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dont le concours était indispensable si l'on voulait

avancer.

XXXVII

Une difficulté très-vive surgit au sujet de l'emploi des auteurs profanes dans les maisons d'enseignement. Un livre, publié par M. l'abbé Gaume, signala à tout le clergé de France, comme l'une des causes essentielles du dépérissement de l'esprit social et religieux, l'habitude où l'on était de mettre aux mains de la jeunesse les livres des historiens, des poëtes, des moralistes du paganisme, et d'infuser ainsi dans le cœur des enfants des doctrines et des idées étrangères à toutes les notions chrétiennes. Cette accusation, portée contre une pratique suivie depuis plusieurs siècles par des maîtres souvent religieux et par une société célèbre par les services qu'elle a rendus à l'enseignement, suscita des approbations ardentes, des récriminations passionnées, et l'épiscopat lui-même se trouva partagé. M" l'évêque d'Orléans vit avec douleur la thèse soutenue par M. l'abbé Gaume et appuyée par le journal l'Univers; il publia à ce sujet l'une de ces lettres pastorales dont il a le secret et qui font événement dans le monde religieux. Me l'é vêque de Chartres et S. E. le cardinal-archevêque de Lyon s'adressèrent dans le même sens au clergé de leur diocèse; Mgr de Bonald, relevant un passage du livre de M. l'abbé Gaume où il était dit que depuis quatre siècles la chaîne de l'enseignement `catholique avait été rompue, n'hésitait pas à s'expri

1853-1856]

QUERELLE RELATIVE AUX CLASSIQUES.

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mer en ces termes : « Sans nous occuper d'un autre âge que le nôtre, le Pape assis dans ce moment sur la chaire de Pierre, gardien vigilant et incorruptible de la vérité, doit s'élever contre les propagateurs du paganisme. Suprême et infaillible docteur des nations, il doit prononcer une sentence terrible contre les corrupteurs de la morale évangélique, et, si ces corrupteurs sacriléges travaillent au grand jour, là où a été placé son siége immortel, à arracher les âmes à Jésus-Christ pour les jeter dans toutes les monstruosités de l'idolâtrie, le chef de l'Église ne peut pas rester témoin muet de ce travail de corruption; il doit s'armer du glaive de la parole. Et s'il n'élevait pas la voix dans des circonstances si critiques pour la foi, que deviendrait l'autorité du Pape? que deviendraient les promesses faites à Pierre? que deviendrait l'Église? que deviendrait la vérité? Or Pie IX dénonce-t-il au monde l'invasion du paganisme? Aucun cri d'alarme n'est parti à ce sujet du Vatican ; le Pape n'a rien dit. Il aurait dû fermer dans la ville éternelle toutes ces chaires de pestilence, depuis celle du Collége romain jusqu'à celles des plus humbles écoles; bien plus, il aurait dû chasser ces ordres religieux « qui coulent les générations dans le moule du paganisme. » Non-seulement il ne fait pas ces actes de sévérité, mais par sa présence, par ses bienfaits, il soutient et encourage les professeurs habiles qui développent devant de nombreux auditoires les beautés impérissables des auteurs païens. Il se plaît à donner à ces ordres religieux qui instruisent l'enfance les éloges que leur ont prodigués les conciles œcuméniques.... » En dé

pit de ces arguments si forts, la thèse contraire fut soutenue avec éclat et autorité par S. E. le cardinalarchevêque de Reims, par NN. SS. les évêques de Montauban et de Moulins, et l'émotion fut loin de s'apaiser parmi les catholiques.

Au fond la question ravivée par M. l'abbé Gaume avait déjà été soulevée dans l'Église et avait été discutée par le concile de Trente et par d'autres assemblées ecclésiastiques moins solennelles. Une encyclique de Pie IX, en date du 21 mars 1853, mit fin au débat en rappelant la tradition des saints et la pratique de l'Église. Le chef de la chrétienté, ayant à se prononcer entre la rédaction du journal l'Univers et ceux qui l'incriminaient, rendit une éclatante justice au talent, au zèle et aux services de M. Louis Veuillot, et cette parole fit cesser les mesures adoptées, dans le diocèse de Paris, contre l'illustre écrivain et son

œuvre.

Le vénérable Pie IX était loin, en effet, de s'associer aux sévérités de ceux d'entre les catholiques qu'effrayaient les allures du journal l'Univers et la verte originalité du rédacteur en chef de cette feuille; il s'exprimait en ces termes sur les difficultés qui préoccupaient l'épiscopat et les fidèles de France :

<< Bien-aimés fils et vénérables frères.... Au milieu des angoisses multipliées dont nous sommes accablé de toutes parts, à raison de la sollicitude de toutes les Églises qui nous a été commise, malgré notre indignité, par un dessein secret de la Providence, dans ces temps si durs,.... nous éprouvons la plus grande joie lorsque nous tournons nos yeux et notre esprit

1853-1856]

INTERVENTION DU CHEF DE L'Église.

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vers cette nation française, illustre à tant de titres et qui a bien, mérité de nous.... Nous ne pouvons néanmoins dissimuler la grande tristesse et la peine qui nous accable en ce moment lorsque nous voyons quelles dissensions l'antique ennemi s'efforce d'exciter parmi vous pour ébranler et affaiblir la concorde de vos esprits. C'est pourquoi, remplissant le devoir de notre ministère apostolique,.... nous vous avertissons, nous vous exhortons, nous vous supplions de repousser, avec la vertu qui vous distingue, et de faire disparaître entièrement toutes les dissensions que ce vieil ennemi s'efforce d'exciter, vous rapprochant, vous serrant dans les liens de la charité, unanimes dans vos sentiments, et vous efforçant avec toute humilité et douceur de garder en toute chose l'unité d'esprit dans le lien de la paix.... Et avant tout comprenez jusqu'à quel point une bonne direction du clergé intéresse la prospérité de la religion et la société, afin que vous ne cessiez pas, dans une parfaite union d'esprit, de porter sur une affaire de si grande importance vos soins et vos réflexions. Continuez, comme vous le faites, de ne rien épargner pour que les jeunes clercs soient formés de bonne heure dans vos séminaires à toute vertu, à la piété, à l'esprit ecclésiastique, pour qu'ils grandissent dans l'humilité... et pour qu'en même temps ils soient si exactement instruits et des lettres humaines, et des sciences plus sévères, surtout des sciences sacrées, qu'ils puissent, sans être exposés à aucun péril d'erreur, nonseulement apprendre l'art de parler avec éloquence, d'écrire avec élégance, en étudiant et les ouvrages si

excellents des saints Pères, et les écrits des écrivains païens les plus célèbres, dès qu'ils auront été complétement expurgés, mais encore acquérir surtout la science parfaite et solide des doctrines théologiques.............. Vous êtes comme nous pénétrés de douleur à la vue de tant de livres, de libelles, de brochures, de journaux empoisonnés que répand sans relâche, de toutes parts et avec fureur, l'ennemi de Dieu et des hommes, pour corrompre les mœurs, renverser les fondements de la foi et ruiner tous les dogmes de notre sainte religion; ne cessez donc jamais, bien-aimés fils et vénérables frères, d'employer toute votre sollicitude et toute votre vigilance épiscopale pour éloigner unanimement, avec le plus grand zèle, le troupeau confié à vos soins de ces pâturages pestilentiels; ne cessez jamais de l'instruire, de le défendre, de le fortifier contre cet amas d'erreurs, par des avertissements et par des écrits opportuns et salutaires. Et ici nous ne pouvons nous empêcher de vous rappeler les avis et les conseils par lesquels, il y a quatre ans, nous excitions ardemment les évêques de tout l'univers catholique à ne rien négliger pour engager les hommes remarquables par le talent et la saine doctrine à publier des écrits propres à éclairer les esprits et à dissiper les erreurs en vogue. C'est pourquoi, en vous efforçant d'éloigner des fidèles commis à votre sollicitude le poison mortel des mauvais livres et des mauvais journaux, veuillez aussi, nous vous le demandons avec instance, soutenir par toute votre bienveillance et toute votre prédilection les hommes qui, animés de l'esprit catholique et versés dans

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