangères à la fixation du montant de l'indemnité, le jury, dit l'art. 39, règle l'indemnité indépendamment de ces litiges et difficultés, sur lesquels les parties sont renvoyées à se pourvoir devant qui de droit. Les occasions d'appliquer ces principes sont très-fréquentes.

Ainsi, lorsque le jugement d'expropriation a été rendu contre la personne qui était considérée comme propriétaire, et qu'un tiers, considéré seulement comme usager, soutient qu'il est en réalité propriétaire de l'immeuble, le jury ne peut évidemment juger ni préjuger cette question de propriété. C'est ce que la Cour de cassation a déclaré par un arrêt du 21 août 1844 : « Attendu qu'un jury d'expropriation n'a mission que pour décider quel doit être le montant de l'indemnité due pour les terrains compris dans le jugement qui prononce l'expropriation;-que, dans l'espèce, les communes d'Einville et Louviot étaient contraires en fait sur la question de savoir à qui appartenait la propriété des parcelles expropriées; que le jury a attribué une indemnité à la commune comme propriétaire de quelques-uns des immeubles et usagère d'un autre, et à Louviot comme propriétaire de l'un des terrains et usager de l'autre, sans mème déterminer quels étaient ces terrains; en telle sorte qu'en même temps qu'il décidait incompétemment une question de propriété, il ne faisait pas même connaître relativement à quelles parcelles il la décidait, ni par conséquent si l'indemnité accordée à la commune

comme propriétaire d'une partie des terrains et usagère seulement de l'autre était supérieure ou inférieure à la demande ainsi réduite que la commune avait formée comme propriétaire du tout; d'où il suit que la décision attaquée a formellement violé les art. 38 et 39 de la loi du 3 mai 1841, et commis un excès de pouvoir...» (4).

Dans l'affaire dont nous avons parlé n° 380, le jury, appelé à fixer les indemnités dues au propriétaire et à l'emphytéote d'un terrain, alloua au propriétaire une somme d'argent en ajoutant qu'il rentrerait en jouissance du terrain qui n'était pas frappé d'expropriation. La Cour de cassation, par arrêt du 19 juillet 1843, a déclaré que cette rupture du bail emphytéotique, sans que les intéressés en eussent demandé la cessation, constituait un excès de pouvoir, puisque aucun texte de la loi n'attribue au jury une telle faculté (2).

Il n'est donc pas douteux que le jury est appelé uniquement à régler le montant des indemnités dues par suite d'expropriation pour cause d'utilité publique, et que, sur toutes les autres questions, il est tenu de renvoyer devant les magistrats compétents — (4).

389. Le jury est-il appelé à statuer sur toutes les questions de fait? La loi ne lui a pas donné des attributions aussi étendues; il n'a à statuer que sur le montant des indemnités; les questions de fait étrangères à la fixation du montant de l'indemnité ne sont donc pas de sa compétence.

390. Pour parvenir au règlement équitable des indemnités, il faut d'abord connaître toutes les personnes qui ont ou qui

(1) S. 45.4.44.

(2) S. 43.1.732.

Additions.

(A) Lorsqu'un terrain porté comme place publique dans le plan général des alignements d'une ville, n'a été compris dans la voirie urbaine par aucun acte administratif antérieur, le préfet excède ses pouvoirs en prescrivant que l'indemnité due au propriétaire sera calculée sur la valeur dudit terrain à une époque antérieure au décret approbatif du plan général d'alignements.

Les titres du droit commun (acte de partage, actes notariés), à l'aide desquels la commune et le particulier prétendraient établir leurs droits antérieurs de propriété

sur le terrain dont s'agit, ne peuvent être appréciés que par l'autorité judiciaire. Cons. d'Etat, 25 fév. 1864 (Lebon, Rec., 4864, p. 484).

La question de savoir si un tiers intervenant dans une poursuite d'expropriation est locataire du terrain exproprié, constitue un litige sur la qualité des parties, dans le sens de l'art. 39, § 4. Dès lors, il n'appartient pas au magistrat directeur du jury d'écarter l'intervention comme étant faite sans droit: il doit renvoyer la contestation devant les juges compétents, et faire fixer par le jury une indemnité hypothétique. Cass., 10 mars 1864 (S.64.4. 368).

prétendent avoir des droits sur les biens que l'expropriation atteint. Les mesures prises dans ce but seront exposées dans la section I. L'administration doit ensuite indiquer d'une manière authentique aux propriétaires et autres intéressés les sommes qu'elle leur offre pour indemnités, et ceux-ci sont tenus d'accepter ces offres, ou de lui faire connaître, dans un bref délai, le montant de leurs prétentions. Nous parlerons donc, dans les deuxième et troisième sections de ce chapitre, de ces formalités préalables au règlement des indemnités. Dans la sect. IV, nous traiterons de la formation annuelle des listes de jurés, et dans la sect. V, nous indiquerons le mode de formation des jurys spéciaux. La sect. VI retracera la marche des opérations des jurys de jugement et les éléments de leurs décisions; la sect. VII traitera du recours contre les opérations de ces jurys, c'est-à-dire du pourvoi en cassation contre les décisions du jury et les ordonnances du magistrat directeur; enfin la sect. VIII sera consacrée aux contestations renvoyées devant les tribunaux ordinaires.

391.

392.

393.

394. 395.

396.

397.

SECTION I. Indication des ayants droit à l'indemnité.

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Nécessité de connaître tous les ayants droit.

Obligation, pour le propriétaire, d'indiquer les usufruitiers, fermiers et locataires.

Distinction à l'égard des usagers.

Distinction relativement aux servitudes.

Garanties données aux locataires et fermiers.

Si une double obligation est imposée au propriétaire à leur égard?

Sa responsabilité, s'il ne les fait pas connaitre.

398 à 405.

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Divers cas d'application de l'art. 21.

Quid, si l'administration connaît déjà les fermiers et locataires? que doivent contenir les notifications.

Ce

A qui elles sont faites.

Obligation imposée à l'usufruitier.

Des tiers intéressés qui sont tenus de se faire connaître à l'administration.

Les créanciers inscrits sont dans cette catégorie;

Ainsi que ceux qui ont à exercer des actions en revendication, etc.

Forme de l'intervention.

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