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1856-1858) L'EMPEREUR A OSBORNE ET A STUTTGARD.

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possible. Le 11 août, à la Chambre des communes, M. Disraéli, ayant voulu savoir où en était le dissentiment de la France et de la Grande-Bretagne au sujet de faits accomplis dans les Principautés moldovalaques, lord Palmerston répondit que la récente visite de l'empereur des Français, avec son ministre des affaires étrangères, avait fourni aux deux gouvernements l'occasion de «< s'entendre sur la question ». Or la question, c'étaient des élections irrégulièrement faites dans les provinces danubiennes et dont la France, la Russie, la Prusse et la Sardaigne avaient demandé l'annulation, sans le concours des représen tants de l'Autriche et de la Grande-Bretagne.

L'entrevue d'Osborne avait donc amené un accommodement sur les affaires moldo-valaques. L'empereur, résolu, semblait-il, de traiter toujours les affaires sans intermédiaire, fit un nouveau voyage à l'étranger, dans les derniers jours de septembre. Le 25 de ce mois, à quatre heures et demie du soir, il faisait son entrée à Stuttgard où le roi de Wurtemberg, entouré des princes de sa famille, l'attendait à la gare. Quelques instants plus tard arrivait aussi l'empereur de Russie, avec lequel Napoléon III eut de fréquents entretiens. Quel en fut le résultat? Rien d'officiel ne fut dit ni écrit à ce sujet. Les journaux allemands conjecturèrent seulement, non sans vraisemblance, que le but de l'empereur des Français, en prenant rendez-vous avec Alexandre II, devait être d'atténuer, vis-à-vis du tzar, ce qu'il pouvait y avoir d'inquiétant dans l'accession de la France au traité du 15 avril 1858, traité auquel la Russie n'avait point été appelée à prendre part.

HIST. CONTEMP. -T. VHI

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Quoi qu'il en soit, les journaux anglais affectèrent de considérer comme sans importance l'entrevue des deux empereurs.

Depuis l'établissement des chemins de fer, disait le Times, les rencontres des souverains ont perdu presque toute signification, et il n'y a lieu de s'en réjouir ni de s'en inquiéter.

Le prince Napoléon, de son côté, entreprit quelques voyages diplomatiques. A Berlin, dans un banquet offert au prince, le roi de Prusse porta ce toast : « Je souhaite que l'illustre famille à laquelle appartient mon hôte fasse longtemps le bonheur de la France, et que cette grande nation reste toujours l'amie de la Prusse! »

En quittant ce royaume, le prince français visita la Saxe et parcourut le champ de bataille de Bautzen. C'est dans cette plaine, qui n'a pas moins de cinq lieues de longueur, qu'avant Leipzig, nos jeunes conscrits de la veille étonnèrent par leur héroïsme les vieux soldats échappés à tant de batailles.

Le voyage du prince en Angleterre, en Irlande, en Écosse, n'offrit aucun intérêt particulier. Mais celui qu'il fit en Savoie, on le verra plus tard, avait un but plus sérieux.

XXXVII

Le 14 août, l'empereur présidait à l'inauguration du nouveau Louvre. « Je me félicite avec vous, dit-il, - en répondant à M. Fould, ministre d'État, — de l'achèvement de ce palais, et surtout des causes qui l'ont rendu possible : l'ordre, la stabilité rétablis, et la prospérité toujours croissante du pays. »

1856-1858]

INAUGURATION DU LOUVRE.

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Une autre inauguration, celle de l'asile de Vincennes, destiné aux ouvriers convalescents, eut lieu le 31 août. M. Billault, ministre de l'intérieur, ne manqua pas de faire ressortir cette simultanéité : « Là, le palais de la souveraineté française, le sanctuaire des arts, le symbole splendide de notre civilisation; ici, l'éclatant témoignage d'une incessante préoccupation pour les souffrances du pauvre!

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A ce propos, M. Billault crut devoir protester contre les esprits chagrins, qui, les yeux invinciblement fermés sur les grandeurs et les prospérités du présent, ne cherchent, dans l'histoire des faits accomplis, que des prétextes à épigrammes, et ne rêvent, pour l'avenir, que le rétablissement d'institutions dont l'expérience a constaté l'impuissance et l'instabilité. »

La situation commerciale, industrielle et économique du pays avait présenté, vers la fin de l'année, quelques symptômes alarmants: baisse considérable et presque continue des rentes; dépréciation des diverses valeurs; hausse extraordinaire de la banque de France, etc. il y avait lieu de s'étonner de ce malaise prolongé, car la récolte avait été bonne, et la perception des impôts, dont le produit dépassait de trente-deux millions celui de l'année précédente, s'était facilement opérée. On assignait diverses causes aux perturbations qui se manifestaient aussi dans le commerce extérieur: réaction économique venant du dehors; production aurifère de plus en plus considérable, soit en Californie, soit ailleurs, qui avait poussé les États-Unis à trop acheter, et, par conséquent, l'Europe à trop fabriquer. La Grande-Bretagne fut la première entraînée dans

ce mouvement sans frein. De là les nombreuses oscillations de la banque et des grands établissements financiers d'Angleterre, et, par contre-coup, de la banque de France. Au fort de la crise, les conseils affluèrent de tous côtés : les uns voulaient que, jusqu'à nouvel ordre, toute entreprise, en matière de chemin de fer ou de grande exploitation, fût interdite; d'autres affirmaient que tout serait sauvé si l'on donnait un cours forcé aux billets de banque. Cette dernière thèse, ardemment soutenue par un journal tout dévoué au gouvernement, produisit un grand émoi : elle valut à la feuille officieuse un avertissement où l'administration déclarait que l'article incriminé était de nature à propager des alarmes mal fondées et à porter atteinte au crédit public. Le désarroi fut tel, que l'empereur crut devoir s'élever, dans une lettre adressée de Compiègne au ministre des finances, « contre la propagation de soi-disant remèdes à un mal qui n'existait que dans l'imagination. Je vous prie, ajoutait Napoléon III, de démentir très-haut tous les projets absurdes qu'on attribue au gouvernement et dont la propagation crée si facilement des alarmes ».

Ces alarmes, M. Magne s'efforça de les dissiper en publiant un rapport sur l'ensemble des finances de l'empire, rapport dont la conclusion était celle-ci :

<< Des causes passagères, c'est-à-dire des crises arrivées en d'autres pays, peuvent bien influencer, chez nous, et l'opinion et les affaires; mais, lorsqu'une nation n'a aucune difficulté intérieure et extérieure, lorsque les finances de l'État sont dans d'excellentes conditions; que le commerce a été prudent; que

les

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CRISE INDUSTRIELLE.

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affaires ne sont pas mal engagées; que les récoltes sont abondantes; que, d'une manière générale, la richesse se développe, il n'est pas possible... que le crédit général tarde longtemps à s'élever à la hauteur d'une telle situation. »>

Un journal, la Presse, ayant néanmoins persisté à soutenir << qu'il y avait dans la conscience publique un vague frémissement », M. Billault fulmina contre cette feuille un avertissement motivé sur le devoir imposé au gouvernement de se montrer sévère « contre les folies de prétendus démocrates dont l'influence, s'ils en avaient une, ne saurait étre que funeste au progrès régulier de la démocratie qu'heureusement ils sont impuissants à agiter ».

Contrairement à ce qui s'était passé en 1856, et pour calmer certaines appréhensions qu'avaient fait naître des bruits de réformes économiques et financières, on prit soin de ne brusquer aucune solution. La loi des douanes témoigna de cette sage résolution. En traversant Rouen, pour se rendre à Osborne, l'empereur promit à la chambre de commerce qu'on ne procéderait, en cette matière, qu'après le plus mûr

examen.

L'industrie accueillit, avec une grande faveur, cette déclaration à laquelle le gouvernement ne devait pas longtemps demeurer fidèle.

XXXVIII

L'année 1857 s'était terminée paisiblement pour la France. Le gouvernement avait réussi à calmer les

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