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1853-1856

LES PROVINCES DANUBIENNES.

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Dans l'intérêt de la paix le congrès émit le vœu qu'à l'avenir << les États entre lesquels s'élèverait un dissentiment sérieux, avant d'en appeler aux armes, eussent recours, en tant que les circontances l'admettraient, aux offices d'une puissance amie. »

Le traité de Paris ayant réservé les questions relatives aux principautés danubiennes, la diplomatie dut s'en occuper. Ce fut l'objet des conférences qui se tinrent à Paris à la suite du congrès (mai-août 1858). La France était d'avis d'unir ensemble la Moldavie et la Valachie, selon le vœu des populations de ces provinces, unanimes à proclamer leur nationalité. L'Angleterre et la Russie étaient tout d'abord du même sentiment; mais la première ne tarda pas à changer de sentiment, et l'Autriche montra dans les discussions qui s'élevèrent à ce sujet une défiance et un mauvais vouloir qui commencèrent à refroidir ses relations avec la France.

Plus tard, cependant, la pensée de la France prévalut, et le 29 août 1858 fut signée entre les deux grandes puissances une convention qui établissait que la Moldavie et la Valachie ne formeraient qu'un seul État sous le nom de Principautés-Unies. Il fut en outre décidé que ces deux États auraient une législation commune, qu'ils auraient chacun leur armée tout en pouvant les joindre pour la défense de leurs frontières, qu'elles éliraient chacune un chef ou hospodar qui aurait pour centre d'union un grand conseil chargé de soumettre à la même impulsion l'administration des deux pays.

XXXV

Au milieu des prospérités dynastiques et des triomphes de la diplomatie, des incidents imprévus appelèrent alors sur la tête de l'empereur les bénédictions du peuple. Dès la fin de mai des pluies considérables avaient fait croître les grands cours d'eau du midi et du centre de la France; l'Allier, la Loire, la Garonne, le Rhône débordèrent en même temps, et le fléau des inondations éprouva cruellement plusieurs de nos provinces. A la nouvelle de ces sinistres l'empereur se hâta d'accourir sur le théâtre même de tant de désastres, et sa présence à Lyon, au plus fort du danger, vint consoler les classes pauvres. Une profonde émotion s'empara de tous les Lyonnais lorsqu'on vit paraître Napoléon III sur le cours Morand, encombré de familles d'inondés et de débris sauvés à la hâte de la fureur des eaux; l'empereur, ayant de l'eau jusqu'aux genoux, traversait à gué les chaussées encore couvertes par le fleuve. Les malheureux que le fléau menaçait ou ruinait saluaient pourtant avec enthousiasme, au plus fort de leurs épreuves, le libérateur inattendu qui leur prodiguait des secours. Cet enthousiasme éclata surtout au retour des Charpennes, dont le bourg, aux trois quarts écroulé et à deni submergé, présentait à tous les regards un spectacle de lamentable désolation. L'empereur, très-pâle, les larmes aux yeux, s'approchait des victimes dont les groupes se formaient sur son passage et leur distribuait de l'or à pleines mains; il commandait de laisser venir à

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L'EMPEREUR ET LES INONDATIONS.

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lui toutes les pauvres femmes qu'il voyait entourées d'enfants, il les encourageait et leur rendait l'espérance. Dans les quartiers qu'il ne pouvait traverser à pied, il ne se laissait arrêter ni par les nappes, ni par les courants; il bravait le flot qui parfois montait jusqu'au poitrail de son cheval, et on le voyait contempler tant de désastres avec une tristesse sympathique. Il était sans gardes, sans escorte, entouré de malheureux; il s'arrêtait pour leur parler avec une bonté, une douceur extrêmes, se portant de préférence vers les plus faibles, les plus abandonnés. Partout, d'ailleurs, où le même fléau exerçait ses ravages, le souverain se plut à donner lui-même l'exemple du dévouement, à hâter les secours, à hâter les secours, à leur imprimer une direction utile, à ranimer l'espoir des populations, et, en même temps, il s'attachait à trouver dans les ressources de l'art et de la science les moyens d'atténuer ou de combattre dans l'avenir de pareilles calamités, et les Chambres, s'associant à ses généreuses pensées, votèrent toutes les subventions et tous les secours que réclamait impérieusement la gravité du mal.

XXXVI

Quoi qu'il en soit de ces épreuves et de quelques autres difficultés plus tenaces, telles que le renchérissement progressif des aliments de première nécessité et la cherté croissante des loyers, de nombreux symptômes d'apaisement et de sécurité se manifestaient en France, et notre pays avait déjà relégué,

comme dans les archives lointaines de l'histoire, le souvenir des guerres civiles, des crises sociales, des agitations révolutionnaires à peines comprimées, et qui paraissaient vieilles de plusieurs siècles, tant le sentiment de la confiance publique se développait et s'affermissait.

Quelques émotions s'étaient produites dans l'ordre des questions religieuses; nous les rappellerons un peu à la hâte.

Et d'abord un fait assez imprévu s'était produit en France; ce qu'on appelait naguère le « grand parti catholique » s'était dispersé ou avait cessé d'être; le nombre des chrétiens fervents, des hommes de foi n'avait pas diminué sans doute, mais les chefs des diverses écoles catholiques avaient vu se glisser parmi eux des dissidences vraiment regrettables et qui nuisaient au triomphe de l'idée commune. Chose étrange! sous le règne de Louis-Philippe, et malgré la violence réciproque des partis, l'idée religieuse avait rallié à elle, sous les mêmes drapeaux, dans une route égale, tous ceux qu'on appelait volontiers les catholiques militants; les uns et les autres, à cette époque, avaient généreusement subordonné toutes les divergences politiques, toutes les contestations secondaires, à l'intérêt qui doit préoccuper avant tout autre le cœur des chrétiens, c'est-à-dire à la cause de l'Église catholique et à la liberté religieuse. Depuis le rétablissement de l'empire les catholiques avaient bien continué de proclamer le même principe, d'accepter tout haut la même ligne de conduite, mais dans la pratique des choses sociales, dans le conflit des droits et des opi

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DIVISIONS PARMI LES CATHOLIQUES.

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nions, à travers la confusion des antipathies ou la rivalité des espérances politiques, ils avaient cessé de se concerter, de suivre les mêmes inspirations, de rattacher toutes les questions secondaires à la prédominance d'une question essentielle. Une partie de l'épiscopat et la grande majorité du clergé s'étaient ralliés à la dynastie napoléonienne; parmi ceux qui avaient hésité avant d'entrer dans cette voie il s'en trouvait un assez grand nombre qui demeuraient attachés à la monarchie des Bourbons. Les fidèles s'étaient bien plus désunis encore. La majorité de la noblesse, qui n'avait jamais bien compris les programmes assez libéraux du parti catholique sous Louis-Philippe, se dégageait de ces théories et ne voulait pas se rallier à la dynastie nouvelle; M. de Montalembert et son école, par un regret prononcé pour la liberté politique, pour les traditions parlementaires, manifestaient ouvertement des sentiments dont le gouvernement impérial n'avait guère à se féliciter; M. de Falloux était en opposition avec le journal que rédigeait M. Veuillot. Mgr l'archevêque de Paris, impatient de voir quelques écrivains, forts de leurs services passés, exercer une trop grande influence sur les Églises de France, s'irritait au spectacle de cette situation, et, oubliant de lancer l'anathème sur la presse voltairienne, réservait ses admonitions, sa surveillance et sa haute censure aux publications religieuses dont les libres allures causaient son déplaisir. Il y avait dans ces divergences d'appréciation et d'attitude des apparences de désunion qui nuisaient au triomphe du bien et neutralisaient des forces

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