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1851-1852]

PROCLAMATION AU PEUPLE.

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moi, donnez-moi les moyens d'accomplir la grande mission que je tiens de vous.

« Cette mission consiste à fermer l'ère des révolutions en satisfaisant les besoins légitimes du peuple et en le protégeant contre les passions subversives. Elle consiste surtout à créer des institutions qui survivent aux hommes, et qui soient enfin des fondations sur lesquelles on puisse asseoir quelque chose de durable.

que

« Persuadé l'instabilité du pouvoir, que la prépondérance d'une seule assemblée sont des causes permanentes de trouble et de discorde, je soumets à vos suffrages les bases fondamentales suivantes d'une constitution que les assemblées développeront plus tard :

dix ans ;

« 1° Un chef responsable nommé pour << 2o Des ministres dépendant du pouvoir exécutif seul;

« 3° Un conseil d'État formé des hommes les plus distingués, préparant les lois et en soutenant la discussion devant le Corps législatif;

«< 4° Un corps législatif discutant et votant les lois, nommé par le suffrage universel, sans scrutin de liste qui fausse l'élection;

<< 5° Une seconde assemblée, formée de toutes les illustrations du pays, pouvoir pondérateur, gardien du pacte fondamental et des libertés publiques.

« Ce système, créé par le premier consul au commencement du siècle, a déjà donné à la France le repos et la prospérité; il les lui garantirait encore.

<<< Telle est ma conviction profonde. Si vous la par

tagez, déclarez-le par vos suffrages. Si, au contraire, vous préférez un gouvernement sans force, monarchique ou républicain, emprunté à je ne sais quel passé ou à quel avenir chimérique, répondez négati

vement.

<< Ainsi donc, pour la première fois depuis 1804, vous voterez en connaissance de cause, en sachant bien pour qui et pour quoi.

« Si je n'obtiens pas la majorité de vos suffrages, alors je provoquerai la réunion d'une nouvelle assemblée et je lui remettrai le mandat que j'ai reçu de vous.

<< Mais, si vous croyez que la cause dont mon nom est le symbole, c'est-à-dire la France régénérée par la révolution de 89 et organisée par l'empereur, est toujours la vôtre, proclamez-le en consacrant les pouvoirs que je vous demande.

<< Alors la France et l'Europe seront préservées de l'anarchie, les obstacles s'aplaniront, les rivalités auront disparu, car tous respecteront dans l'arrêt du peuple le secret de la Providence.

<< Fait au palais de l'Élysée, le 2 décembre 1851.

« LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.>>

La proclamation destinée à l'armée était conçue en

ces termes :

<< Soldats! soyez fiers de votre mission; vous sauverez la patrie, car je compte sur vous, non pour violer les lois, mais pour faire respecter la première loi du pays, la souveraineté nationale, dont je suis le légitime représentant.

1851-1852]

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PROCLAMATION À L'ARMÉE.

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Depuis longtemps vous souffriez comme moi des obstacles qui s'opposaient et au bien que je voulais vous faire, et aux démonstrations de votre sympathie en ma faveur. Ces obstacles sont brisés. L'Assemblée a essayé d'attenter à l'autorité que je tiens de la nation entière; elle a cessé d'exister.

« Je fais un loyal appel au peuple et à l'armée, et je leur dis Ou donnez-moi les moyens d'assurer votre prospérité, ou choisissez un autre à ma place.

<< En 1830 comme en 1848 on vous a traités en vaincus. Après avoir flétri votre désintéressement héroïque on a dédaigné de consulter vos sympathies et vos vœux, et cependant vous êtes l'élite de la nation. Aujourd'hui, en ce moment solennel, je veux que l'armée fasse entendre sa voix.

« Votez donc librement comme citoyens; mais, comme soldats, n'oubliez pas que l'obéissance passive aux ordres du chef du gouvernement est le devoir rigoureux de l'armée, depuis le général jusqu'au soldat. C'est à moi, responsable de mes actions devant le peuple et devant la postérité, de prendre les mesures qui me semblent indispensables pour le bien public. << Quant à vous, restez inébranlables dans les règles de la discipline et de l'honneur. Aidez, par votre attitude imposante, le pays à manifester sa volonté dans le calme et la réflexion. Soyez prêts à réprimer toute tentative contre le libre exercice de la souverai

neté du peuple.

« Soldats! je ne vous parle pas des souvenirs que mon non rappelle; ils sont gravés dans vos cœurs. Nous sommes unis par des liens indissolubles. Votre

histoire est la mienne. Il y a entre nous, dans le passé, communauté de gloire et de malheur; il y aura dans

l'avenir communauté de sentiments et de résolutions pour le repos et la grandeur de la France.

<< Fait au palais de l'Élysée, le 2 décembre 1851. Signé: Louis-NAPOLÉON BONAPARTE. »

Un décret dictatorial, placardé à la suite de ces proclamations, promulguait les mesures qu'on va lire: << Au nom du peuple français, le Président de la République décrète :

« Article Ier.

soute.

« Art. 2.

L'Assemblée nationale est dis

Le suffrage universel est rétabli. La loi

du 31 mai est abrogée.

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<«< Art. 3. Le peuple français est convoqué dans ses comices à partir du 14 décembre jusqu'au 21 décembre suivant.

« Art. 4.

L'état de siége est décrété dans l'é

tendue de la première division militaire.

« Art. 5.

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« Art. 6.

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Le conseil d'État est dissous.

Le ministre de l'intérieur est chargé

de l'exécution du présent décret.

<< Fait au palais de l'Élysée, le 2 décembre 1851.

<< LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

Un nouveau cabinet, composé d'hommes qui s'associèrent au coup d'État, était en même temps annoncé au pays; les noms de ces ministres, que nous donnons ci-après, appartiennent à l'histoire de cette formidable journée. M. de Morny était nommé mi

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nistre de l'intérieur, M. Rouher, ministre de la justice, M. de Saint-Arnaud, ministre de la guerre, M. Turgot, ministre des affaires étrangères. Le portefeuille des finances était confié à M. Fould, celui des travaux publics à M. Magne, celui de la marine à M. Lacrosse, celui du commerce à M. Casabianca, celui de l'instruction publique à M. Hippolyte Fortoul.

La préfecture de police demeurait confiée à M. de Maupas.

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II

Bien souvent, dans la prévision des conflits qu'allait voir éclore l'année 1852, on s'était dit que la victoire appartiendrait à celui qui le premier tirerait l'épée. Le prince Louis-Napoléon, déterminé à emporter la situation de haute lutte, avait tout prévu, tout calculé, tout organisé en vue d'un coup d'État reconnu inévitable, soit qu'il vînt d'en haut, soit qu'il remontât d'en bas. La large part de liberté que les institutions donnaient au pays, chaque faction ne voulait s'en servir que pour écraser les autres et prévaloir toute seule. L'immense troupeau de ceux qui avaient peur, l'innombrable coalition des intérêts en souffrances devaient inévitablement, dès le lendemain du combat, se rallier au vainqueur, quel qu'il fût, et le ceindre d'une force prodigieuse. Toute la question consistait à vaincre.

M. Thiers, en écrivant l'histoire de la Révolution, avait raconté le coup d'État du 18 fructidor; ensuite

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