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SOMMAIRE

Lausanne, le 21 Février 1874.

XIXe Année.

Colonel Hofstetter +. Hygiène militaire, par L. Rouge, médecin de division. (Fin.)- Nouvelles et chronique

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ARMES SPÉCIALES. De l'instruction des recrues de cavalerie et de l'amélioration des remontes. Expériences sur un canon de 30 1/2 cent. (12 pouces), en acier fondu, se chargeant par la culasse, fabriqué par F. Krupp, à Essen. Bibliographie. Leitfaden zum Unterricht in der Feldbefestigung, par M Brunner, capitaine; par le capitaine Gazurelli. Nouvelles et chronique.

L'Iniziativa. Conférence

+ COLONEL HOFFSTETTER

La Suisse vient de perdre une de ses notabilités militaires les plus saillantes. M. le colonel Gustave de Hoffstetter, instructeur chef de l'infanterie, adjoint au Département militaire fédéral, comme chef du personnel, vient de mourir subitement à Thoune.

L'honorable colonel était né à Sigmaringen en 1818; tout jeune il se destina à l'état militaire et entra à cet effet, en 1829, à l'école des cadets de Munich. Il passa de là à l'école d'artillerie de Wurtzbourg, puis s'enrôla dans l'infanterie et fut bientôt nommé officier dans les troupes du prince de Hohenzollern. En 1847, ses opinions politiques l'obligèrent à quitter l'Allemagne et à se réfugier en Suisse, où il acheta la bourgeoisie d'Eggenwyl, en Argovie. Il fit la campagne du Sonderbund comme adjudant du colonel Egloff, puis prit part à la campagne d'Italie de 1848 sous les ordres et comme adjudant de Garibaldi. Après la prise de Rome, il rentra en Suisse. Dans le courant des années 1850-1851, il donna plusieurs cours très remarqués aux officiers de Zurich et d'Argovie. En 1852, il fut nommé instructeur chef du canton de St-Gall et, comme tel, modifia de fond en comble l'organisation militaire de ce canton. Fendant qu'il remplissait ces fonctions à la satisfaction générale, il fut appelé à plusieurs reprises à commander l'école centrale et l'école des instructeurs. En 1860, il entra comme colonel dans l'état-major fédéral et, en 1866, à la mort du regretté Hans Wieland, il fut appelé à le remplacer. Il se fit remarquer dans ces fonctions par son activité infatigable et l'éclat de son brillant enseignement. Il travailla sans relâche à amener la centralisation de l'armée; il donna un grand développement aux écoles d'officiers et créa les écoles de cadres; il exerça une influence incontestable sur la marche des affaires militaires de notre pays.

Si ce zèle l'entraîna parfois à plus d'innovations qu'il n'en faudrait à une armée de milices, il avait sa source dans une vigilance intellectuelle et dans un besoin de constant progrès assurément respectables.

Une branche importante d'instruction surtout fut élevée par lui à une grande hauteur; nous voulons parler du service de sûreté, devenu entre ses mains tout un art, une science complète, presque une religion dont il était bien réellement le souverain pontife. La IIIe partie de notre règlement de service de 1866, son œuvre presque exclusive, en témoigne hautement. Ce règlement ou plutôt cette ins

truction peut compter pour une des meilleures, sinon pour la meilleure de l'Europe, ce qu'on ne saurait dire de notre dernier règlement d'exercice d'infanterie ni de quelques programmes d'instruction supérieure émanant aussi de lui. Il serait à désirer que ses leçons sur le service de sûreté et sur la tactique élémentaires fussent publiées ; elles seraient, telles quelles, d'une haute utilité. D'autres leçons, sur l'organisation des armées, sur le service d'état major, sur la stratégie, moyennant quelques retouches et compléments, pourraient rendre aussi de bons services, par leur excellente méthode, à nos instructeurs et officiers studieux. On a de lui un livre intéressant sur la défense de Rome en 1849, à laquelle il prit part, à l'état-major de Garibaldi.

Sa mort subite et prématurée laisse dans les rangs de l'armée d'unanimes regrets et dans le sein des autorités militaires supérieures un vide qui ne sera pas aisé à remplir.

HYGIÈNE MILITAIRE

par le Dr Rouge, médecin de division. (Suite et fin.)
III. Alimentation. (Suite.)

Le pain est toujours l'aliment le plus recherché, aussi importe-t-il qu'il soit de bonne qualité. Chez nous, il est fourni par des boulangers avec lesquels l'administration passe des contrats. Le pain est délivré au soldat tous les deux jours, sous la forme d'une miche ronde pesant 1500 grammes.

Dans la panification, on mélange 50 parties d'eau à cent livres de farine; la pâte perd de 14 à 17 pour cent d'eau par la cuisson, qui dure de 36 à 40 minutes, dans un four chauffé à 250 degrés, pour les pains de trois à quatre livres. La partie extérieure du pain, surprise par la chaleur, se caramélise et forme la croûte, tandis que la mie, qui ne reçoit qu'indirectement l'influence de la haute température du four, atteint à 100 degrés son point de cuisson. 100 kilog. de farine de première qualité donnent 130 à 134 kilog. de pain blanc. Le pain ordinaire, convenablement cuit, donne sur cent parties: 17 de croûte et 83 de mie, qui renferme au moins 45 pour cent d'eau, tandis que la croûte n'en contient que le 15 pour cent. Le déchet du pain chaud au pain froid est de 24 onces par quintal; il ne doit donc être pesé que lorsqu'il est tout à fait froid. La quantité de sel qui entre dans la composition du pain peut être évaluée à 500 grammes par quintal.

On a beaucoup discuté sur le rôle du son dans la farine; le résultat de l'expérience est que le son ne représente dans la farine qu'un corps étranger, réfractaire au travail de la digestion; la matière azotée assimilable qu'il contient est trop faible pour être considérée comme un aliment pour l'homme; aussi, en 1853, un décret du gouvernement français a porté le blutage à 20 pour cent. Pendant le siége de Paris, la totalité du son des graines céréales entrait dans la confection du pain; les gardes mobiles, soumis à ce régime, en ont beaucoup souffert; ils succombaient à des maladies résultant de l'inanition, vomissements, diarrhée, scorbut.

Les Français ont imaginé de remplacer en campagne le pain par du biscuit, sorte de galette compacte, dure, sans eau, sans sel et sans levain. Ce biscuit, dépourvu de saveur, est d'autant plus mal reçu par la troupe que, du huitième au douzième jour de son usage, il occasionne la diarrhée, connue dans l'armée sous le nom de diarrhée du biscuit. En 1865, dans les camps d'instruction, en Italie, on essaya de substituer, au moins en partie, le biscuit au pain, mais cette mesure produisit de forts mauvais résultats, et l'on fut obligé d'y renoncer. Il est à désirer que ce produit ne soit jamais introduit chez nous.

Les légumes sont aussi compris dans la ration alimentaire du soldat; ils sont frais ou conservés. Tous les légumes verts que nous avons dans notre pays sont employés pour la soupe. Nous n'avons pas eu, que je sache, l'occasion de recourir aux légumes conservés ; ceux-ci, comprimés ou séchés, ont perdu leur eau de végétation, leur sève et leurs sucs; l'albumine a été coagulée par la chaleur à laquelle ils ont été soumis, chassée par la pression qu'ils ont subie, desséchée en tout cas par le temps; aussi ne remplacent-ils qu'imparfaitement les légumes frais et verts. L'orge, les pois, les fèves, le riz, les pommes de terre sont goûtés du soldat.

Le riz jouit d'une réputation que rien ne justifie. On s'imagine que ce produit est très nourrissant; or il n'en est rien et de toutes les céréales, le riz est le plus pauvre en principes azotés, en matières grasses et en sels minéraux ; d'après Boussingault, le riz n'est guère plus azoté que le foin des prairies L'avoine renferme 14,39 pour cent de matières azotées, 5,50 de matières grasses; le riz ne contient que 7,05 des premières et 0,80 des secondes. Aussi M. Champouillon a-t-il calculé que pour assurer 20 grammes d'azote à celui qui ne conSommerait que cette denrée, il faudrait qu'il absorbât l'énorme quantité de cinq kilogrammes de riz cuit. Le riz, étant d'un transport et d'une conservation faciles, reste pour cela en grand honneur auprès des administrations.

Les Allemands font usage d'une saucisse particulière, dont la base est constituée par la farine de pois mêlée à un extrait de viande; ce produit, très-nutritif, d'une cuisson rapide, a rendu de grands services. Il est très estimé du soldat.

Dans le nombre des condiments digestifs, on compte que le sel entre dans l'alimentation à raison de 15 grammes environ par individu.

Comme la soupe fait le soldat, et que le cuisinier trempe la soupe, il importe que ce personnage soit un homme entendu. Pourquoi chaque compagnie n'aurait-elle pas un soldat spécialement chargé de la cuisine et du soin de préparer les aliments? De même qu'on a des armuriers, des cordonniers, des tailleurs, on aurait des cuisiniers. Le soldat mangerait mieux, et il y aurait moins de déchets, plus d'économie dans l'alimentation des troupes.

Il serait sage aussi, pour rompre la monotonie du régime, de publier une instruction culinaire, comme cela s'est fait en France dès 1850, en Amérique, en Allemagne, et d'améliorer le matériel de cuisine des casernes et des camps.

C'est ici le lieu de signaler l'introduction dans l'armée allemande de cuisines ambulantes, montées sur des voitures spéciales; je fais des vœux pour que notre administration fasse l'essai de cette innovation.

Encore un mot. Aujourd'hui, c'est un caporal qui est chargé d'acheter les denrées; cette opération est cependant assez importante pour qu'elle dût être confiée à un officier. Ceux-ci d'ailleurs ne s'occupent pas assez des détails de cuisine; aussi ne saurions-nous assez engager les médecins à surveiller le choix du régime et à pousser de fréquentes investigations sous le couvercle de la marmite. Quant au mode d'achat des vivres, et surtout de la viande, je suis d'une manière générale opposé aux soumissions; à part d'honorables exceptions, les contrats ne sont que très mal exécutés, soit de la part des fournisseurs, qui ne mettent pas toute la bonne foi désirable à remplir les conditions prescrites; soit de la part des chefs militaires, qui manquent de l'énergie nécessaire pour rompre les marchés.

16

J'arrive aux boissons. On dit que l'eau est la boisson du soldat. Toutefois les fils de Mars n'ont guère de respect pour ce précepte généralement peu suivi, trop souvent violé. A l'eau pure des fontaines, ils préférent le vin, la bière et l'eau-de-vie. Le vin n'est pas fourni par l'administration, sauf en campagne cependant, où l'on en donne un quart de pot par jour et par homme. Dans les temps froids, il se fait des distributions de rhum, un ',, de pot pour chaque soldat; celui-ci la reçoit sous forme de grogs chauds; c'est ce qu'on devra toujours faire, et l'on aura soin d'en donner particulièrement aux hommes de garde, aux avant-postes, aux patrouilles. Les liqueurs vendues dans la cantine, dans les débits voisins des casernes, devraient être contrôlées; un grand nombre de ces eaux-de-vie sont frelatées; beaucoup contiennent du fousel, huile essentielle provenant de la distillation des fécules, véritable poison qui cause de violents maux de tête, des vomissements, et détermine rapidement l'alcoolisme. Le général Grant prohiba l'usage des liqueurs dans les camps. et dans les mess d'officiers. C'est une erreur de croire qu'on peut remédier à une alimentation insuffisante par l'emploi de liqueurs fortes; leur abus en pareille condition détermine, outre les effets particuliers de l'alcoolisme, tremblement, abrutissement, dégénérescence des tissus de l'organisme, la diarrhée et la dyssenterie. Après une faction par la pluie et par le froid, après une nuit de garde, c'est une soupe, du café, du thẻ ou du vin chaud qu'il convient de donner au soldat.

En Russie, dans les camps d'instruction, les soldats ont à leur disposition une quantité illimitée de kwas (décoction de malt à laquelle on ajoute du poivre), c'est une sorte de bière très peu alcoolique, dont le goût est un peu amer, acidulé et légèrement aromatique. Les soldats usent encore beaucoup du thé; le vin ne figure que sur la table des officiers (').

(') Je crois bien faire en donnant les renseignements suivants sur l'action de l'alcool, qui n'est en réalité nuisible que par l'excès qu'on en fait. Voici comment s'explique M. G. Sée, professeur des facultés de médecine de Paris.

«Dans tous les pays du monde, lorsqu'on se prépare à supporter une fatigue

Le médecin veillera avec le plus grand soin à ce que la troupe n'ait à sa disposition que de l'eau de bonne qualité, exempte de souillures, abondante et limpide. Lorsqu'on veut utiliser pour l'alimentation l'eau d'une rivière, il faut avoir soin d'assigner des points spéciaux pour son puisage. Les hommes doivent prendre l'eau à la partie supérieure; au-dessous sera l'abreuvoir des chevaux; et tout-à-fait à la partie inférieure, les lavoirs. Si l'eau de rivière est limoneuse ou troublée par les pluies, il faudra remédier à cet inconvénient, en creusant à quelque distance de ses bords, des trous qui fournissent une eau filtrée à travers les terres. Dans certaines circonstances on se trouvera bien d'installer des filtres artificiels; en cas d'urgence, on pourrait placer dans une mare un tonneau percé de trous au fond, et rempli jusqu'à une certaine hauteur de gravier, de sable et de charbon. Des couvertures de laine supportées par des pieux seront aussi, dans ce but, avantageusement utilisées.

Je pourrais peut-être donner ici un aperçu des rations alimentaires du soldat dans les diverses armées. Cela m'entraînerait trop loin. Je me bornerai aux deux exemples suivants, car ils sont instructifs.

L'alimentation du soldat américain se compose de 690 grammes de pain, de 625 grammes de boeuf ou de 375 grammes de porc frais, de 500 grammes de pommes de terre alternant avec 55 grammes de riz, de 60 grammes de café ou de 2 grammes de thé, de 96 grammes de sucre de plus, légumes, fruits, graisse, farine, sel, poivre, vinaigre, suivant les ressources de l'ordinaire. A cette succulente ration on ajoule en temps de guerre, dit M. Champouillon, du lait condensé, des conserves de légumes et des fruits, des gelées, de la glace, du tabac, et une forte provision de wiskey.

Au camp de Lochstadt, en 1870, les soldats prussiens recevaient, pendant six jours, une demi-livre de viande (boeuf, mouton ou porc), et le septième jour, une demi-livre de lard. Les légumes entraient également dans le régime journalier et consistaient en pommes de

physique, lorsque, par exemple, on se dispose à faire une longue route à pied, il est d'urgence de prendre une substance soit solide, soit liquide, dans le but de ménager ses forces Il n'est guère supposable que l'expérience universelle, fondée sur tant d'épreuves individuelles et continuée depuis un aussi grand nombre de siècles, ait pu se tromper partout et toujours. Les Styriens prennent une certaine dose d'arsenic; les Indiens mâchent la coca ou le maté; les Africains boivent du café; les Anglais du thé; en France on prend un verre de vin ou bien un petit verre d'une boisson alcoolique. Toutes ces substances diminuent la dépense musculaire; l'alcool agit de plus comme un excitant, non pas un excitant direct des forces nerveuses ou musculaires, mais en accélérant la respiration au début, il aide singulièrement les muscles à se débarrasser des déchets de la combustion. Le muscle, en effet, respire; il absorbe de l'oxygène et rend de l'acide carbonique. Il ne se brûle pas lui-même à proprement parler; il ne se détruit pas, comme on le croyait naguère; mais par suite de son fonctionnement, il donne naissance à la créatine, à l'acide lactique, au sucre, etc Il faut pour que le fonctionnement coutinue, que tous ces produits soient déblayés. Or sous l'influence de l'alcool, la circulation augmentant dans les muscles, entraîne tous les déchets qui sont la conséquence de la fatigue >>

En résumé, l'alcool pris en petite quantité constitue un moyen d'épargne 11 ralentit le mouvement de la dénutrition, en excitant la circulation périphérique et la respiration; il détermine la réfrigération intérieure; enfin en maintenant l'intégrité des muscles en fonction, il conserve les forces musculaires.

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