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avait pu reconnaître que ce redressement n'était pas prévu par la loi du 5 août 1821, et que c'était un projet indépendant de la construction du canal, quand l'administration déclarait le contraire. Il nous semble qu'en rendant une pareille décision, le tribunal avait empiété sur les attributions de l'autorité administrative. Le canal des Ardennes n'était point achevé ni reçu. A la vérité, une portion du canal avait été ouverte dans la commune d'Attigny; mais, ce travail n'atteignant pas le but que l'on s'était proposé, il fallait rectifier le premier projet en ouvrant le canal sur un autre point. Ces nouveaux travaux n'avaient certes pas d'autre objet que d'arriver à l'entière exécution de la loi du 5 août 1821.

78. Un arrêt de la même Cour, du 21 novembre 1836, décide qu'un décret qui constate l'utilité de l'élargissement d'une route royale que traverse un ruisseau ne suffit pas pour autoriser l'expropriation des terrains nécessaires pour le redressement du lit de ce ruisseau. Cependant l'administration déclarait que l'élargissement de la route entraînait la construction d'un pont et, par suite, le redressement du cours de la rivière en aval et en amont de ce pont pour en assurer la solidité. Dans ces circonstances, déclarer que le redressement du cours de la rivière n'était pas autorisé par le décret qui prescrivait l'élargissement de la route, n'est-ce pas s'immiscer dans l'examen d'un acte d'administration? D'ailleurs, rétablir des communications interrompues, rendre un libre cours aux eaux, sont des obligations essentielles pour l'administration ou pour les concessionnaires mis à ses droits. Quand le Gouvernement ordonne l'exécution d'un canal ou d'un chemin de fer, il sait que ces travaux interrompront des communications existantes; mais il suppose nécessairement que ces communications seront établies, car l'utilité, nous pouvons même dire la nécessité de ce rétablissement, ne peut être mise en doute. Est-il raisonnable d'exiger qu'on ouvre une enquête sur la nécessité de rétablir le cours des eaux ou les communications existantes? Il ne peut s'élever de question que sur le choix de l'emplacement à adopter pour les nouvelles communications, et c'est là l'objet de la seconde enquête, celle du titre II de la loi, qui doit être suivie d'un arrêté du préfet, et non d'un acte du Gouvernement.

Le législateur a tellement admis ce système, que les cahiers des charges annexés aux lois de concession obligent les compagnies à acquérir les terrains nécessaires, non-seulement à l'emplacement des travaux, mais aussi au rétablissement des com

munications déplacées ou interrompues, et des nouveaux lits de cours d'eau (Voir notamment L. 11 juin 1842, cah. des ch., art. 22). On n'admet donc pas qu'une nouvelle déclaration d'utilité publique devra autoriser le rétablissement de l'ancien état des lieux; ce rétablissement est une conséquence implicite de toute entreprise d'utilité publique.

79. Ainsi la difficulté consiste à décider si le travail est nouveau, ou s'il a été, soit régulièrement désigné, soit implicitement compris dans l'autorisation primitive. Voici plusieurs autres espèces plus récentes, dans lesquelles la question a été diversement jugée, suivant les circonstances:

80. D'abord, lorsqu'il résulte des faits que la déclaration d'utilité publique, exigée par l'art. 2 de la loi du 3 mai 1841, a été donnée par un décret rendu dans les formes prescrites pour les règlements d'administration publique, et s'étend aux terrains en litige, il n'y a pas lieu à une nouvelle autorisation, et le tribunal, en prononçant l'expropriation de ces terrains, ne viole pas l'art. 2 de la loi du 3 mai 1841 (1).

81. De même, lorsqu'un terrain se trouve compris dans ceux originairement expropriés pour l'établissement d'un chemin de fer et ses dépendances, l'arrêté préfectoral et l'arrêté ministériel approbatif, qui autorisent la compagnie du chemin de fer à établir des voies nouvelles sur ce terrain, sont des actes de pure administration qui ne sont pas susceptibles d'être attaqués par la voie contentieuse (2).

82. Il a été reconnu aussi que la disposition de l'art. 3 de la loi du 3 mai 1841 relative aux routes n'a pas eu pour effet de rétroagir contre les classements antérieurs régulièrement ordonnés, ni de soumettre à de nouvelles déclarations d'utilité publique les travaux d'alignement et d'élargissement conformes aux plans anciens de ces routes (3)— (a).

(4) C. de cass., 27 déc. 1852.

(2) Arr. du Cons., sect. du content., 42 déc. 1851.

(3) C. de cass., 5 août 1844.

Additions.

(A) Il a été jugé aussi que, encore que le décret qui prononce l'expropriation pour cause d'utilité publique ait lui-même désigné les localités ou territoires sur lesquels les travaux devront avoir lieu, et que des plans annexés audit décret indi

quent le tracé suivant sur lequel lesdits travaux seront exécutés, l'autorité administrative peut, moyennant l'accomplissement de toutes les formalités prescrites par l'art. 2, 2o, et par le titre II de la loi du 3 mai 1844, modifier le tracé que le décret avait indiqué, et cela sans qu'il soit nécessaire d'un nouveau décret rendu dans les formes des décrets déclaratifs d'utilité publique. Les modifications apportées ainsi, par un arrêté préfectoral, aux indications du décret d'expropriation, ont

83. Mais il a été jugé, à l'égard d'une compagnie de chemin de fer à qui appartient « la faculté, en cours d'exécution, de proposer les modifications qu'elle pourrait juger utile d'introduire, modifications qui ne pouvaient être exécutées que moyennant l'approbation préalable et le consentement formel de l'administration supérieure, » que la décision ministérielle approbative, intervenue seulement après l'expiration des délais fixés par le cahier des charges pour l'achèvement des travaux, était tardive, et que les pouvoirs conférés à la compagnie, à l'effet de provoquer des expropriations pour cause d'utilité publique relative à la confection des travaux dont elle était chargée, avaient pris fin lorsque le tribunal avait prononcé l'expropriation des terrains objet du litige. En conséquence le jugement d'expropriation a été cassé (1).

84. Dans le même sens limitatif, il a été décidé qu'une compagnie, adjudicataire de l'exploitation d'une ligne principale de chemin de fer, qui lui est livrée toute construite par l'État, avec gare et accessoires, et de la construction d'embranchements qui viennent s'y rattacher, ne peut appliquer à l'augmentation de la gare de la ligne principale le droit d'exproprier qui lui a été concédé seulement pour la construction des embranchements....., alors même que les sociétés, originairemnnt distinctes, de la ligne principale et des embranchements, auraient été réunies en une seule (2) - (A).

été régulièrement opérées, et l'autorité judiciaire ne peut se refuser à prononcer l'expropriation, conformément à cet arrêté, si d'ailleurs ledit arrêté a été, comme le veut le titre II de la loi de mai 4844, suivi d'une enquête et d'un arrêté de cessibilité. Cass. civ., 6 déc. 1864 (S. 65.4.142).

(4) Cass., 40 mai 1847.

(2) Cass., 27 fév. 1849 (S. 49.4.245).

Additions.

(A) Nous citerons encore l'arrêt suivant qui a décidé que Au cas d'expropriation pour l'établissement d'une rue, l'immeuble situé en dehors de l'alignement de cette rue et qui ne se trouve compris ni dans le plan des parcelles expropriées, ni dans le jugement d'expropriation, ne peut être exproprié en vertu d'un nouveau plan du préfet en désaccord avec

le décret déclaratif d'utilité publique. Cet immeuble n'étant pas même atteint en partie par les travaux à exécuter, et, d'autre part, ces travaux n'ayant pas pour objet la suppression d'une ancienne voie publique jugée inutile, l'expropriation dudit immeuble ne peut non plus se justifier par application des dispositions de l'art. 2 du décret du 26 mars 1852, qui donnent à l'administration la faculté soit de comprendre dans l'expropriation la totalité des immeubles atteints, lorsqu'elle juge que les parties restantes ne sont pas propres à recevoir des constructions salubres, soit de comprendre dans l'expropriation des immeubles en dehors des alignements tracés, si l'acquisition en est nécessaire pour la suppression d'anciennes voies publiques jugées inutiles. Cass., 27 janv. 1864 (S. 64.4.507).

85. Le Conseil d'État s'est montré non moins rigoureux, dans une affaire concernant le canal de Bourgogne. Le ministre des travaux publics soutenait que tous les travaux nécessaires pour la complète exécution de cette grande voie de navigation avaient été incontestablement autorisés en principe par les actes législatifs qui ont ordonné l'établissement même du canal, et que dès lors, la construction de maisons de gardes sur les bords du canal étant une conséquence naturelle des travaux autorisés, il n'était pas possible de prétendre que l'expropriation des terrains nécessaires pour cet objet n'eût pas été prononcée par les décrets antérieurs à la loi du 8 mars 1810. La décision suivante a été rendue «< Considérant qu'il n'est pas établi par l'instruction que « les terrains nécessaires pour l'établissement de maisons de « gardes sur le canal de Bourgogne aient été, soit régulièrement « désignés, soit implicitement compris dans l'adoption de plans << annexés au décret impérial, antérieur à la loi du 8 mars 1810, «< qui a autorisé l'exécution dudit canal; que, dès lors, ils ne << se trouvent pas au nombre des propriétés dont l'expropriation « a été réservée à l'autorité administrative par le décret du 18 « août 1810 (1) ».

86. Un dernier mot sur l'effet légal des actes déclaratifs. ] La déclaration de l'utilité publique n'a d'autre objet que de constater que les travaux dont il s'agit sont réclamés par l'intérêt public. Cette décision rendra l'expropriation de certains terrains inévitable, mais elle ne prononce pas cette expropriation. L'art. 1o des lois de 1833 et 1841 déclare formellement, comme le faisait l'art. 1er de la loi de 1810, que l'expropriation ne s'opère que par l'autorité de la justice; et, d'après l'art. 2, l'acte qui constate l'utilité publique n'est qu'une mesure préalable à l'expropriation. Cependant, sous la loi du 8 mars 1810, on a vu le préfet de la Seine soutenir que, dès que l'acte déclaratif existait, l'expropriation était censée prononcée, et que les propriétaires ne pouvaient plus disposer de leur propriété comme ils l'entendaient. Ce système avait été proscrit par un arrêt de la Cour royale de Paris, du 4 mars 1824 (2). C'est ce qu'on déciderait encore aujourd'hui, lors même que l'acte déclaratif indiquerait les terrains qui doivent être pris pour l'exécution des travaux autorisés. — (A).

(4) Ord. content., 30 août 1847. (2) S. 24.2.350.

Additions.

(A) Ajoutons avec l'arrêt et le jugement suivant que le locataire, dont le bail a

CHAPITRE III.

DE LA DÉSIGNATION DES PROPRIÉTÉS DONT LA CESSION EST

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NÉCESSAIRE.

L'administration détermine la direction des travaux, sous les garanties créées en faveur des propriétaires par le législateur de 1810.

·Elle décide si la cession peut être soumise à des restrictions.

87. Lors de la discussion de la loi du 8 mars 1810 au Conseil d'État, on demanda quelle était l'autorité qui devait déterminer la direction des travaux et indiquer les propriétés auxquelles l'expropriation était applicable. Cette question fit naître beaucoup de débats. On voulait donner à la propriété la plus entière garantie, mais on était arrêté par la crainte d'entraver la marche de l'administration (1).

[C'est à ce moment de la discussion que le procès-verbal (2)

été renouvelé sur sa demande, après le décret qui avait déclaré d'utilité publique l'expropriation de la maison à lui louée, mais avant l'arrêté de cessibilité, n'est pas fondé à se plaindre de ce qu'un arrêt lui a refusé toute indemnité pour privation de jouissance, lorsque l'expropriation vient à se réaliser au cours de la prolongation de bail, si, d'une part, il a déjà obtenu une indemnité de déplacement indépendante de cette prolongation de jouissance, et si, d'un autre côté, il est déclaré en fait que, lorsqu'il a fait ce renouvellement, il ne pouvait ignorer que l'expropriation était imminente et que, connaissant le dommage dont il était menacé, dans un délai rapproché, il s'y était volontairement exposé. Le refus d'indemnité se justifie encore lorsque, indépendamment de ces circonstances, il est constaté par les juges de la cause que la prolongation de jouissance n'avait été stipulée qu'à tout événement, et que le locataire lui-même ne comptait

pas sur les effets de cette convention. Cass. req. 14 mars 1860 (S. 60.4.847).

L'expropriant ou ses concessionnaires ne peuvent signifier un congé pour cause d'expropriation, avant le jugement qui prononce l'expropriation au profit de l'expropriant, et à plus forte raison avant le décret qui déclare d'utilité publique; un tel congé étant donné avant que l'expropriant lui-même ait aucun droit acquis pour le faire, serait nul. On ne saurait en effet, sans méconnaître tous les principes, prétendre qu'en vue d'une expropriation qui peut tarder plus ou moins, ou même ne pas avoir lieu, l'expropriant ou ses ayants cause, puissent avant qu'aucun droit de propriété leur eût été conféré sur l'immeuble, faire cesser par anticipation la jouissance des locations ou imposer un terme à cette jouissance. Tr. civ. Seine, 3 ch., 13 janv. 1863.

(4) Locré, Proc.-verb., ix, p. 672 et suiv.

(2) Ibid., p. 675,

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