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sonniers étaient fusillés ou pendus aux arbres des chemins. Ici, un chef constitutionnel, maître d'un village, en faisait fusiller le curé et les notables; là, un autre chef rançonnait les voyageurs sur les routes et se livrait aux plus étranges violences. Le colonel d'Aza, tombé dans une embuscade, en se rendant de Mexico à Puebla, était l'objet des plus horribles mutilations on lui arrachait la langue et les yeux.

Au mois de janvier 1860, Miramon, victorieux dans plusieurs combats, rentrait à Mexico au milieu d'une foule enthousiaste : il avait conquis la confiance publique. Mais de nombreux chefs de bandes continuaient à parcourir le pays. Miramon, pour en finir, prit la route de la Vera-Cruz à la tête de six mille hommes son lieutenant, le général Robles-Pezuela, l'attendait à Jalapa avec une division. Le corps d'opération arriva devant la Vera-Cruz, pour ainsi dire, sans coup férir. Mais une pensée plus grave que tous les obstacles qu'il avait rencontrés préoccupait Miramon les États-Unis resteraient-ils neutres dans cette lutte? Le feu était ouvert contre la place; un incident imprévu changea la face des choses: l'armée assiégeante devait être ravitaillée par deux navires, l'un mexicain, l'autre espagnol. Ces bâtiments s'approchaient de la baie d'Anton-Lisardo, lorsque, tout à coup, le Saratoga, l'un des bâtiments de la station navale des États-Unis, se mit à leur donner la chasse, et ils furent capturés en dépit des priviléges de la neutralité. Cet acte audacieux était une violation de tous les traités, un attentat contre l'indépendance du Mexique. Les conséquences ne tardèrent pas à s'en

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GUERRE CIVILE AU MEXIQUE.

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faire sentir les opérations militaires contre la VeraCruz devinrent impossibles; il fallut lever le siége. Miramon reprit le chemin de Mexico où il rentra désespéré.

Quelques mois suffirent pour empirer d'une façon irrémédiable la position de Miramon. Lui qui, peu de temps auparavant, assiégeait Juarez dans la Vera-Cruz, il était, après une défaite à Silao, à la veille d'être, à son tour, assiégé dans Mexico. Un dernier échec à San-Miguel de Calpulalpane acheva de le perdre : il n'avait plus qu'à gagner la côte, en fugitif, et à s'embarquer pour échapper à la mort (22 décembre 1860). Juarez dominait dans cette république mexicaine, où de si grands événements allaient se dérouler.

Nous avons vu, par l'expédition de Walker, quelle est, pour le commerce du monde, l'importance des contrées centro-américaines. L'Europe et les ÉtatsUnis s'en préoccupaient également. Mais, si là doit se dénouer, un jour, l'un des plus grands problèmes de la civilisation, l'histoire de ces régions n'a guère présenté, en ces derniers temps, que des accidents isolés, sans grandeur, sans liens qui les rattachent à l'histoire générale de l'humanité. Autrefois les cinq républiques de l'Amérique centrale ne formaient qu'un seul État. Un jour viendra, où, sous une domination ou sous une autre, elles rentreront dans leur unité primitive. Ce rêve d'unité est le but que se proposent tous les hommes éminents de ces contrées. Mais tous, ne s'élevant qu'à travers l'anarchie, ne se maintenant que par le despotisme, sont tour à tour la proie de dissensions aussi funestes à leur pays qu'à eux-mê

mes. Le cours rapide des événements emporte, les uns après les autres, ces chefs dont l'histoire n'a même pas le temps d'enregistrer les noms : un Santos Guardiola à Honduras; un Carrera au Guatimala; un Santin del Castillo et un Barios à San-Salvator; un Mora à Costa-Rica ; à Nicaragua un Martinez, le plus heureux de tous. Est-il besoin de mentionner, autrement que pour applaudir à sa chute, le règne grotesque et sanguinaire de Soulouque, dit l'empereur Faustin ler, à Haïti? Au mois de janvier 1859, Favre Geffrard jetait hors de l'île ce ridicule personnage et prenait le pouvoir aux applaudissements de la population qui l'accueillait en libérateur.

XXXIV

L'Amérique du Sud, quoique agitée par des crises fréquentes, prouve que, sur le territoire du nouveau monde, les peuples issus de race latine sont capables de vivre de la vie nationale sous la forme républicaine ou sous la forme monarchique.

Du côté de l'Atlantique, l'empire brésilien, du côté du Pacifique, les républiques du Pérou et du Chili, représentent la civilisation européenne dans cette région méridionale de l'Amérique, où les déserts de la nature primitive exercent encore, sur d'immenses contrées, une sorte de droit de suzeraineté.

Des États secondaires, l'Uruguay, le Paraguay, la Plata, soutiennent par les armes leur indépendance qui importe plus à l'histoire individuelle qu'à l'histoire générale. Montevideo a été le théâtre de luttes

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L'AMÉRIQUE DU SUD.

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qui l'ont fait appeler, par les poëtes indigènes, la Troie de l'Amérique du Sud.

Pour citer deux faits importants, accomplis dans ces contrées reculées, durant la période qui nous occupe, nous mentionnerons l'abolition de l'esclavage au Pérou, et la création d'un réseau de chemins de fer, sous l'initiative de l'empereur don Pedro II.

Ce sont là des promesses pour l'avenir : il suffira, pour qu'elles se réalisent pleinement, qu'un grand événement vienne placer ces régions dans des conditions nouvelles de vitalité. Ce grand événement est possible: il est souhaité et attendu.

Si l'histoire ne tient guère à enregistrer les mille épisodes des luttes locales et isolées, elle manquerait à sa mission en ne retraçant pas, jusque dans leurs détails, les efforts qui ont pour but de transformer le monde par les conquêtes de l'intelligence et de l'industrie humaines.

Ce n'est pas sous les murs de Montevideo que nous voulons étudier les destinées de la Sud-Amérique ; nous remontons vers les cinq républiques du centre, et nous cherchons ce qui a été fait, ce qui se fera pour l'accomplissement d'un immense problème auquel la civilisation, le commerce demandent la satisfaction de leurs plus légitimes intérêts : nous voulons parler de la jonction des deux océans à travers l'isthme de Panama.

XXXV

Si l'on veut apprécier nettement l'importance d'une voie maritime à travers l'isthme de l'Amérique cen

trale, il suffit qu'on se rappelle dans quel but Christophe Colomb entreprit l'aventureuse expédition qui lui fit découvrir le nouveau monde. Colomb cherchait une voie directe, rapide, pour aller aux Indes : il se trouva en face d'un continent qui l'arrêta comme une barrière. Mais le problème qu'il voulait résoudre a depuis occupé bien d'autres intelligences dix ans après la prise de Mexico et trente-six ans après la découverte de l'Amérique, Fernand Cortez, en 1528, adressait à la cour de Madrid un mémoire dans lequel il exposait le plan d'un canal artificiel destiné à joindre les deux mers.

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Comme il arrive toujours dans la discussion des grands projets, les imaginations se sont exaltées pour créer de chimériques obstacles et déclarer impossible une œuvre, compliquée sans doute, mais dont les plus graves difficultés proviennent surtout des hésitations et des conflits de la volonté humaine.

On a prétendu avec obstination, de même qu'on l'a fait pour Suez, qu'une jonction des deux océans devait amener, dans le monde entier, un cataclysme, à cause de la différence de leurs niveaux : cette théorie était invoquée avec passion, au seizième siècle, par le jésuite Acosta; de nos jours encore on la soutenait, en s'appuyant sur le grand nom de Humboldt, qui au contraire la combattait.

Avec aussi peu de raison, des esprits alarmistes ont cherché à présenter les régions de l'Amérique centrale comme des foyers pestilentiels, où d'incessantes épidémies rendraient impossible le transit habituel des voyageurs. Rien de plus faux encore que cette as

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