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« cien propriétaire... » (1). « Je ne sache pas, je le répète, une « seule juridiction qui ait osé appliquer la loi de 1841 à un « dommage causé indépendamment de toute expropriation »> (2).

148. Examinons maintenant les conséquences légales de cette doctrine, en analysant les diverses natures d'atteintes que l'utilité générale porte à la propriété immobilière dans l'exécution des travaux publics. Nous suivrons l'énumération déjà indiquée ci-dessus (3).

149. 1° Expropriation. Lorsque l'administration requiert et fait prononcer le transfert de la propriété privée au domaine public, nul doute: c'est précisément le cas prévu par les lois du 8 mars 1810, du 7 juillet 1833 et du 3 mai 1841.

Peu importe que l'expropriation soit totale ou partielle, c'està-dire qu'elle frappe le totalité ou seulement une partie de l'héritage. Si petite que soit cette partie, il suffit que la vente forcée l'ait mise dans le domaine public pour qu'il y ait expropriation de cette partie. Au contraire, si aucune partie du fonds n'a été cédée au domaine public, la dépréciation, si grande qu'elle soit, quand même elle s'étendrait sur la totalité de l'héritage, ne constitue pas une expropriation dans le sens des lois spéciales.

Il n'y a donc, pour distinguer le cas d'expropriation qu'une seule question à poser: Qui est propriétaire? Si l'État est devenu propriétaire à la place d'un particulier, il y a expropriation. Mais, s'il n'y a aucune partie de l'héritage dont on puisse dire qu'elle a cessé d'être la propriété de l'un et est devenue la propriété de l'autre, il n'y a pas expropriation, puisque le propriétaire est toujours le même.

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150. 2° Occupation définitive, par incorporation réelle dans le domaine public, sans accomplissement des formalités prescrites par les lois spéciales. Quelquefois des propriétés privées se trouvent incorporées de fait, dans le domaine public, sans que les formalités prescrites par les lois spéciales d'expropriation aient été accomplies, tantôt parce qu'il s'agit de cas auxquels ces formalités ne sont pas applicables, tantôt parce que l'administration a omis de les accomplir. Quand l'incorporation dans le domaine public est ainsi consommée, il n'y a plus à s'occuper des formalités préalables; mais il y a encore à régler l'indemnité. La jurisprudence décide généralement que, dans ces circonstances, l'indemnité doit être appréciée comme en matière

(4) Discussion à la Ch. des Pairs, Monit., 1844, p. 840.

TOME I.

P. 893.

(2) Ibid.,
(3) Ibid., p. 93.

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d'expropriation régulière, c'est-à-dire conformément aux titres IV et suivants de la loi du 3 mai 1841.

La Cour de cassation l'a jugé, à l'occasion de l'occupation d'une partie de propriété par le tracé du nouveau lit d'une rivière non navigable (1),

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La jurisprudence administrative contentieuse et le tribunal des conflits également ont admis ce résultat :-dans l'espèce de l'extraction d'un rocher appartenant à un particulier dans le lit d'une rivière navigable (2); dans celle de terrains pris en 1811, par le génie militaire, pour l'extension des fortifications de la place du Havre (3); dans celle de terrains dont l'administration s'était emparée pour y construire un pont et un abreuvoir public (4); dans celle d'une demande en dommages-intérêts réclamés à raison de la prise de possession de terrains occupés pour le redressement d'un chemin avant l'accomplisement des formalités légales (5); dans celle d'une indemnité prétendue par des particuliers, à raison de l'occupa tion définitive, par l'administration, de terrains et rochers (6); dans les questions de délimitation du domaine public (7), etc.- (A).

151. 3° Occupations indéfinies.-Cette expression n'existe pas, à notre connaissance, dans les lois. Elle a été créée par la juris

(4) 3 fév. 1854 (S. 54.4.190), (2) Ord. content., 3 mai 1839, (3) Ord. sur confl., 1er fév. 1844. (4) Arr. du Gouv, sur confl., 20 juin 1848.

(5) Déc. sur confl., 25 mars 4832. (6) Décr. content., 28 mai 1852 et 45 mars 4855.

(7) Arr. de la sect. du content., 44 mai 1850; décis. du trib, des confl., du 15 mars 1850, du 22 nov. 1854; décr. sur confl., 26 juin 1852, 4er déc. 1853.

Additions.

(A) Lorsqu'un tunnel de chemin de fer est creusé au travers d'une carrière qui, au moyen d'une vente de tréfonds précédemment faite par le propriétaire de la surface, constitue une propriété distincte de celle de la surface, l'appréciation de l'indemnité n'est pas de la compétence administrative. Le tunnel faisant partie du chemin de fer, la portion de

propriété qui a servi à l'établir se trouve incorporée à la voie publique, et de cette incorporation il résulte une dépossession définitive au préjudice du propriétaire de la carrière, lequel a droit à une indemnilé réglée conformément à la loi de 1841. Cons. d'État, 45 avril 1857 (Lebon, Rec., 1857, p. 272).

Les préfets n'ont le droit d'ordonner l'élargissement d'un cours d'eau que dans le cas où cette mesure n'entraîne pas l'expropriation des propriétés riveraines. S'il est nécessaire pour cet élargissement de prendre une portion des terrains riverains, il y a lieu de recourir à la voie de l'expropriation pour cause d'utilité publique; et dans ce cas, le préfet excède ses pouvoirs en prescrivant l'exécution par les riverains ou d'office à leurs frais, des travaux d'élargissement sur les portions de propriété à acquérir. Cons. d'Etat, 4er déc. 4859 (S. 60.2.395); Cons. d'État, 30 nov. 1863 (S. 63.2.72).

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prudence administrative contentieuse, dans un esprit libéral et de bienveillance, pour désigner des occupations d'une durée indéterminée et les assimiler à l'expropriation, du moins quant au mode de règlement des indemnités. C'est ce que le conseil d'Etat a décidé: 1° à l'occasion d'un fossé creusé par ordre du préfet sur une propriété privée, pour faire suite à l'aqueduc d'une route (1); 2o à l'occasion d'une crique pratiquée sur le terrain d'un particulier, aussi pour l'écoulement des eaux d'une route, et quoique le Ministre ne demandât l'ouverture de la crique que jusqu'à ce qu'il en fût autrement ordonné (2); 3° dans le cas d'un terrain envahi par suite de l'exhaussement d'un étang dépendant d'un canal de navigation, et que du reste le préfet reconnaissait devoir être acquis par l'Etat (3). Le conseil a déclaré, dans ces trois circonstances, que le règlement de l'indemnité devait être fait par le jury spécial, conformément à la loi du 3 mai 1841. Cependant le conseil d'Etat a refusé d'appliquer ce système : au cas d'inondation permanente d'un terrain, par suite de la construction d'un canal (4); et au cas de déversement d'eaux douces dans un étang salé, déversement qui dénaturait les eaux de l'étang et en paralysait ainsi toute l'utilité entre les mains du propriétaire (5). Ces faits ont été déclarés simples dommages, et le règlement des indemnités réclamées a été réservé à l'autorité administrative.

Par sa nature, l'occupation indéfinie ne me paraît pas, en principe, constituer une expropriation, du moins quand rien ne constate, ni explicitement, ni matériellement, la transmission de la propriété, l'incorpation dans le domaine public. Si le fait n'implique pas par lui-même une incorporation dans le domaine public; si l'on peut concevoir le particulier restant toujours propriétaire, sauf la charge qui grève la superficie pendant l'occupation, et, au moment où l'occupation vient à cesser, retrouvant sa propriété libre, sans avoir besoin de la réacquérir (6), il en résulte que, la propriété n'ayant pas changé de main, la compétence administrative subsiste.

Quant aux intentions de l'administration dans cette classe de faits, je crois que la juridiction administrative contentieuse est tenue de s'en rapporter aux déclarations du ministre. Quand le

(4) Ord. sur confl.. 6 déc. 1844. (2) Ib., 5 sept. 1836.

(3) Ib., 25 août 1841.

(4) Ib., 20 avril et 23 oct. 1835.

(5) Arr. du Gouv. au content., 40 avril 1848.

(6) Loi, 3 mai 1841, art. 60.

ministre des travaux publics pense qu'il n'est pas nécessaire d'acquérir le terrain à perpétuité, personne ne peut forcer l'Etat à acquérir, à devenir propriétaire malgré lui. Cela n'a lieu que dans les cas spécialement prévus par les lois. Ainsi, la loi du 16 septembre 1807, art 51, veut que « les maisons et bâtiments dont il << serait nécessaire de faire démolir et d'enlever une portion pour « cause d'utilité publique légalement reconnue soient acquis en « entier, si le propriétaire l'exige. » La loi du 21 avril 1810, sur les mines, veut (art. 43 et 44): « que lorsque l'occupation des << terrains pour les recherches ou les travaux des mines prive les << propriétaires du sol de la jouissance du revenu au delà dì: << temps d'une année, les propriétaires du sol puissent exiger des « propriétaires des mines l'acquisition des terrains à l'usage de l'ex<< ploitation. >> Mais, pour les occupations autorisées en vertu des lois du 28 pluviôse an viii et du 16 septembre 1807, nulle disposition ne détermine la durée qu'elles ne pourront dépasser. On voit même que, dans sa théorie sur les caractères de l'expropriation vraie, le conseil d'État oppose l'expropriation totale ou partielle aux dommages, quelles que soient d'ailleurs leur nature, leur importance ou leur durée (1). Lors donc que l'administration supérieure déclare, par suite de la combinaison de projets qui peuvent amener la cessation de l'occupation, que l'acquisition à perpétuité n'est pas nécessaire, je crois que la juridiction administrative contentieuse doit laisser le ministre agir sous sa responsabilité. A défaut de limite déterminée par la loi, c'est au ministre seul à apprécier si une occupation plus ou moins prolongée, sans expropriation, ne serait pas contraire à l'esprit de la loi, contraire aussi aux intentions protectrices du Gouvernement, et si elle peut être maintenue au delà d'une durée équitable. D'un autre côté, c'est au Conseil d'État à statuer en dernier ressort sur le dommage et à allouer une indemnité complète. Mais l'appréciation même de la durée, surtout à l'avance, ne rentre pas, à mon avis, dans le contentieux. Ces principes, du reste, me paraissent résulter: 1° de la décision du tribunal des conflits, du 17 juillet 1850, fondée sur les motifs qui suivent « Considérant qu'il est déclaré par le préfet du départe«ment et par le ministre des travaux publics que le régime d'ali«mentation du canal du Berry n'est pas encore définitivement «< arrêté par l'administration; que certains travaux tendant à

(4) Ord. content,, 47 mai 1844; ord. sur confl., 47 déc. 1847; arr. sect. content., 43 août 1851.

« modifier ce régime sont à l'étude pour être prochainement « exécutés, et que ces travaux auraient pour effet de restituer << au cours de la Marmande tout ou partie des eaux aujourd'hui « empruntées; que dès lors, et en l'état, il n'y a pas lieu de re«< chercher si c'est à l'autorité administrative ou à l'autorité ju<< diciaire qu'il appartient de constater la dépréciation qui serait « apportée à une usine légalement établie par l'enlèvement dé<«<finitif de tout ou partie des eaux de la rivière employées à « son exploitation, et de fixer le chiffre de l'indemnité; que « jusqu'au règlement définitif de l'alimentation du canal du « Berry et à l'achèvement des travaux qui doivent l'assurer en «< cette partie, les dommages éprouvés par suite de prises d'eau, « et les indemnités auxquelles elles donnent lieu, ne peuvent être « appréciés que relativement à chaque chômage, et doivent être cal« culés d'après sa durée, son importance, et le préjudice réel éprouvé, « et que c'est avec raison que le préfet a revendiqué pour l'au« torité administrative la connaissance du litige (1); » — -2o du décret, sur conflit, du 14 septembre 1852, conçu en ces termes : « Considérant... que, dans l'arrêté par lequel il a élevé le con« flit, le préfet de la Seine persiste à déclarer, comme il l'avait << fait dans son déclinatoire, que la question de savoir si les pa<< villons seront reconstruits ou non n'est pas encore résolue; « que dès lors les dommages dont se plaint la dame Tremery « doivent d'après les lois des 28 pluviôse an VIII et 16 septembre « 1807, être appréciés par l'autorité administrative; l'arrêté de << conflit est confirmé (2) ».

152. 4° Occupations temporaires, dégradations, détériorations. -Les divergences d'opinions qui ont existé longtemps sur ce point n'appartiennent plus maintenant qu'au passé de la jurisprudence. Aujourd'hui, toutes les juridictions sont d'accord.

Voici néanmoins, pour l'intelligence de la théorie tout entière, le résumé des principaux éléments du débat, dans cette partie de la question :

La loi du 28 pluviôse an vIII, art 4, charge les conseils de préfecture de « prononcer sur les demandes et contestations << concernant les indemnités dues aux particuliers, à raison des « terrains pris ou fouillés pour la confection des chemins, ca<< naux et autres ouvrages publics. » En combinant cette dispo

(1) Rec., 1850, p. 689. (2) Ib.. 1852, p. 422.

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