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1853-1856)

OPÉRATIONS VERS LE BAS-DANUBE.

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V

Les premiers mois de l'année avaient été donnés aux préparatifs, aux armements, aux pourparlers diplomatiques engagés avec l'Allemagne, à tous les détails qui ont cessé d'être la paix et qui ne sont point encore la guerre. La Russie, pour désintéresser l'Autriche, avait ordonné à ses troupes de s'éloigner de la Valachie, et la lutte continuait entre les troupes turques sous les remparts et dans le pays que le Danube baigne ou protége. Quelques détachements anglo-français venaient d'entrer en Bulgarie, et leur présence donnait aux régiments d'Omer-Pacha une confiance toute nouvelle, une solidité inespérée, que redoublait encore l'heureuse résistance de Silistria. Le 7 juillet les Russes furent vaincus près de Giurgévo; les jours suivants le corps expéditionnaire anglo-français poussa des reconnaissances vers la Dobrutscha, vaste territoire marécageaux situé aux abords du BasDanube, et les Cosaques reculèrent devant nos zouaves. Le quartier général des Français fut établi à Varna.

Or un ennemi bien autrement redoutable que les Russes ne tarda pas à mettre obstacle aux progrès du corps expéditionnaire. Lecholéra, qui avait déjà exercé de grands ravages à Gallipoli et au Pirée, se déclara dans l'armée campée autour de Varna et la décima cruellement; six semaines passées à lutter contre le fléau, tout en manœuvrant pour disputer le terrain à l'ennemi, ne lassèrent point la patience de nos troupes,

mais la France perdit un grand nombre de ces soldats admirables et dévoués que seule, en quelque sorte, elle a le privilége d'enfanter, et dont elle devrait parfois se montrer plus avare. Vers la fin d'août, le maréchal de Saint-Arnaud, qui commandait l'armée, se trouva en mesure de commencer des opérations importantes. Un système d'approvisionnement était établi; les moyens de transport étaient concentrés dans les ports et dans les rades qui avoisinaient le camp; il n'était plus question de franchir les marais de la Dobrutscha et de se porter à la suite des troupes russes qui battaient en retraite ; il fallait soustraire l'armée aux détestables influences de la fièvre et de l'épidémie et utiliser les souffrances et la mort de tant de braves qui se trouvaient exposés à d'invisibles dangers qu'ils ne pouvaient vaincre. On résolut de tenter une expédition contre la Crimée, et de ruiner la puissance maritime de la Russie méridionale en enlevant aux lieutenants du czar l'importante forteresse de Sébastopol, le Gibraltar de la Moscovie.

VI

Déjà la campagne de la Baltique s'était ouverte par un glorieux fait d'armes. La flotte anglaise, que venait de rejondre une division de la flotte française, sous les ordres du vice-amiral Perseval-Deschênes, croisait devant les îles d'Aland. Les intrépides chefs qui commandaient les marines des deux nations avaient reconnu l'importante position de Cronstadt, qui protége la Baltique du côté de la Néva;

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d'un avis unanime il avait été proclamé qu'avec les moyens dont on disposait il serait insensé de vouloir se rendre maître de cette forteresse; on s'était donc contenté de mettre en état de blocus les golfes de Bothnie et de Finlande, et l'on s'était rabattu sur les îles d'Aland. Embarquées à Calais le 16 juillet, les troupes françaises qui devaient prendre part à cette attaque furent mises à terre, le 8 août, sur les îles d'Aland, et les opérations du siége de Bomarsund furent sur-le-champ ordonnées et conduites par le général Niel, officier du génie de haute distinction.

Bomarsund était à la fois protégé par la mer, par des rochers, et par trois ouvrages séparés qu'occupaient de nombreux soldats russes et une puissante artillerie. Le 13 août, au matin, les Français ouvrent le feu contre la place; le 15 l'artillerie anglaise s'unit à la nôtre pour battre en brêche la tour de l'est, tandis que la tour de l'ouest tombait au pouvoir de nos chasseurs de Vincennes. Le général Baraguey d'Hilliers, qui commandait le corps d'expédition français, prit toutes les mesures qui pouvaient hâter la destruction de la forteresse, et le même jour les assiégés, écrasés par les feux de terre et de la marine, se rendirent à discrétion. La saison était déjà fort avancée pour une guerre maritime dans ces parages septentrionaux ; le choléra éprouvait l'armée de la Baltique comme l'armée d'Orient. Les amiraux décidèrent que pour le moment la campagne se bornerait à la prise de Bomarsund, de cette place forte dont la Russie avait voulu faire son port principal, sa sentinelle avancée dans la mer Baltique.

VII

Du côté de la mer Noire l'armée anglo-française s'embarqua dans les premiers jours de septembre; elle se composait de trente-cinq mille Français, de vingt-cinq mille Anglais et de dix mille auxiliaires turcs. Les amiraux reconnurent d'abord les côtes de Crimée et choisirent pour point de débarquement une place située entre l'Alma et Eupatoria. Le 13 on jeta l'ancre à Eupatoria, et l'on résolut d'y prendre un point d'appui pour les armées et pour les flottes; les jours suivants furent consacrés au débarquement des troupes et du matériel, sans que les Russes essayassent d'y mettre obstacle. Le prince Mentchikoff, qui dirigeait les opérations défensives, avait pris une forte position à Bourlouk, où il comptait garder le passage de l'Alma; il y avait concentré les forces russes qui avaient mission de défendre la Crimée. Le 19 septembre l'armée des alliés arriva sur le Bulganack, en vue de l'Alma, rivière dont le cours sinueux est profondément encaissé, et que les Russes, avantageusement postés sur les hauteurs, se proposaient de défendre résolûment. Le 20 septembre notre vaillante armée arriva en face de l'ennemi et fut accueillie par un feu terrible.

Il s'agissait de franchir la rivière et de gravir ensuite des falaises taillées à pic; nos zouaves, les premiers soldats du monde, s'élancèrent au pas de course; sans se laisser arrêter par la mousqueterie et l'artillerie des Russes, ils traversèrent l'Alma et escaladèrent les mu

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BATAILLE DE L'alma.

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railles naturelles que le centre de l'ennemi couvrait de ses bataillons et de ses canons, et qu'il avait jugées inaccessibles. De son côté l'armée anglaise, renonçant à tourner la droite des Russes, avait attaqué de front leurs positions retranchées et les emporta, non sans subir des pertes sérieuses. Les Français, continuant leur mouvement offensif, attaquèrent et culbutèrent successivement les troupes russes postées sur les hauteurs, que couvraient des batteries, des fossés, des murailles, formidables obstacles ajoutés aux obstacles du terrain. Chacun passa comme il put, dit le maréchal de Saint-Arnaud, mais en peu de temps les crêtes furent couronnées, au cri de Vive l'Empereur! et les bataillons ennemis qui gardaient ces hauteurs furent mis en pleine déroute. Les Russes couvraient encore le plateau, essayant de prolonger la lutte. Les Anglais arrivèrent à leur tour, rachetant par un intrépide courage les lenteurs de leurs mouvements. Les qualités militaires des deux nations se manifestaient en même temps, si diverses qu'elles soient. Les Français se faisaient remarquer par un entrain inouï, par une audace rapide, par une foudroyante initiative; les Anglais, par une lenteur solide, par un calme inébranlable, et on les voyait marcher comme à la parade sous le feu terrible qui les enveloppait sans les renverser. La victoire la plus décisive récompensait enfin tant d'héroïsme, tant de sacrifices.

Des deux côtés les pertes furent considérables; mais la plus regrettable fut celle du général en chef de l'armée française, de l'homme qui avait conçu et entrepris l'expédition de Crimée. Atteint d'un mal

HIST. CONTEMP. - T. VIII.

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