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1856-1859]

M. BAROCHE ET M. JULES FAVRE.

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la situation où l'invasion du Piémont par l'armée autrichienne avait placé la France, et sa conclusion fut celle-ci : « Pourquoi la France va-t-elle faire la guerre? parce qu'elle a été attaquée. La France avait déclaré que si l'Autriche attaquait le Piémont, elle était engagée à le soutenir. Elle avait déclaré cela et pas autre chose. L'Europe sait avec quelle modération constante la France a accueilli toutes les propositions qui pouvaient aider au maintien de la paix intervention diplomatique de l'Angleterre, proposition de congrès, le gouvernement de l'empereur a tout accepté. Qui a tout refusé? L'Autriche. Après sa déclaration solennelle que, si le Piémont était attaqué, elle le soutiendrait, la France a dû considérer son honneur comme atteint dans celui du

Piémont. Elle ne peut pas oublier, en effet, que le Piémont est son allié, que le Piémont tient les clefs des Alpes, que les Alpes sont notre frontière, et qu'il importe que les Alpes soient gardées par une puissance amie. Devant une menace d'invasion adressée au Piémont,

la France pouvait-elle reculer? - Non, cela était impossible.

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M. Jules Favre prit la parole après M. le président du conseil d'État : « Si le Corps législatif, dit-il, n'a pas eu à diriger les événements; s'il n'a pas aujourd'hui le droit de refuser les moyens, pour notre armée, de paraître avec éclat sur le théâtre de l'action, les membres de la chambre ont le droit de s'interroger sur les causes et sur le but de la guerre.............. Le gouvernement a gardé le silence après le discours de M. Ollivier;... dans les précédentes séances, M. le

président du conseil d'État à déclaré que la guerre était désormais engagée et les traités déchirés.... Dans le document lu par M. le ministre des affaires étrangères, il a été dit que la France a voulu constamment la paix, qu'elle la veut encore, et que l'on a négocié dans ce but; c'est contre les termes de cet exposé que M. J. Favre proteste..... Dans sa conviction, le gouvernement français ayant voulu et préparé la guerre, c'est sur le gouvernement que la responsabilité de la guerre doit peser. L'honorable membre demande que l'on se reporte à une année en arrière. Rien ne pouvait faire prévoir que la paix de Sébastopol dût être troublée: c'est au milieu du calme le plus complet que cabinet des Tuileries a exprimé sa sollicitude pour I'Italie, a émis l'idée que des réformes fussent introduites dans quelques États de la péninsule et s'est élevé contre la prépondérance toujours croissante de l'Autriche. L'attitude du gouvernement français, ses paroles, les publications tolérées par lui, tout cela a fait échec à la domination de l'Autriche en Italie, tout cela a laissé voir que les traités de 1815 étaient sapés par la base.

le

« Aux yeux de M. Jules Favre, cette conduite devait amener inévitablement le double résultat de remuer profondément l'Italie, d'inquiéter le cabinet de Vienne, de le pousser, dès lors, à exagérer la compression qu'il faisait peser sur la péninsule.....

que

« L'orateur demande s'il n'est les agivrai pas tations qui se manifestent en ce moment en Italie, le mouvement qui s'y propage, et qui déjà a renversé le trône fragile de Toscane, ont été, comme il l'a déjà

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BUT DE LA GUERRE D'ITALIE.

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dit, encouragés par le cabinet des Tuileries. Le gouvernement français a entendu les plaintes des Italiens, il s'en est fait l'écho.... la question ne pouvait donc être résolue que par la guerre....

<< Répondant ensuite aux objections présentées par M. Lemercier, l'orateur déclare que si les événements qui vont s'engager assurent des changements importants dans les États romains, il y verra l'action d'une puissance supérieure et irrésistible... L'épée de la France a été tirée pour l'indépendance de l'Italie et ne doit pas rentrer dans le fourreau tant qu'un Autrichien sera sur le sol de la péninsule... telle est la raison de la guerre (1).

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M. Nogent-Saint-Laurens, avec une droiture à laquelle il faut rendre hommage, crut devoir protester contre les projets que M. Jules Favre prêtait au gouvernement : « La guerre est imminente, l'orateur le sait, mais il ne veut pas accepter cette guerre avec des tendances, des idées et des passions qu'il ne partage pas... il veut une guerre localisée, loyale, de courte durée, réparatrice, une guerre qui améliore; il ne veut pas une guerre révolutionnaire, généralisée et sans issue... La guerre est purement défensive... M. Nogent-Saint-Laurens se résume en disant qu'il veut la Lombardie apaisée, mais non l'Italie révolutionnée. »

MM. Monnier de la Sizeranne et Lebreton parlèrent dans le même sens, et l'on put se convaincre, par les événements qui suivirent, a dit un éminent publi

(1) Moniteur du 2 mai 1859, pag. 502.

ciste anglais, combien M. Jules Favre était mieux informé que M. le président du conseil d'État et de la politique du gouvernement et du but que celui-ci voulait atteindre!

Le 3 mai l'état de guerre fut officiellement annoncé dans une proclamation de l'empereur au peuple français :

L'Autriche, en faisant entrer son armée sur le territoire du roi de Sardaigne, notre allié, nous a déclaré la guerre. Elle viole ainsi les traités, la justice, et menace nos frontières. Toutes les grandes puissances ont protesté contre cette agression... L'Autriche a amené les choses à cette extrémité qu'il faut qu'elle domine jusqu'aux Alpes, ou que l'Italie soit libre jusqu'à l'Adriatique...

<< Le but de cette guerre est de rendre l'Italie à ellemême et non de la faire changer de maître, et nous aurons à nos frontières un peuple ami qui nous devra son indépendance.

<< Nous n'allons pas en Italie fomenter le désordre, ni ébranler le pouvoir du Saint-Père, que nous avons replacé sur son trône, mais le soustraire à cette pression étrangère qui s'appesantit sur toute la péninsule, contribuer à y fonder l'ordre sur des intérêts légitimes satisfaits (1). »

Avant de quitter la France, l'empereur dut pourvoir au gouvernement de l'État pendant son absence. Dans ce but, deux décrets furent rendus : l'un déférait la régence à l'impératrice. l'autre donnait, en cas

(1) Moniteur du 4 mai.

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1856-1858] LE MINISTÈRE FRANÇAIS MODIfié. d'absence de la régente, la présidence du conseil privé et du conseil des ministres au prince Jérôme.

Il y eut aussi quelques modifications dans le personnel ministériel: le maréchal Randon remplaça comme ministre de la guerre le maréchal Vaillant, nommé major-général de l'armée d'Italie; M. Delangle quitta le ministère de l'intérieur, confié au duc de Padoue, pour prendre les sceaux, et M. de Persigny fut nommé ambassadeur à Londres à la place du duc de Malakoff auquel était dévolu le commandement en chef d'une armée d'observation sur les frontières de l'Est.

Ce fut le 10 mai que l'empereur partit pour l'armée. Avant la déclaration de guerre, nous l'avons dit, et le fait ne saurait être contesté, l'immense majorité du pays était absolument hostile à la guerre : les excitations de certains journaux, moins soucieux peut-être des intérêts de la France que de ceux de l'Italie (1), n'avaient pu vaincre les instinctives répugnances de la nation. Mais, la guerre déclarée, elle accepta, comme toujours, avec entrain et générosité, une situation, on peut le dire, imposée.

Ceux qui, le 10 mai 1859, ont vu l'empereur monter en chemin de fer pour se rendre en Italie, ne trouveront pas exagérée la relation suivante, insérée dans le Moniteur du 11 :

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L'empereur a quitté sa capitale, ce soir à six heures, pour aller prendre le commandement de l'armée d'Italie...

(1) Cet oubli de tout patriotisme, par une fraction de la çaise, sera très-sévèrement jugé dans l'histoire.

presse fran

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