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sition avec la loi du 8 mars 1810 et autres, qui attribuent la déclaration d'expropriation et le règlement des indemnités d'expropriation à l'autorité judiciaire, les tribunaux civils n'ont voulu appliquer l'art. 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII qu'aux dommages qu'ils ont appelés temporaires, tels que les destructions de récoltes ou les privations purement momentanées de jouissance, qui ne changent pas l'état de l'immeuble. Mais quant aux dommages qui attaquent l'état ou la substance même de l'immeuble, la jurisprudence judiciaire, les qualifiant de permanents, les a considérés comme constituant une espèce d'expropriation. « La propriété, a-t-elle dit, est le droit de jouir « et de disposer des choses de la manière la plus absolue; et « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce « n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une juste « et préalable indemnité. Or, puisque la jouissance est une << portion essentielle de la propriété, la modification ou l'alté«ration permanente et perpétuelle de la jouissance modifie ou

altère évidemment la propriété; d'où résulte le droit du pro<< priétaire à une indemnité, comme s'il subissait une expropriation « réelle d'une partie du sol. » Par exemple: 1o les travaux d'exhaussement du sol d'une rue ont enfoui en partie une maison riveraine, les fenêtres et portes du rez-de-chaussée sont enterrées; le rez-dechaussée est devenu une cave; 2o les propriétés riveraines d'un canal sont endommagées par l'infiltration des eaux. La jurisprudence judiciaire a vu dans ces circonstances, et dans beaucoup d'autres cas analogues, des dommages équivalents à une expropriation, et elle leur a appliqué, en ce qui concerne le règlement des indemnités, la juridiction des tribunaux civils, d'après la loi du 8 mars 1810, sauf discussion sur le point de savoir si, d'après l'économie générale et les dispositions particulières des lois du 7 juillet 1833 et du 3 mai 1841, le jury spécial constitué par ces lois n'est appelé à connaître que du règlement de l'indemnité préalable, en d'autres termes, sauf la question de savoir si la compétence a été ou non transportée des tribunaux ordinaires au jury spécial pour les cas dont il s'agit (1).

La jurisprudence administrative, après quelques hésitations dans les premiers temps, avait fini par adopter une règle fixe. Elle n'admettait pas la distinction entre les dommagés tempo

(1) Cass.. 30 avril 1838; C. Lyon, 1er mars 1838; même C., 9 déc. 1840 (S.38.4. 456; 39.2.470; 41.2.257).

raires et les dommages permanents, Elle jugeait, par le seul motif « que les travaux n'avaient donné lieu à l'expropriation d'aucune partie de la propriété, » que, dès lors, l'autorité administrative était seule compétente, aux termes de l'art. 4 de la loi du 28 pluviôse an vIII, pour statuer sur l'action intentée contre l'administration (1).

Tel était l'état des choses lorsque le tribunal des Conflits à été organisé par la loi du 4 février 1850. Cette haute juridiction ne pouvait pas tarder à être saisie de la question des dommages permanents, qui était l'une des occasions les plus fréquentes et les plus considérables des revendications solennelles exercées par le Gouvernement en faveur de l'autorité administrative visà-vis de l'autorité judiciaire. En moins d'une année, la question s'est présentée neuf fois devant le tribunal, qui, par des décisions uniformes, l'a résolue dans le sens de la juridiction administrative. Le haut tribunal s'est fondé sur ces motifs «< que les lois « des 28 pluviôse an viii et 16 septembre 1807 ont chargé l'au«torité administrative de prononcer sur les réclamations des « particuliers pour tous les torts et dommages résultant de « l'exécution des travaux publics, jusques et y compris l'expro« priation des immeubles; que les lois des 8 mars 1810, 7 juillet « 1833 et 3 mai 1841, n'ont enlevé à l'autorité administrative que « la connaissance des actions en indemnité pour cause d'expro«priation totale ou partielle. » En conséquence, toutes les fois que « les travaux exécutés n'avaient occasionné l'expropriation « d'aucune partie de la propriété des particuliers, » le tribunal a confirmé les arrêtés de conflit et dessaisi l'autorité judiciaire (2).

Depuis, la Cour de cassation a consacré définitivement cette doctrine. Sur un pourvoi présenté au nom du domaine de l'État en Algérie, la Cour a rendu, à la date du 29 mars 1852, l'arrêt suivant : « Vu les art. 13, tit. 2, de la loi des 16-24 août 1790, « et 4, tit. 1er, de la loi du 28 pluviose an vir; attendu, en droit, a que l'attribution de compétence qui résulte de ces disposi« tions en faveur de l'administration relativement aux récla«mations des particuliers pour les torts et dommages prove<< nant de l'exécution de travaux publics s'applique, hors les

(4) Ord. content., 17 mai 1844; 47 déc. 4847; arr. du Gouv., en Cons. d'Etat, du 20 juin 1848; décr. content., 14 fév. 4849; 27 fév. 1849, etc.

(2) Décis. du 29 mars 1850; autre du

même jour; 3 avril 1850; 8 mai 1850; 3 juill. 1850; et deux autres du même jour; 17 juill. 1850;48 nov. 1850; 24 juill. 1854.

a cas d'expropriation, à toute espèce de dommages résultant, soit « du fait ou de la faute de l'administration elle-même, sans qu'il y «ait lieu de distinguer entre les dommages purement temporai«res et les dommages permanents; que les lois des 8 mars 1810, « 7 juillet 1833 et 3 mai 1841 n'ont enlevé, en effet, au contentieux « administratif, pour l'attribuer à l'autorité judiciaire, que la con« naissance des actions en indemnité pour expropriation totale ou « partielle;

« Attendu, en fait, que la réclamation de la défenderesse a eu « pour objet, dans l'espèce, non une indemnité pour expropria-⚫ «<tion de tout ou partie de sa propriété, mais la réparation du « préjudice causé à cette propriété, soit par la détérioration des « tuyaux de conduite des eaux de la ville de Blidah et par la « prétendue négligence de l'administration à pourvoir à cet « état de choses, soit par le vice des travaux exécutés pour «y porter remède; - D'où il suit que, en se déclarant compé« tente pour prononcer sur cette réclamation, sous le prétexte « qu'il se serait agi de dommages permanents et non de dom«mages temporaires, la Cour d'Alger a expressément violé les « dispositions ci-dessus visées; Casse (1). »

Bien plus, un arrêt tout récent a jugé, dans le cas d'une expropriation, « quant au chef relatif aux dommages qu'un par«<ticulier aurait soufferts dans son bâtiment d'exploitation (par « suite de l'expropriation du terrain voisin appartenant au « même particulier), que, si une indemnité pouvait lui être due, « il appartenait au conseil de préfecture seul de prononcer sur « sa prétention (2) ».

En résumé donc, aujourd'hui, et de l'accord unanime des juridictions, toutes les fois qu'il n'y a pas expropriation totale ou partielle, par aliénation d'une partie quelconque du fonds, par substitution, pour une partie quelconque de l'héritage, d'un propriétaire à un autre, les occupations temporaires, les détériorations ou dépréciations résultant de l'exécution de travaux publics, sont restées, quelles que soient d'ailleurs leur nature, leur importance et leur durée, dans la compétence des conseils de préfecture, aux termes des lois des 28 pluviôse an VIII, 16 septembre 1807, 8 mars 1810, 17 juillet 1833 et 3 mai 1841.- (A).

(1) 29 mars 1852 (S. 52.4.440).

(2) Cass., 14 août 1854 (S. 55. 1. 442).

Additions.

(A) Cette règle s'applique notamment quand il s'agit de statuer :

Sur l'action d'une commune contre la

153. 5 Destruction de bâtiments, de plantations, même de terrains, sans acquisition de la propriété du sol pour le domaine public.— Pour qu'il y ait expropriation, il faut qu'il y ait prise de posses

compagnie concessionnaire d'un chemin de fer, à raison de ce que celle-ci aurait dépossédé la commune, en vertu de décisions administratives, et sans que les formalités légales d'expropriation aient été remplies, d'une portion de chemin vicinal, réunie à la voie ferrée. Cons. d'Etat, 15 mai 4858 (S.59.2.265);

Sur le dommage résultant de l'occupation d'une parcelle voisine pour le dépôt ou le transport des matériaux provenant du terrain exproprié. Cass. civ., 23 juin 4862 (Gaz. trib., 25 juin 62);

Sur le dommage résultant de travaux publics exécutés par l'administration, et par exemple, à raison de la non-jouissance de la partie non expropriée de sa propriété pendant le durée des travaux exécutés par le génie militaire.

Mais au jury seul appartient d'apprécier les dommages devant résulter d'une manière directe et certaine, pour la portion de la propriété non expropriée, des travaux en vue desquels a été prononcée l'expropriation. Cass., 23 juin, 8 juill. 1862 (S. 62.1.4069).

Elle s'applique encore à la demande formée par un propriétaire à l'effet d'obtenir la discontinuation de travaux publics, tels que ceux d'ouverture d'un chemin vicinal de grande communication, commencés sur son terrain sans qu'il y ait eu ni expropriation régulière, ni cession amiable. Cons. d'Etat, 45 déc. 1858 (S. 59.2.462).

Mais il a été jugé aussi par le Conseil d'État que les tribunaux ne peuvent sans excès de pouvoirs, ordonner la destruction des travaux illégalement exécutés et le rétablissement des lieux dans leur ancien état. Cons. d'Etat, 13 déc. 1845 (S.59.2. 265).

C'est aux autorités instituées par la loi du 3 mai 1844, qu'il appartient de régler les indemnités dues pour l'établissement, dans une propriété privée, d'une conduite souterraine destinée à amener les eaux de diverses sources à une station de chemin de fer. Cons. d'État. 3 févr. 1859 (Lebon, Rec., 1859, p. 107).

Un propriétaire a été partiellement exproprié pour l'établissement d'un chemin de fer, et les indemnités à lui dues ont été réglées suivant les formes prescrites par la loi du 3 mai 1844. Devant le jury d'expropriation il a fait des réserves, dont il lui a été donné acte, relativement au droit qu'il aurait de réclamer telle nouvelle indemnité qu'il appartiendrait pour le cas où, par suite des travaux de l'établissement du chemin de fer, les eaux dont jouissait la partie non expropriée de son domaine viendraient à être taries. Dix-huit ans après, ce propriétaire forme une demande tendant à obtenir une indemnité nouvelle, à raison du préjudice que lui causerait la perte des eaux dont profitait son domaine, et qui auraient été interceptées par suite des travaux exécutés pour l'établissement du chemin de fer; Cette demande appartient à la compétence administrative.

Des réserves mêmes il résulte que la perte des eaux, dont l'éventualité était subordonnée à l'exécution des travaux, ne constituait pas une suite certaine et nécessaire de l'expropriation; il s'agit donc d'apprécier un dommage qui, n'étant ni certain ni connu lors de l'expropriation, serait résulté des travaux ultérieurement exécutés pour l'établissement du chemin de fer. C'est au conseil de préfecture qu'il appartient d'en connaître en vertu des lois des 28 pluviose an vIII et 16 septembre 1807. Cons. d'Etat, 24 février 1865 (Lebon, 1865, p. 244).

Au contraire, l'incompétence de l'autorité administrative existe, quand il s'agit de prononcer sur la demande en dommages-intérêts formée par une commune contre la compagnie concessionnaire d'un chemin de fer, à raison de ce que la compagnie aurait pris possession du sol d'un chemin non vicinal, sans avoir accompli les formalités légales; cette demande ne peut être appréciée que par l'autorité judiciaire, conformément à la loi du 3 mai 1841. Cons. d'État, 4er mai 1858 (S. 59. 2.188);

sion au nom de l'Etat, a titre de propriétaire, ce qui n'est pas le cas de ces espèces.

C'est en ces termes qu'a prononcé le tribunal des conflits

Sur la réclamation d'un propriétaire dont la cour a été en partie occupée définitivement pour la construction du nouveau remblai d'une route. La déclaration d'incompétence dans ce cas doit porter non-seulement sur le dommage causé par la prise de possession de la partie de cour, mais sur tous ceux des dommages allégués par le propriétaire, qui peuvent être considérés comme une conséquence de cette prise de possession. Cons. d'État, 7 janv. 1864 (Lebon, 4864, p. 48).

Le Conseil de préfecture est encore compétent pour interpréter et appliquer des conventions de droit civil et des engagements résultant de conventions prises devant le jury d'expropriation. Cons. d'Etat, 29 mars 1860 (Lebon, 4860, p. 274); 43 janv. 1859 (Lebon, 1859, p. 29);

Pour statuer sur la demande en indemnité formée par le propriétaire d'un terrain exproprié partiellement, pour cause d'utilité publique, à raison du préjudice qu'il aurait éprouvé par suite de la nonexécution de l'engagement pris par l'administration, devant le jury d'expropriation, de créer ou rétablir des rues sur la partie non expropriée. Cons. d'Etat, 29 mars 4860 (S. 60.2.508);

Pour connaître des dommages résultant de l'exécution de travaux publics, lorsque ces dommages sont la conséquence actuelle et nécessaire d'une expropriation pour cause d'utilité publique. En ce cas, c'est au jury d'expropriation qu'il appartient de fixer l'indemnité due pour ces dommages, comme pour l'immeuble exproprié. Cass., 23 juin 1863 (S. 63.4.549);

Si, par suite de l'établissement d'un pont composé de deux volées, mobiles chacune autour d'une pile construite au bord de la rivière, et afin d'assurer le mouvement d'une de ces volées, les deux étages supérieurs d'une maison venaient à être démolis pour livrer passage au contrepoids de cette volée, et si le propriétaire privé de partie de sa propriété, répondait à l'offre qui lui a été faite d'une indemnité, par une demande tendant à ce que,

par application de l'art. 50 de la loi du 3 mai 1844, sa maison fût expropriée en entier, le Conseil de préfecture serait incompétent pour statuer sur le règlement de l'indemnité. Cons. d'Etat, 27 déc. 1860 (Lebon, 1860, p. 824). Cons. d'Etat, 9 fév. 4865 (Lebon, 1865, p. 178);

Lorsqu'un jury d'expropriation a accordé aux propriétaires riverains d'une ruelle sur le sol de laquelle un chemin de fer a été établi, une indemnité sous la réserve qu'ils justifieraient de leur droit de propriété sur le sol de la ruelle, et a, accessoirement, en fixant l'indemnité relative au sol de la ruelle, tenu compte des dommages causés aux maisons par l'exécution du chemin de fer, si un jugement du tribunal civil vient à décider que ces propriétaires n'ont pas de droit de propriété sur le sol de la ruelle, la décision du jury d'expropriation ne fait point obstacle à ce que les propriétaires portent devant le Conseil de préfecture, la demande d'indemnité relative aux dommages causés à leurs maisons par l'exécution du chemin de fer. L'attrition d'une indemnité relative aux dommages, ayant été subordonnée par le jury à une condition qui ne s'est pas réalisée, est devenue sans effet. Cons. d'Etat, 45 juin 1864. (Lebon, 4864, p. 524.)

Dans le cas où soit le préfet, soit le ministre aurait autorisé à titre d'occupation temporaire l'équivalent d'une véritable expropriation, il appartiendrait au Conseil d'État, statuant au contentieux, de caractériser l'occupation indéfinie, et de décider qu'elle constitue une dépossession, que, par suite, le règlement de l'indemnité appartient, non pas au Conseil de préfecture, mais aux autorités instituées par les lois des 7 juill. 1833 et 3 mai 1844. Cons. d'État, 7 janv. 1864. (Lebon, 1864, p. 25.)

Lorsqu'un concessionnaire de travaux publics, auquel on réclame une indemnité pour dommage causé par l'abaissement de voies publiques, oppose au propriétaire, devant le Conseil de préfecture, une fin de non-recevoir tirée d'un acte dont l'ob

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