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peine. L'empereur usa une seconde fois de sa prérogative souveraine pour faire gràce. Cette fois la loi interdisait à M. de Montalembert un nouvel appel.

Bientôt, à Plombières, une mystérieuse visite faite à l'empereur par M. de Cavour, provoqua, de toutes parts, de vives inquiétudes. On savait les mésintelligences qui, depuis le traité de Paris, existaient entre le cabinet des Tuileries et la cour de Vienne. L'ardeur des journaux semi-officiels à soutenir les ambitieuses prétentions du gouvernement piémontais semblaient justifier toutes les appréhensions. Dans ces circonstances, le Moniteur crut devoir rassurer les esprits: le 3 décembre paraissait une note qui blâmait << la persistance regrettable d'une polémique dont l'effet était de causer une inquiétude que les relations de la France avec les puissances étrangères ne justifiaient à aucun degré

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Cette déclaration ne produisit pas l'effet qu'on en attendait. On savait que les rapports entre les cabinets de Paris et de Vienne s'aigrissaient chaque jour. La politique de plus en plus hostile du Piémont envers l'Autriche, depuis l'entrevue de Plombières, indiquait que Victor-Emmanuel marchait à son but, sûr de l'appui d'un puissant allié. Le langage de la plupart des journaux officieux, qui, dès lors, commençaient à représenter la France comme le champion forcé de l'Italie, ce langage n'était pas fait pour calmer les craintes instinctives du pays.

Cependant, vers la fin de l'année, des déclarations expresses et multipliées du gouvernement avaient fini par agir sur l'opinion publique; on s'était remis à

1856-1858]

PAROLES DE L'EMPEREUR A M. DE HUBNER.

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croire à la paix, lorsque quelques paroles adressées par l'empereur à l'ambassadeur d'Autriche, le 1er janvier 1859, vinrent réveiller le pays en sursaut. A l'occasion de la réception du corps diplomatique aux Tuileries les paroles suivantes furent adressées par l'empereur à M. de Hubner.

« Je regrette que nos relations avec votre gouvernement ne soient pas aussi bonnes que par le passé, mais je vous prie de dire à l'empereur que mes sentiments personnels pour lui ne sont pas changés.

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Ces paroles retentirent, en Europe, comme « un coup de tocsin ».

En vain, le 6janvier, le Moniteur annonça-t-il, avec une sorte de solennité, « que le gouvernement se faisait un devoir de mettre un terme aux alarmes de l'opinion publique, et que rien, dans les relations diplomatiques, n'autorisait des craintes trop facilement excitées » : le public qui, depuis l'attentat du 14 janvier, avait deviné d'instinct que de graves événements allaient s'accomplir, ne tint aucun compte de ces déclarations pacifiques. Le départ imprévu du prince Napoléon pour Turin, dans la soirée du 13 janvier, ne laissa plus aucun doute dans les esprits. L'annonce de son mariage avec la princesse Clotilde, bien qu'imprévue, n'étonna personne. Il était clair, pour tout homme clairvoyant, que la guerre de l'indépendance italienne, terminée à Novare, allait recommencer, mais, cette fois, avec l'appui de la France.

La brochure publiée le 4 février sous le titre de Napoléon III et l'Italie vint ajouter, s'il était possible, à l'émotion publique. La question italienne y était

traitée dans tous ses détails: nécessité d'un remaniement complet de l'organisation politique de la péninsule; l'Italie affranchie de toute domination étrangère et constituée sur les bases d'une union fédérative, tel était le plan exposé par M. de la Guéronnière, avec l'assentiment du gouvernement, on n'en pouvait douter puisque le Moniteur signalait la brochure à l'attention du pays.

Quant aux traités antérieurs, on n'en parlait que pour les condamner: ils ne répondaient plus aux besoins du temps. Un nouvel ordre de choses, conforme aux intérêts de l'Italie, devait remplacer l'ancien. Dans ce but, la France faisait appel non pas à la force, moyen extrême condamné par la civilisation, mais à l'opinion équitable et éclairée de l'Europe entière. C'est à ce grand tribunal que, dans l'intérêt de la paix universelle, la cause de l'Italie devait être plaidée!

XLII

Peu de jours après la publication de la célèbre brochure, s'ouvrait au Louvre, dans la salle des États, la session législative de 1859. On ne s'étonnera pas que nous transcrivions ici, dans toute son étendue, le discours prononcé par l'empereur le 7 février :

<< Messieurs les Sénateurs, Messieurs les Députés,

« La France, vous le savez, a vu, depuis six ans, son bien-être augmenter, ses richesses s'accroître, ses dissensions intestines s'éteindre, son prestige se relever, et, cependant, il surgit par intervalles, au mi

1856-1858] OUVERTURE DE LA SESSION LÉGislative.

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lieu du calme et de la prospérité générale, une inquiétude vague, une sourde agitation qui, sans cause bien définie, s'empare de certains esprits et altère la confiance publique.

« Je déplore ces découragements périodiques sans m'en étonner. Dans une société bouleversée, comme la nôtre, par tant de révolutions, le temps seul peut affermir les convictions, retremper les caractères et créer la foi politique.

« L'émotion qui vient de se produire, sans apparences de dangers imminents, a droit de surprendre, car elle témoigne en même temps et trop de défiance et trop d'effroi. On semble avoir douté, d'un côté, de la modération dont j'ai donné tant de preuves, de l'autre, de la puissance réelle de la France. Heureusement la masse du peuple est loin de subir de pareilles impressions.

« Aujourd'hui il est de mon devoir de vous exposer de nouveau ce qu'on semble avoir oublié.

« Quelle a été constamment ma politique? Rassurer l'Europe, rendre à la France son véritable rang, cimenter étroitement notre alliance avec l'Angleterre et régler avec les puissances continentales de l'Europe le degré de mon intimité d'après la conformité de nos vues et la nature de leurs procédés vis-à-vis de la France.

« C'est ainsi qu'à la veille de ma troisième élection je faisais à Bordeaux cette déclaration : l'empire, c'est la paix, voulant prouver par là que si l'héritier de l'empereur Napoléon remontait sur le trône, il ne recommencerait pas une ère de conquêtes, mais il

inaugurerait un système de paix qui ne pourrait être troublée que pour la défense des grands intérêts nationaux.

Quant à l'alliance de la France et de l'Angleterre, j'ai mis toute ma persévérance à la consolider, et j'ai trouvé, de l'autre côté du détroit, une heureuse réciprocité de sentiment de la part de la reine de la Grande-Bretagne comme de la part des hommes d'État de toutes les opinions. Aussi, pour atteindre ce but si utile à la paix du monde, ai-je mis sous mes pieds en toute occasion les souvenirs irritants du passé, les attaques de la calomnie, les préjugés même nationaux de mon pays. Cette alliance a porté ses fruits : nonseulement nous avons acquis ensemble une gloire durable en Orient, mais encore, à l'extrémité du monde, nous venons d'ouvrir un immense empire aux progrès de la civilisation et de la religion chrétienne.

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Depuis la conclusion de la paix, mes rapports avec l'empereur de Russie ont pris le caractère de la plus franche cordialité, parce que nous avons été d'accord sur tous les points en litige.

« Le cabinet de Vienne et le mien, au contraire, je le dis avec regret, se sont trouvés souvent en dissidence sur les questions principales, et il a fallu un grand esprit de conciliation pour parvenir à les résoudre. Ainsi, par exemple, la reconstitution des Principautés danubiennes n'a pu se terminer qu'après de nombreuses difficultés qui ont nui à la pleine satisfaction de leurs désirs les plus légitimes; et si l'on me demandait quel intérêt la France avait dans ces contrées lointaines qu'arrose le Danube, je répon

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