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1853-1856] OPÉRATIONS DANS La mer d'azof ET EN ASIE. 223

Le général Bazaine, un des plus vaillants officiers de notre armée d'Afrique, fut nommé gouverneur de la ville et s'établit dans la place avec sa brigade.

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XXV

Tandis que les armées de terre portaient à l'ennemi d'aussi rudes coups, les marines alliées ne restaient pas inactives; elles frappaient de tous côtés la Russie dans ses ressources accumulées depuis tant d'années, dans son commerce, dans ses défenses accessibles; elles la harcelaient dans la mer d'Azof, sur les côtes de l'Asie, dans la mer Noire, dans la mer Baltique, dans la mer Blanche et jusque dans la mer de Chine. La guerre continua même sur divers points de la Crimée. Contraints de circonscrire notre récit à la mention des événements qui eurent un retentissement sérieux en Europe, nous ne pourrons, bien à regret, raconter ici ces incidents militaires, ces intermèdes obligés d'une grande lutte. Les Russes furent forcés d'abandonner Kertch et les défenses du cap Saint-Paul; ils ne purent tenir dans léni-Kaleh; ils résistèrent sans succès aux attaques dirigées contre Taganrog, Marioupol, Gheisk, Temriouk et Berdiansk, et dans ces divers parages les marins anglais et français leur firent éprouver d'immenses pertes en approvisionnements et en vivres. Protégés par la mer Putride, qui n'est pas même accessible aux bâtiments d'un faible tirant d'eau, ils conservèrent leurs communications avec l'empire moscovite par le passage de Pérécop. Réduits à abandonner Anapa, forteresse importante qu'ils possé

daient sur la côte orientale de la mer Noire, ils perdirent également Kinburn (14 octobre), qui commandait les embouchures du Dniéper. Les alliés, qui, en 1854, avaient enlevé Bomarsund et les îles d'Aland, bloquèrent les ports de la Finlande et détruisirent les établisssements militaires de Svéaborg. Ils canonnèrent les forts avancés qui protégeaient Riga et détruisirent huit bâtiments dans la passe de Brandon, port de mer de Vasa. En Asie, et au nord de la Chine, ils nettoyèrent la mer d'Okhotsk et détruisirent les ouvrages russes entrepris pour défendre Pétropaulowski; ils vinrent en aide aux Circassiens, en enlevant à l'ennemi commun plusieurs forteresses maritimes de la ligne du Caucase. La ville de Kars, héroïquement défendue par une garnison ottomane, tomba au pouvoir du général Mouravief, et la Russie célébra cet événement comme une victoire.

XX VI

Cependant les événements prenaient en Europeune tournure décisive. L'empereur Napoléon en avait appelé à l'Europe; l'Allemagne parut se prononcer pour les puissances occidentales; la Suède conclut un traité d'alliance avec la France et la Grande-Bretagne. Si cette résolution du roi Oscar n'était point encore une déclaration de guerre de la Suède à la Russie, elle constituait au moins un acte de défiance et d'hostilité à terme; l'annonce d'une campagne dans la Baltique lui donnait en outre une très-haute signification. Le roi de Prusse cherchait à se maintenir dans

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INCIDENTS.

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les conditions de la neutralité, mais le mouvement des esprits autour de lui entraînait son gouvernement vers un rapprochement significatif avec la France. L'Autriche proposa un Memorandum posant plus clairement le casus belli à la suite de propositions qu'elle s'offrait à faire à la Russie, et cette déclaration, communiquée à l'empereur des Français, revint bientôt à Vienne avec des modifications qui furent jugées acceptables par la cour d'Autriche. Ce Memorandum fut remis à la Russie, et le ministre de Saxe eut mission de le soumettre à l'acceptation du czar. Le cabinet de Berlin, dominé par l'attitude de l'Autriche, insista dans le même sens auprès du cabinet de Saint-Pétersbourg, et la Russie, tout en se retranchant derrière des conditions encore hautaines et inacceptables, parut néanmoins disposée à se prêter à des arrangements pacifiques. Après tout, l'honneur de ses armes n'avait point été entamé, et elle avait le droit d'être fière de ses généraux et de ses soldats.

XXVII

Le 29 décembre 1855, l'empereur Napoléon se rendit au-devant des régiments qui revenaient de Crimée; ce fut pour Paris une cérémonie grande et solennelle.

Soldats, leur dit l'empereur, je viens au-devant << de vous comme autrefois le sénat romain allait aux « portes de Rome au-devant de ses légions victo« rieuses. Je viens vous dire que vous avez bien mé« rité de la patrie!... Mon émotion est grande, car au « bonheur de vous revoir se mêlent de douloureux

HIST. CONTEMP. T. VIII.

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<< regrets pour ceux qui ne sont plus et un profond chagrin de n'avoir pu moi-même vous conduire au «< combat.... Soyez les bien-venus!.... La patrie, at<< tentive à tout ce qui s'accomplit en Orient, vous ac<«< cueille avec d'autant plus d'orgueil qu'elle mesure « vos efforts à la résistance opiniâtre de l'ennemi... << Gardez soigneusement les habitudes de la guerre ; << fortifiez-vous dans l'expérience acquise; tenez-vous prêts à répondre, s'il le faut, à mon appel; mais, en ce jour, oubliez les épreuves de la vie de soldat, remer<< ciez Dieu de vous avoir épargnés, et marchez fière« ment au milieu de vos concitoyens et de vos frères << d'armes, dont les acclamations vous attendent. »

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XXVIH

Durant l'année qui venait de s'écouler, les préoccupations de la France ne s'étaient pas exclusivement concentrées sur la lutte dont l'Orient était le principal théâtre. La session ordinaire des Chambres, ouverte par le vote unanime d'un emprunt de 500 millions, destiné à faire face aux frais de la guerre, avait en outre été signalée par des travaux d'une importance relative et que nous ne saurions tout à fait passer sous silence. On avait discuté et voté une loi relative à la dotation de l'armée, loi qui substituait l'exonération vis-à-vis de l'État au remplacement libre et développait le système des rengagements. Les auteurs de cette loi avaient invoqué en sa faveur des raisons de moralité et d'ordre. Ils établissaient que, sans parler des abus imputables aux établissements

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LOI SUR LA DOTATION DE L'armée.

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spéciaux de remplacement, l'élément fourni à l'armée par le remplacement vénal augmentait d'une façon inquiétante. Chaque année, en effet, les remplaçants, fournis par des industriels que le peuple appelait des marchands d'hommes, composaient le quart du contingent, et il était impossible de nier que cet élément ne fût inférieur à l'autre. Ce fâcheux trafic était donc aboli; la loi nouvelle admettait d'une manière générale et absolue tous les jeunes gens compris dans le contingent annuel à s'exonérer du service au moyen d'une prestation en argent; le conseil de révision devait prononcer l'exonération sur la simple présentation du récépissé de versement; les militaires présents sous les drapeaux pouvaient également obtenir leur libération au moyen d'une prestation proportionnée au temps de service qu'ils avaient encore à faire. Le produit des exonérations devait être versé dans une caisse qui prendrait le nom de Dotation de l'armée. Une commission supérieure, nommée par l'empereur, devait fixer chaque année, sous forme de proposition faite au ministre de la guerre, le taux des prestations, et devait pourvoir, de concert avec le ministre, aux moyens de combler le vide produit dans le contingent par les exonérations. Le premier et le principal de ces moyens était le rengagement des anciens soldats, et ces rengagements étaient favorisés par des primes très-importantes. La loi continuait d'admettre le remplacement du frère par le frère, les substitutions de numéros et les engagements volontaires, l'élément le plus digne de l'armée. Vivement, éloquemment combattue par M. de Montalembert,

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