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1856-1858]

DJEDDAH BOMbardé.

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Si Namick-Pacha avait été épouvanté de la responsabilité qui pesait sur la Turquie, la consternation du cabinet de Constantinople fut au moins égale à la sienne on sentit qu'il fallait des mesures énergiques et exceptionnelles pour laver cette tache aux yeux de l'Europe. Un firman du sultan autorisa le gouverneur de Djeddah à punir de mort qui bon lui semblerait parmi les auteurs du massacre. Des indemnités importantes étaient allouées aux familles de tous les Européens victimes de l'attentat.

Tandis que les gouvernements français et anglais

se préparaient à employer, s'il en était besoin, des mesures de rigueur plus formidables, le Cyclops retourna devant Djeddah avec l'ordre d'exiger de NamickPacha la punition immédiate des coupables: le gouverneur n'ayant pas encore reçu le firman de Constantinople refusa d'étendre sur les sujets du sultan ses pouvoirs au delà de leurs limites habituelles. A ce refus, le commandant du Cyclops répondit en bombardant la ville. Namick-Pacha maintint sa ligne de conduite avec fermeté il n'accorda rien de ce qu'il ne se reconnaissait pas le droit d'accorder. Enfin, l'arrivée d'Imaïl-Pacha, commissaire turc, chargé du firman, vint mettre un terme au bombardement; Namick-Pacha fit alors tomber les têtes de onze criminels. Mais ce n'était pas la dernière fois que l'islamisme devait se souiller de sang chrétien, et que la Sublime-Porte aurait à sévir, au nom de son honneur, contre ses propres sujets.

XXIX

Sur la terre des Pharaons, au contraire, la civilisation a devancé le temps et les mœurs. Les réformes opérées par le vice-roi d'Égypte, Saïd-Pacha, feront la gloire de son règne. Posant des limites à sa propre autorité, Saïd a soumis l'emploi des revenus publics à un contrôle régulier. L'administration provinciale était livrée à une corruption séculaire; le gouverneur de province (Moudyr), le chef de village (Cheik-el-Belek) opprimaient, exploitaient indignement leurs administrés. Saïd-Pacha porta la cognée à la racine même de l'arbre : les moudyrs furent supprimés, les chefs de village dépouillés d'une grande partie de leur autorité. On régla la levée des soldats et la perception des impôts.

Le régime de la propriété foncière subit aussi de profondes modifications: les laboureurs, à l'issue de la récolte, portaient dans les magasins de l'État les produits de leur terre; on leur en retenait une partie pour l'acquittement des contributions foncières, et le reste était acheté par le gouvernement au prix qu'il lui plaisait de fixer. C'était une sorte de maximum où l'équité n'était point respectée. Saïd imagina un nouveau mode d'organisation de la propriété foncière. Dans les villages, certaines portions de terre furent concédées aux laboureurs: on leur en abandonna, après constatation sur registres, la superficie, avec faculté d'en jouir à leur convenance et même d'en disposer. En d'autres termes, ils étaient propriétaires

1856-1858) M. DE LESSEPS ET L'ISTHME DE SUEZ.

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de la surface, des fruits ou produits, mais non encore du fonds lui-même (1). Ce n'était pas la propriété complète, mais une transition pour y arriver.

De grands travaux publics pour faciliter les communications, pour augmenter la salubrité, pour imprimer plus d'activité au commerce, furent ordonnés par le vice-roi, par exemple le curage du canal Mahmoudié, le remorquage à la vapeur, sur le Nil, la

continuation du chemin de fer d'Alexandrie à Suez, enfin le percement de l'Isthme, entrepris par un Français, et dont le moment est venu de dire ici quelques

mots.

Le 30 novembre 1854, un firman du vice-roi d'Égypte avait concédé à M. F. de Lesseps le droit exclusif de constituer une compagnie dans le but de percer l'Isthme qu'un canal devait ensuite relier au Nil. Une réserve était toutefois apportée aux termes généraux du firman: « La concession faite à la compagnie devait être ratifiée par le sultan et les travaux ne pouvaient commencer qu'après l'autorisation sollicitée de la Sublime-Porte. >>

M. de Lesseps fut donc obligé de se pourvoir auprès du gouvernement ottoman. Mais là se manifesta l'opposition la plus inattendue: cette opposition, c'était l'Angleterre qui l'imposait, pour ainsi dire, à la Turquie. La Grande-Bretagne avait plus d'intérêt que toute autre puissance au percement de l'Isthme. Mais elle y voyait une menace pour ses colonies indiennes : la possession de Gibraltar et de Malte, dans la Médi

(1) Cette institution rappelle, de loin, celle du domaine congéable en basse Bretagne.

terranée, de l'île de Périm et de la côte d'Aden, dans la mer Rouge, ne suffisait pas pour la rassurer : de là l'opposition de lord Palmerston. En vain, à la chambre des communes, les orateurs les plus illustres et les plus populaires, M. Gladstone, M. Bright, M. Milner Gibson, lord John Russell, et d'autres encore, se prononcèrent hautement pour le projet de M. Ferdinand de Lesseps: 290 voix contre 60 le repoussèrent!

Cette opposition des Anglais remontait à 1855. A peine lord Stradfort, à cette époque, était-il informé de l'acte de concession du vice-roi d'Égypte à M. de Lesseps, qu'il s'efforçait de l'entraver autant qu'il était en lui.

Lord Palmerston partagea bientôt les mêmes répulsions, et c'est, dit-on, sous son inspiration que fut publié, dans la Revue d'Édimbourg de 1856, un remarquable article où l'on s'efforce de démontrer que le canal est impossible, et que, d'ailleurs, il est inutile.

L'année suivante (juillet 1857), le premier lord de la Trésorerie, interpellé par M. Berkeley, représentant de Bristol, sur les motifs de son opposition au projet Lesseps, répondit par un discours dont voici l'analyse :

«Le gouvernement de Sa Majesté n'appuiera pas auprès du sultan le projet de construction du canal. Depuis quinze ans, le ministère britannique emploie toute son influence, à Constantinople comme en Égypte, -pour empêcher d'entreprendre ce canal dont l'exécution est physiquement impossible. Au point de vue commercial l'entreprise est une attrape (buble) présentée aux capitalistes gobe-mouches.

1856 1858)

LES ÉTATS-UNIS.

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« Le projet est hostile aux intérêts de l'Angleterre, opposé à sa politique constante, car son exécution rendrait plus aisée une séparation entre l'Égypte et la Turquie.

>>

Telle fut la thèse de lord Palmerston; elle lui attira une éloquente réponse de M. F. de Lesseps, adressée aux chambres de commerce d'Angleterre, et qui souleva contre le ministre, dans la presse européenne, une unanime réprobation.

Aujourd'hui la magnifique entreprise touche à sa fin les Anglais, dans leur récente campagne d'Abyssinie, en ont pu apprécier l'incontestable utilité !

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XXX

Durant la lutte soutenue par la France et l'Angleterre contre la Russie en Orient, la république des ÉtatsUnis était demeurée simple spectatrice de ces grands événements: elle ne s'y était mêlée par aucun acte politique ni militaire : tout au plus avait-elle envoyé en Crimée quelques officiers pour étudier, au point de vue de l'art, les opérations de la guerre.

Le traité de Paris, on s'en souvient, ne s'était pas borné à régler des questions relatives aux intérêts immédiats des contractants; il introduisait de nouveaux principes dans le droit international; il prenait diverses mesures pour protéger le commerce maritime; il réclamait notamment l'abolition de la course; il faisait appel au bon vouloir de toutes les puissances pour qu'elles acceptassent cette législation inspirée par un esprit de progrès et d'humanité.

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