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CONGRÈS DE PARIS.

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la période de l'espérance en attendant que nous fût donnée la certitude de la paix. Au mois de janvier 1856, comme nous le disions tout à l'heure, la Russie avait adhéré, sans conditions et sans réserves, aux propositions que l'Autriche lui avait transmises de la part des puissances belligérantes. Une circonstance contribuait à accroître l'effet de cette concession du cabinet de Saint-Pétersbourg; elle avait été annoncée à la France au moment même où l'on commençait à ne plus compter sur un dénouement pacifique, où l'on craignait de nouveau que la Russie ne cherchât à éluder par quelque réponse évasive les démarches dont le cabinet de Vienne avait pris l'initiative. Depuis quelque temps, sous l'empire de ces appréhensions, les armements formidables pour une campagne nouvelle se poursuivaient de toutes parts avec un redoublement d'activité, et voilà qu'enfin la Russie, jetant dans la balance le poids de son acceptation entière et absolue, venait ranimer toutes les espérances de paix. Les résultats de la guerre d'Orient étaient acquis; la Russie n'avait plus à se replier derrière quelque réserve; sa flotte n'existait plus; Sébastopol était au pouvoir des alliés; il ne s'agissait désormais que de consacrer par un traité une situation acquise par tant de douloureux sacrifices, par tant d'efforts héroïques, et ce dernier pas allait être fait.

Les grandes puissances consentirent d'un commun accord à se faire représenter dans un congrès qui devait siéger à Paris et dans le sein duquel devaient être débattues les grandes questions dont la solution tenait en suspens l'Europe entière. Un armistice, dont le

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terme était fixé au 31 mars, suspendit en Orient et dans la mer Baltique les opérations de la guerre, et, le 25 février 1856, le congrès de Paris commença ses travaux. Les plénipotentiaires désignés par les différentes cours étaient pour la France, le comte Colonna Walewski et le baron de Bourqueney; pour l'Autriche, le comte de Buol et le baron de Hübner; pour la Grande-Bretagne, le comte de Clarendon et lord Cowley; pour la Russie, le comte Alexis Orloff et le baron de Brunow; pour la Sardaigne, le comte de Cavour et le marquis de Villamarina; pour l'empire ottoman, Aali-Pacha et Djémil-Bey. Ces personnages représentaient les puissances qui se trouvaient encore engagées dans la lutte, et la puissance qui, sans être élevée au rang de médiatrice, avait du moins assumé sur elle l'honneur des premières négociations, le rôle d'intermédiaire pacifique. On discuta ensuite s'il convenait d'admettre la Prusse à se faire représenter au congrès. Cette puissance ne semblait pas en avoir le droit; elle s'était maintenue, durant le cours des difficultés et pendant la guerre, dans une neutralité timide, sinon égoïste, qui avait eu pour l'Angleterre et pour la France un caractère menaçant, sans être vue avec satisfaction par la Russie. Cependant la Prusse était intervenue dans les délibérations de la conférence de Londres en 1840; elle avait signé, pour sa part, le traité du 13 juillet 1841, qui avait réglé la question d'Orient; on ne pouvait lui infliger l'affront de la tenir en dehors du débat qui allait s'ouvrir, et de lui assigner, vis-à-vis de l'Autriche, une position abaissée. Ces considérations longtemps débattues

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déterminèrent les puissances à admettre la Prusse à prendre place au congrès, dès le 18 mars, et le cabinet de Berlin s'y fit représenter par deux hommes éminents, le baron de Manteuffel et le comte de Hatzfeldt.

Les délibérations du congrès furent empreintes d'un caractère de modération et d'une volonté conciliatrice dont peu d'assemblées de cette nature avaient au même degré donné l'exemple. Quant aux questions en litige, elles étaient d'une extrême gravité; il s'agissait, en effet, d'admettre la Turquie dans le concert européen et de faire sortir l'empire ottoman de l'isolement où il se trouvait relégué; il fallait régler la clôture des détroits du Bosphore et des Dardanelles, neutraliser la mer Noire, et limiter, sur ce point, les armements maritimes de la Russie. Il était, en outre, indispensable de s'occuper de la libre navigation du Danube, qui pouvait être mal à propos entravée par les prétentions de l'Autriche et de la Turquie aussi bien que par les manifestations menaçantes de la Russie. La question des provinces danubiennes venait ensuite, avec les énormes difficultés qui s'y rattachent; il s'agissait de soustraire ces contrées au protectorat oppressif de la Russie, et l'on se demanda, sans pouvoir s'entendre sur cet obstacle de détail, si la Moldavie et la Valachie formeraient deux États distincts ou ne constitueraient désormais qu'une seule principauté. Ces divers problèmes furent étudiés sans parti pris de ne faire aucune concession, et avec le désir de sauvegarder les intérêts et l'honneur des puissances.

XXXII

Durant le cours de ces discussions, dont les détails restaient ignorés du public, mais qui semblaient inévitablement destinées à ramener la paix en Europe, un événement important pour la dynastie des Napoléons eut lieu à Paris. Le 16 mars 1856 Sa Majesté l'impératrice donna le jour à un fils dont la naissance vint accroître les espérances de sécurité et de stabilité auxquelles le pays se laissait aller. La naissance de l'héritier du trône fut saluée par les acclamations spontanées du peuple français, et le congrès de Paris lui-même suspendit ses travaux pour féliciter l'empereur. Répondant à l'une des adresses officielles que les corps de l'État vinrent lui présenter, Napoléon III fit entendre ces paroles empreintes d'un sentiment à la fois vrai et touchant :

« Vous avez salué en mon fils l'espoir dont on aime à se bercer de la perpétuité d'un système qu'on regarde comme la plus sûre garantie des intérêts généraux du pays; mais les acclamations unanimes qui entourent son berceau ne m'empêchent pas de réfléchir sur la destinée de ceux qui sont nés et dans le même lieu et dans des circonstances analogues. Si j'espère que son sort sera plus heureux, c'est que, d'abord, confiant dans la Providence, je ne puis douter de sa protection en la voyant relever, par un concours de circonstances extraordinaires, tout ce qu'il lui avait plu d'abattre il y a quarante ans, comme si elle avait voulu vieillir par le martyre et le malheur une nouvelle dynastie sortie des rangs du peuple. Ensuite l'histoire

1853-1856] NAISSANCE DU PRINCE IMPÉRIAL.

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a des enseignements que je n'oublierai jamais; elle me dit, d'une part, qu'il ne faut jamais abuser des faveurs de la fortune; de l'autre, qu'une dynastie n'a de chance de stabilité que si elle reste fidèle à son origine, en s'occupant uniquement des intérêts populaires pour lesquels elle a été créée. »

L'empereur Napoléon III avait connu la prison, l'exil, les revers, toutes les épreuves qui peuvent agir sur l'âme d'un homme appelé, à son heure, par la Providence, au gouvernement des peuples; moins qu'un autre, moins que les courtisans de la fortune, moins que les thuriféraires officiels, il se faisait illusion sur la certitude du bonheur humain. Élevé au plus haut degré des faveurs que Dieu dispense à l'homme, souverain d'une grande nation, arbitre de l'Europe, chef d'une dynastie à laquelle un héritier venait d'être donné, il reconnaissait, devant le ToutPuissant et devant les hommes, que les dons de Dieu peuvent être repris par Celui de qui ils émanent, et qu'il faut savoir en user sans orgueil et sans aveuglement, avec la fermeté du devoir que l'on accepte, que l'on mesure et que l'on remplit.

Nous ne mentionnerons pas ici les manifestations splendides qui éclatèrent, soit à l'occasion de la nais sance de l'enfant impérial, soit au moment de son baptême, dont la solennité fut différée de trois mois. Le souverain Pontife avait bien voulu être le parrain du jeune prince et se faire représenter, sous les voûtes de Notre-Dame, par S. Em. le cardinal Patrizi, légat a latere. Lorsque l'illustre représentant de Pie IX fut présenté à l'empereur, Sa Majesté lui dit : « Je suis

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