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XII

Un homme qui, à une autre époque avait rendu à la liberté et à l'ordre des services signalés, M. le comte de Montalembert, n'avait point voulu accepter la situation créée à la France par l'acte du 2 décembre, ratifié le 20 du même mois au nom du peuple. La liberté, qui lui avait causé, depuis le 24 février 1848, une terreur presque exagérée, et qui l'avait vu s'écarter de ses drapeaux comme on s'écarte d'une cause mauvaise, trouva en lui un courtisan, un consolateur, un apôtre, dès qu'elle parut compromise ou vaincue par l'exercice de la dictature. Nul ne fut mis dans le secret de la pensée de l'illustre orateur; nul ne devina pourquoi le coup d'État, dont ses discours et ses déclarations parlementaires, pendant près de quatre ans, avaient hâté le succès et légitimé le but, lui parut devoir être désavoué, et suscita dans son cœur, contre le prince Louis-Napoléon, une opposition aussi vive qu'inattendue. Si M. de Montalembert s'indigna de voir amoindrir le rôle des assemblées politiques et diminuer la hauteur de la tribune; s'il trouva au-dessous de lui de se rallier à un pouvoir qui n'avait pas fait appel à ses services et ne s'était pas mis sous sa tutelle, personne ne l'a su, personne n'a été en droit de le deviner, et l'histoire contemporaine abandonne à l'histoire à venir (si elle juge nécessaire d'aborder cette question douteuse) le soin de résoudre un problème dont l'étude nous paraîtrait en ce moment tout à fait inopportune.

1853-1856]

M. DE MONTALEMBERT EST ACCUSÉ.

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A l'occasion d'un comice agricole qu'avait présidé M. Dupin, un échange de pensées et d'opinions confidentielles avait eu lieu entre ce personnage et M. le comte de Montalembert. Le 5 décembre 1853 un journal de Liége publia une lettre qui mentionnait cet incident et développait, sous la signature de M. de Montalembert, des appréciations personnelles fort malveillantes pour l'empereur et son gouvernement. Bien que cette publication eût été le fait d'un journal étranger, comme on avait essayé de la populariser en France, M. le procureur général près la cour impériale de Paris demanda au Corps législatif l'autorisation de diriger des poursuites judiciaires contre M. de Montalembert. Cet incident émut très-vivement l'opinion publique. La commission du Corps législatif chargée d'examiner la demande du procureur général prit en sérieuse considération cette circonstance que M. de Montalembert alléguait et affirmait que c'était sans sa participation et à son insu que sa lettre avait été imprimée en Belgique. La commission, voulant protéger l'inviolabilité législative, conclut au refus de l'autorisation sollicitée par le procureur général. La discussion s'engagea sur cette question, et la majorité de l'assemblée, nonobstant les déclarations de M. de Montalembert et les conclusions de la commission, consentit à laisser agir la justice contre l'illustre accusé. L'autorisation de poursuivre fut votée à la majorité de 184 voix contre 51. Cette résolution du Corps législatif produisit une certaine émotion dans le pays et ne tarda pas d'ailleurs à être effacée sous la pression des événements qui s'accomplissaient.

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Une loi fut présentée au Corps législatif pour modifier certaines dispositions de la loi du 15 mars 1850, en ce qui concernait l'administration académique et le régime financier des facultés ; à l'occasion de l'étude de cette loi on se rendit compte de la situation qu'avait créée celle qui, depuis quatre ans, avait établi la liberté de l'enseignement en France. Le nombre des institutions libres de toute nature s'élevait à 1,081, savoir: 825 maisons laïques et 256 établissements ecclésiastiques. Neuf congrégations différentes dirigeaient des établissements d'instruction secondaire, et, sur 33 écoles de cette catégorie, les Jésuites en possédaient II: les écoles épiscopales étaient au nombre de 67, réunissant 7,081 élèves externes ou internes; les 256 écoles ecclésiastisques renfermaient ensemble plus de 21,000 élèves; les institutions laïques, au nombre de 825, donnaient l'enseignement à 42,460 élèves. Les lycées, les colléges communaux, les établissements publics d'éducation comptaient environ 43,000 élèves participant à l'instruction secondaire.

Parmi les lois d'administration qui furent discutées et promulguées figuraient une loi sur les livrets d'ouvriers (les rendant obligatoires), une loi destinée à réglementer le drainage, une loi portant abrogation de la mort civile, odieuse pénalité que repoussaient les amis de l'humanité et de la justice.

Les travaux publics qui avaient pour objet l'embel

A

TRAVAUX PUBLICS.

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1853-1856] NOUVELLES LOIS. lissement et l'assainissement de Paris continuèrent à recevoir un développement inusité; alors se poursuivait sur les plus larges bases un système de démolitions radicales combinées avec des reconstructions grandioses; un Paris nouveau sortait des décombres de l'ancienne cité; le Louvre s'achevait comme par enchantement; la rue de Rivoli prolongée semblait une voie ouverte à travers les quartiers les plus insalubres de la ville, pour porter aux populations pauvres le mouvement, le soleil, la vie ; le boulevard de Strasbourg plaçait en quelque sorte au centre même de Paris l'une des lignes les plus importantes de notre réseau français; la rue des Écoles, à mesure qu'elle se développait de l'ouest à l'est, faisait disparaître des réduits innombrables jusqu'alors privés d'air et de lumière, où les classes ouvrières s'entassaient pêle-mêle au détriment de la moralité et de la santé. On commençait déjà, au prix des plus grands sacrifices, ces Halles centrales qui à l'heure présente font à juste titre l'orgueil de Paris; enfin on construisit aux Champs-Élysées et le long de la Seine un immense palais, mi-partie définitif, mi-partie provisoire, qui ne devait pas tarder à s'ouvrir pour une « Exposition

universelle » dont nous mentionnerons bientôt les merveilles.

XIV

Ainsi la France et l'Angleterre s'unissaient pour combattre la Russie et associer l'activité ou la neutralité de l'Europe occidentale au maintien de l'équi

libre international; ainsi, en poursuivant ce difficile travail, elles manifestaient encore leur vitalité puissante par la réalisation de diverses améliorations pacifiques d'un ordre élevé. Cependant les autres nations ne restaient point inertes; elles s'attachaient, elles aussi, à avancer avec plus ou moins d'énergie dans les voies de la civilisation et du progrès. En Suisse une réaction générale vers la démocratie modérée se révélait dans l'opinion dès le lendemain même des victoires violentes du parti radical, et l'on pouvait déjà entrevoir le réveil prochain de la vie cantonale. En Italie les divers États réunis par les aspirations et séparés par les gouvernements observaient avec une attention inquiète les événements militaires dont l'Orient était le théâtre et qui faisaient entrevoir à l'Europe occidentale une perspective de difficultés et de sacrifices. Rome était noblement protégée par une garnison française, et la monarchie sarde, s'abritant sous la double alliance de l'Angleterre et de la France, commençait à vouloir sortir de page et à prendre rang dans les conseils des nations. A Naples un gouvernement fortement retranché sur la défensive se trouvait par cela même condamné à une immobilité peu rassurante pour l'avenir. Le gouvernement piémontais préludait à ses actes futurs en présentant à son parlement un projet de loi destiné à préparer la spoliation des biens appartenant aux communautés monastiques, la ruine des biens de l'Église, vainement placés sous la garantie de la justice et des traditions. On sentait déjà dans les af

faires de ce pays la main de M. de Cavour, et les

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