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1856-1858] DISCOURS PACIFIQUE DE L'EMPEREUR.

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drais que l'intérêt de la France est partout où il y a une cause juste et civilisatrice à faire prévaloir.

<< Dans cet état de choses, il n'y avait rien d'extraordinaire que la France se rapprochât davantage du Piémont qui avait été si dévoué pendant la guerre, si fidèle à notre politique pendant la paix. L'heureuse union de mon bien-aimé cousin le prince Napoléon avec la fille du roi Victor-Emmanuel n'est donc pas l'un de ces faits insolites auxquels il faille chercher une raison cachée, mais la conséquence naturelle de la communauté d'intérêts des deux pays et de l'amitié des souverains.

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Depuis quelque temps l'Italie et sa situation anormale, où l'ordre ne peut être maintenu que par des troupes étrangères, inquiètent justement la diplomatie. Ce n'est pas néanmoins un motif suffisant de croire à la guerre. Que les uns l'appellent de tous leurs vœux, sans raisons légitimes; que les autres, dans leurs craintes exagérées, se plaisent à montrer à la France les périls d'une nouvelle coalition, je resterai inébranlable dans la voie du droit, de la justice, de l'honneur national, et mon gouvernement ne se laissera ni entraîner ni intimider, parce que ma politique ne sera jamais ni provocatrice ni pusillanime.

« Loin de nous ces fausses alarmes, ces défiances injustes, ces défaillances intéressées. La paix, je l'espère, ne sera point troublée. Reprenez donc avec calme le cours habituel de vos travaux.

<< Je vous ai expliqué franchement l'état de nos relations extérieures, et cet exposé, conforme à tout ce que je me suis efforcé de faire connaître depuis deux

mois à l'intérieur comme à l'étranger, vous prouvera, j'aime à le croire, que ma politique n'a pas cessé un instant d'être la même : ferme, mais conciliante.

« Aussi je compte toujours avec confiance sur votre concours comme sur l'appui de la nation qui m'a confié ses destinées. Elle sait que jamais un intérêt personnel ou une ambition mesquine ne dirigera mes actions. Lorsque, soutenu par le vœu et le sentiment populaires, on monte les degrés d'un trône, on s'élève par la plus grave des responsabilités audessus de la région infime où se débattent les intérêts vulgaires, et l'on a pour premiers mobiles, comme pour derniers juges, Dieu, sa conscience et la postérité. »

Ce discours effraya les uns et rassura les autres. Les premiers furent surtout frappés du désaccord franchement avoué qui existait entre les cabinets de Vienne et de Paris; les seconds s'arrêtèrent à l'assurance expresse que la paix ne serait point troublée.

Le 8 février, dans son discours d'inauguration des travaux de la session, M. de Morny commenta le discours impérial : « La religion, la philosophie, la civilisation, le crédit, le travail, dit l'honorable président du Corps législatif, ont fait de la paix le premier bien des sociétés modernes; le sang des peuples ne se répand plus légèrement; la guerre est le dernier recours du droit méconnu ou de l'honneur offensé. La plupart des difficultés s'aplanissent par la diplomatie ou se résolvent par des arbitrages pacifiques. Les conventions internationales, la publicité si rapide, ont créé une puissance européenne nouvelle avec

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LA GUERRE IMMINENTE EN ITALIE.

laquelle tous les gouvernements sont forcés de ter : cette puissance, c'est l'opinion.

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Certes, en ce moment, si l'opinion de la France avait été consultée, la paix aurait été maintenue. Personne, à l'exception de quelques journalistes dont l'histoire, un jour, expliquera l'enthousiasme belliqueux, personne ne voulait la guerre. Elle n'était populaire ni dans le pays ni même dans l'armée; la bourgeoisie la redoutait et, parmi les amis de l'empereur, les plus dévoués s'effrayaient d'une lutte qui pouvait bouleverser l'Europe et compromettre gravement l'avenir de la dynastie impériale.

Le mois de février s'écoula au milieu des plus graves incertitudes. Le 5 mars, une note parut dans le Moniteur, qui démentait les projets de guerre attribués à l'empereur. Nous citons :

L'empereur n'a rien à cacher, rien à désavouer, soit dans ses préoccupations, soit dans ses alliances. L'intérêt français domine sa politique et il justifie sa vigilance.

«En face des inquiétudes mal fondées, nous aimons à le croire, qui ont ému les esprits en Piémont, l'empereur a promis au roi de Sardaigne de le défendre contre tout acte agressif de l'Autriche; et l'on sait qu'il tiendra parole.

<< Sont-ce là des rêves de guerre? Depuis quand n'est-il plus conforme aux règles de la prudence de prévoir les difficultés plus ou moins prochaines, et d'en peser toutes les conséquences?

« Nous venons d'indiquer ce qu'il y a de réel dans les pensées, dans les devoirs et dans les dispositions

HIST. CONTEMP. - T. VIII.

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de l'empereur; tout ce que les exagérations de la presse y ont ajouté est imagination, mensonge et délire.

<< La France, dit-on, fait des armements considérables. C'est une imputation complétement gratuite. L'effectif normal du pied de paix, adopté il y a deux ans par l'empereur, n'a pas été dépassé. L'artillerie achète quatre mille chevaux pour atteindre cette limite réglementaire. Des régiments d'infanterie sont à deux mille hommes les régiments de cavalerie à neuf cents.

<< On dit aussi que nos arsenaux ont reçu une impulsion extraordinaire. On oublie que nous avons tout le matériel de notre artillerie et toute notre flotte à transformer....

<< Enfin on s'inquiète des préparatifs de notre marine. Tous ces préparatifs se réduisent à l'armement de quatre frégates pour le transport des troupes de France en Algérie et d'Algérie en France; et de quatre transports mixtes, notamment au service de CivitaVecchia et au ravitaillement de notre expédition de Cochinchine, par Alexandrie.

« Tels sont les faits. Ils doivent pleinement rassurer les esprits sincères sur les projets attribués à l'empereur et faire justice des allégations des hommes intéressés à jeter du doute sur les pensées les plus loyales et des nuages sur les situations les plus claires. << N'est-il pas temps de se demander quand finiront ces vagues et absurdes rumeurs répandues par la presse, d'un bout de l'Europe à l'autre, signalant partout à la crédulité publique l'empereur des Français

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DÉCLARATION PACIFIQUE DU MONITEUR.

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comme poussant à la guerre et faisant peser sur lui seul la responsabilité des inquiétudes et des armements de l'Europe? Qui donc peut avoir le droit d'égarer ainsi outrageusement les esprits, d'alarmer ainsi gratuitement les intérêts?

« Où sont les paroles, où sont les notes diplomatiques, où sont les actes qui impliquent la volonté de provoquer la guerre pour les passions qu'elle satisfait ou par la gloire qu'elle procure? Qui a vu les soldats, qui a compté les canons, qui a estimé les approvisionnements ajoutés avec tant de frais et de hâte à l'état normal et réglementaire du pied de paix en France? Où sont les levées extraordinaires, les appels de classes anticipés? Quel jour a-t-on rappelé les hommes en congé renouvelable? Qui pourrait montrer enfin les éléments, si minces qu'on les veuille, de ces accusations générales que la malveillance invente, que la crédulité colporte et que la sottise accepte (1).

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Tandis que le Moniteur s'élevait de la sorte contre « les vagues et absurdes rumeurs inventées par la malveillance, colportées par la crédulité ou acceptées par la sottise », les journaux notoirement connus pour recevoir les confidences du cabinet continuaient leur croisade contre l'Autriche et se donnaient libre carrière «< pour égarer les esprits et les intérêts ». L'étrange contraste que tout le monde remarquait entre les déclarations pacifiques du journal officiel et les belliqueuses provocations de la presse ministérielle exci

(1) Moniteur du 5 mars 1859, col. 257.

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