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incurable, succombant au fléau qui décimait nos troupes, le maréchal de Saint-Arnaud avait voulu monter à cheval et prendre part à la bataille de l'Alma, Quand il eut rendu compte à l'empereur de cette journée, il donna l'ordre de marcher sur Sébastopol. Neuf jours après il expira, enseveli dans sa gloire, et laissant au général Canrobert, désigné à l'avance, le commandement de l'armée et la direction de la

guerre.

?

VIII

Les Russes s'étaient repliés sur Sébastopol et y avaient laissé une garnison importante. Le reste de leur armée prit ensuite position au delà de la Tchernaïa de manière à assurer les communications avec l'intérieur de l'empire. Les alliés, de leur côté, après avoir reconnu la situation de Sébastopol, franchirent la vallée de la Tchernaïa et établirent la base de leurs opérations à Balaclava, port situé sur le littoral sud de la Crimée, à sept milles de Sébastopol. Tandis que l'armée de terre achevait de débarquer et se disposait à entreprendre le siége de Sébastopol, une escadre de quinze vaisseaux de guerre bloquait la passe et tenait en respect la flotte russe. Le prince Mentchikoff résolut alors de fermer aux bâtiments anglais et français l'entrée de la ville; il fit couler bas, dans le chenal qui conduit au port, sept bâtiments de guerre qui obstruèrent les passes, et ce sacrifice, en paralysant les efforts des alliés du côté de la mer, changeà en un instant toutes les conditions du siége.

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1853-1856]

SIEGE DE SÉBASTOPOL.

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Les alliés mirent cinq jours, et c'était bien peu, à établir des camps provisoires, à transporter à terre les hommes, les vivres, les munitions, le matériel. Les Russes, disposant d'immenses ressources, employèrent ce temps à mettre la ville en état de résister aux attaques de leurs ennemis, et l'armée anglofrançaise se vit dans la nécessité d'entreprendre un siége en règle. Le simple aspect de Sébastopol indiquait les difficultés sans nombre qu'on allait avoir à surmonter. Les fortifications de la place se développaient sur une vaste étendue, et les Russes nous opposaient des hommes, des canons, des ouvrages, une longue série d'obstacles dont deux puissantes armées n'auraient pu venir à bout. Sébastopol étant divisée en deux parties bien distinctes par une rade large et profonde, on ne pouvait la bloquer; on ne pouvait l'attaquer ou la réduire que d'un seul côté, sauf à entreprendre ensuite l'attaque ou la réduction des quartiers du Nord, et nos armées combinées, obligées de combattre à quatre cents lieues de la mère-patrie, n'étaient point en mesure de réaliser un double siége dans de pareilles conditions.

L'armée victorieuse de l'Alma ne se laissa point décourager par la perspective du travail et des sacrifices. Elle n'avait pas à rétrograder; il lui fallait soutenir l'honneur de la France et de l'Angleterre. Sur-lechamp les travaux du siége commencèrent, et des canons de très-fort calibre enlevés aux vaisseaux furent transportés à terre et disposés pour foudroyer l'ennemi. Les Russes, déployant une activité inouïe, s'étaient mis en mesure de faire échouer ces attaques. Là où,

peu de jours auparavant, s'élevaient seulement des tours et des ouvrages en terre, ils avaient construit comme par enchantement des remparts continus. Ils avaient placé des vaisseaux à trois ponts dans leurs lignes de défense et à l'extrémité du port. Leur vaisseau amiral, les Douze-Apôtres, l'orgueil de la marine moscovite, protégeait de ses puissantes batteries l'entrée des ravins qui débouchaient sur Sébastopol.

La tranchée fut ouverte le 9 octobre et le feu commença le 17. Du côté de la mer les escadres attaquèrent vigoureusement les forts qui défendaient la rade; mais l'ennemi soutint cette épreuve et ne fut point ébranlé. En France et en Angleterre on avait été mal renseigné sur les moyens de défense qui protégeaient Sébastopol ; aussi les deux armées alliées, au lieu de réduire la ville à une prompte capitulation, se consumèrent-elles, durant plusieurs mois, en efforts héroïques, mais inutiles. La place assiégée possédait des approvisionnements inépuisables en artillerie et en munitions; les renforts arrivaient sans obstacles à sa garnison, et chaque nuit les Russes réparaient les pertes de la journée et relevaient les fortifications dégradées. Enhardis par la conscience de leur force, les Russes concurent le projet de jeter l'armée assiégeante dans la mer. Le 25 octobre ils attaquèrent en masse les retranchements occupés par les Turcs et s'en rendirent maîtres. Un moment après ils tournèrent contre les Anglais leurs propres canons, et contraignirent les Higlanders, rangés en bataille sur la route de Balaclava, à se replier devant eux et à prendre en arrière une position plus forte. Alors les Anglais

1853-1856]

BATAILLE DE BALACLAVA.

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accoururent et tinrent tête à l'ennemi. Les cavaleries anglaise et russe se heurtèrent, front contre front; les Écossais gris et les dragons d'Eniskiller chargèrent sabre au poing, et les Russes furent deux fois rompus, deux fois dispersés. Opiniâtres et dévoués, ils revinrent à l'œuvre; sans attaquer, ils se maintinrent en possession des hauteurs, des canons, des redoutes dont ils s'étaient rendus maîtres. Lord Raglan ordonna à la cavalerie anglaise de reprendre les canons que n'avaient pas su défendre les Turcs. Lord Cardigan, obéissant à son général, s'élança dans la plaine, essuyant le feu des redoutes et des batteries moscovites, et sa faible troupe s'aventura jusqu'à portée de la ligne ennemie, sabrant les canonniers russes sur leurs pièces et traversant au grand galop les réserves d'infanterie. Cet acte d'héroïsme inutile coûta cher à cette brave cavalerie, qui fut détruite presque tout entière. Le lendemain les Russes attaquèrent de nouveau Balaclava et furent repoussés. En dépit de cet avantage remporté sur eux, la position était nettement dessinée. Ce n'étaient plus les Anglais et les Français qui assiégaient Sébastopol; c'étaient les Russes qui menaçaient et mettaient en péril jusque dans ses retranchements l'armée assiégeante, appuyée sur la mer et hors d'état de venir à bout de la place.

IX

Les ordres de l'empereur Nicolas ne permettaient pas aux troupes russes de ne point tirer parti de cette situation ; les deux fils du czar, les grands-ducs Nicolas

et Michel, étaient venus en personne imprimer à leurs soldats l'élan nécessaire; ils amenaient à leur suite d'immenses renforts. Le 5 novembre, les Russes, ayant reconnu que la droite de l'armée anglaise n'était point convenablement fortifiée, se portèrent sur les hauteurs qui surplombaient la vallée d'Inkermann, s'emparèrent d'une redoute anglaise et s'y établirent avec du canon. Les Anglais accoururent. La redoute fut prise et reprise quatre fois. On se battait au milieu d'un brouillard intense, qui ne permettait pas aux combattants de voir leurs ennemis. La mêlée était affreuse. On luttait

corps à corps, à la baïonnette, à coups de crosse, à coups de pierre, sans avoir le temps de recharger les fusils, et les cadavres des Russes, amoncelés çà et là, servaient de retranchements à ceux des Russes qui vivaient encore. Insensiblement les régiments anglais se trouvaient hors d'état de continuer la lutte; épuisés par un combat de deux heures, ils allaient se voir accablés par les masses de leurs ennemis. Soudain nos zouaves et nos fantassins, avertis de loin par le bruit du canon, accoururent au secours de leurs braves alliés. Il était temps! Une attaque dirigée par le général Canrobert sur le flanc droit des Russes les força d'exécuter un changement de front; les Anglais, soutenus si à propos, se ruèrent de nouveau sur les colonnes russes, dont les masses étaient labourées par notre artillerie. Nos zouaves, nos Turcos, soldats que nul danger n'arrête, se précipitèrent en même temps sur les ennemis. Accablés, cernés, refoulés, tués de loin ou fusillés à bout portant, les Russes soutinrent le choc en vaillantes troupes, et leurs sauvages hurrahs do

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