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1852-1853]

INCIDENTS.

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face aux besoins les plus impérieux. On étudia plus sérieusement que jamais les difficultés qui se rattachaient à la création des grandes lignes de navigation transatlantique, et le commerce français entrevit dans un avenir prochain de nouvelles sources de richesses, de puissantes garanties de progrès.

Le prince Albert, époux de la reine d'Angleterre, avait eu à caractériser le mouvement social et industriel dont le monde était alors témoin, et c'est dans ces termes qu'il avait su les définir :

<< Quiconque a observé les traits distinctifs de notre époque ne peut mettre en doute que nous soyons au milieu d'une transition merveilleuse qui nous mène rapidement à la grande destination vers láquelle tous les événements de l'histoire ont acheminé nos pères et nous, l'unité de la race humaine; non pas une unité où toutes les barrières soient abaissées, où toutes les nuances soient confondues dans l'uniformité d'une teinte monótone, mais bien une unité qui soit l'harmonie de toutes les dissemblances, l'accord de tous les attributs en apparence opposés.

« Les distances qui séparaient les peuples et les contrées de la terre s'évanouissent chaque jour devant la puissance de l'esprit d'invention. Les idiomes de toutes les nations sont connus et analysés, et il est facile à tout le monde d'en acquérir la possession. La pensée se communique d'un lieu à un autre ávec la rapidité de l'éclair, et au moyen de la force qui se manifeste par l'éclair même.

« Le grand principe de la division du travail, que je ne crains pas d'appeler la force motrice de la civi

lisation, s'étend à toutes les branches de la science, de l'industrie et de l'art. Jadis les esprits très-bien doués pouvaient viser à l'universalité des connaissances; aujourd'hui c'est un champ qui se subdivise sans cesse, et où chacun concentre son activité sur un espace limité, en consacrant sa vie à l'étude ou à la pratique d'une spécialité de plus en plus définie. Mais ce domaine de plus en plus vaste, tout en se subdivisant sans cesse pour la commodité et le succès de la culture, devient de plus en plus, dans les fruits qu'il donne, le patrimoine commun de tous les hommes. Autrefois les découvertes de la science et des arts s'enveloppaient d'un profond mystère; aujourd'hui, à peine une idée ou une invention est-elle au pouvoir d'un homme que déjà on la perfectionne ou on la surpasse à côté de lui ou au loin, et les produits de tous les quartiers du globe terrestre viennent se placer sous la main de l'homme civilisé.

<< Ainsi l'homme remplit de plus en plus la mission sacrée pour laquelle Dieu le plaça sur la terre... »

la

Mais la guerre qui menaçait d'embraser l'Europe, et dont les premières crises ébranlaient déjà l'Orient, guerre faisait craindre à tous les peuples un temps d'arrêt indéfini dans cette carrière de progrès si rapidement parcourue par la civilisation et le génie.

Notre tâche consiste maintenant à résumer les événe. ments qui s'accomplirent et auxquels la France prit une part si grande, si pénible et si glorieuse.

LIVRE VINGT-HUITIÈME.

GUERRE D'ORIENT [1853-1856].

I

Les armées ottomanes disputaient pied à pied aux troupes russes les provinces septentrionales de l'empire et le territoire de la Turquie d'Asie. Au début de la lutte Omer-Pacha avait établi son quartier général à Schumla, la clef des Balkans, le rempart naturel des États du sultan contre la Russie; ses lieutenants avaient franchi le Danube à Kalafat et à Turtukaï, et engagé quelques affaires d'avant-poste qui faisaient honneur à leurs soldats. En Asie les troupes turques, assez nombreuses, mais mal commandées et mal distribuées, formaient six camps, ayant leur point de ralliement à Erzeroum. Dans ces rassemblements à peine installés, sans administration militaire, sans hôpitaux, se confondaient pêle-mêle les contingents asiatiques, composés pour la plupart de bandes irrégulières, indisciplinées, indisciplinables. Les généraux ne brillaient pas par la science militaire, et les officiers européens, d'ailleurs divisés n'avaient aucune action sur ces éléments divers. Un grand nombre de ces officiers étaient étrangers; c'étaient des réfugiés hongrois, polonais,

entre eux,

italiens, qui offraient journellement leurs services à la Turquie. De ce côté, toutefois, comme sur le Danube, les hostilités s'ouvrirent par un succès très-marqué obtenu contre les Russes par les troupes ottomanes; nous voulons parler de l'attaque et de la prise du fort Saint-Nicolas (Nicolavski-Kreport), qui fut enlevé aux Cosaques et aux artilleurs moscovites par une division turque. C'était pour la Russie un début de mauvais augure.

Omer-Pacha avait des qualités militaires qui éblouirent un moment ceux qui se défiaient du système de guerre des Ottomans. Ses premiers combats, récompensés par la victoire, n'avaient eu pour lui d'autre objet que de fortifier et de relever le moral de ses soldats. Il ne songeait nullement à occuper avec ses troupes les plaines basses de la Valachie, que les pluies d'hiver allaient inonder, et à se fermer du côté du Danube, grossi et débordé, toute retraite sur la Turquie d'Europe. Il voulait seulement créer, à l'extrémité de la petite Valachie, une position assez forte pour servir de point d'appui à un corps d'armée sérieux. Une telle position ne pourrait être négligée par l'ennemi, qui devrait, ou la tourner par la Serbie, et c'était s'attirer sur les bras l'Autriche, ou chercher à l'emporter de vive force, et il fallait pour cela concentrer des forces imposantes loin de la ligne directe du Balkan, tout en gardant les Principautés et la longue ligne du Danube. Il fit choix de Kalafat, petite ville située en face de Viddin, place forte de la haute Bulgarie, et il y établit un corps d'armée couvert par de solides retranchements. Il réussit

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HOSTILITÉS ET NÉGOCIATIONS.

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ensuite à former, de Viddin à Silistria et de Schumla aux postes avancés du bas Danube, une ligne très-étendue de positions militaires, tandis que les Russes étaient forcés de se déployer sur un immense ruban de terrain de la frontière de Bessarabie à celle de Serbie. Ces avantages stratégiques avaient été compensés par le désastre de la marine turque à Sinope, et les deux grandes puissances alliées de la Porte, après avoir ordonné à leurs escadres d'entrer dans la mer Noire, ne pouvaient tarder à prendre une part active aux événements de la guerre.

Les premiers mois de l'année qui venait de s'ouvrir (1854) ne furent d'ailleurs signalés, sur le théâtre de la lutte, par aucun fait militaire digne de préoccuper l'Europe; on sentait que les engagements qui exerçaient le courage des Turcs et fortifiaient leur discipline n'étaient que le prélude d'efforts plus sérieux et mieux combinés, et tous les regards se tournaient vers Paris et vers Napoléon III.

II

A la veille de tirer l'épée on négociait encore; l'empereur Nicolas chargea le comte Orlof, l'un des membres les plus éminents de l'aristocratie russe, de se rendre à Vienne et de réclamer de l'Autriche, sinon la promesse d'une alliance défensive ou offensive, au moins une neutralité absolue. M. le baron de Budberg reçut l'ordre de soumettre des propositions dans le même sens au roi de Prusse. Cette double mission échoua; nila Prusse, ni l'Autriche ne voulurent pren

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