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« Partout, sur le passage de l'empereur, ont éclaté les acclamations les plus chaleureuses. Son escorte avait peine à lui frayer un passage au milieu de la multitude qui se pressait autour de sa voiture; toutes les fenêtres des maisons, depuis le bas jusqu'au faîte, étaient remplies de spectateurs agitant leurs chapeaux ou leurs mouchoirs. Jamais, on peut le dire, aucun souverain n'a été accompagné de vœux plus ardents. »

Les étrangers témoins de ce spectacle eurent peine à se l'expliquer. Le principal journal de l'Angleterre, le Times, en prit occasion pour comparer les Français aux chrétiens d'Alexandrie, pendant le cinquième siècle, lesquels, au sortir du sermon le plus touchant, s'en allaient applaudir, comme des païens, les gladiateurs du cirque.

il

Étrange nation! ajoutait le publiciste britannique :

y a près d'un mois, elle était presque unanime contre la guerre, et si la tribune et la liberté de la presse eussent existé, il n'y aurait point eu de campagne d'Italie ! Mais le simple fait de la guerre a éteint les répugnances du peuple français; à peine le bruit des armes a-t-il retenti, que les visions de gloire et d'agrandissement territorial ont ébloui la nation tout entière! >>

Cette critique n'est point équitable. Non, les visions de gloire et d'agrandissement territorial n'avaient point ébloui la nation tout entière! En dehors de quelques publicistes, dont l'enthousiasme fut peut-être moins désintéressé qu'on ne l'a cru, personne en France ne croyait «< que la nouvelle guerre serait une ère nouvelle dans la politique du monde. »

1856-1858]

EXPÉDITION EN KABYLIE.

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Mais la lutte commencée, nos jeunes soldats en marche, pour aller combattre et mourir, n'est-il pas tout simple que leur élan patriotique ait remué tous les cœurs, même ceux des philosophes attristés? Le Times aurait dû se rappeler l'histoire de son pays. Est-ce que, pendant notre révolution, dont les principes étaient sympathiques au peuple anglais, celui-ci ne s'est pas précipité dans la guerre avec une ardeur infatigable, dès que les armes britanniques se sont tournées contre nous? Tel fut le sentiment de la France en 1859. A la vue de ses fils partant pour la bataille, son cœur tressaillit : elle ne songea qu'aux périls qu'ils allaient braver et à l'héroïque désintéressement de leur sacrifice.

Mais, avant d'entamer le récit de ces combats mémorables, deux mots sur l'expédition de la grande Kabylie.

XLIV

La grande Kabylie est la contrée que dessinent, à l'est d'Alger, des massifs montueux dont les pentes, s'abaissant toujours, s'en vont mourir à la Méditerranée. D'Alger, l'œil distingue les versants du Djurjura et les défilés qui conduisent à leurs cimes escarpées. Là vivent des peuplades aux mœurs belliqueuses, fières de leur indépendance et, par leurs coutumes comme par leurs traditions, très-différentes des populations arabes.

Les Kabyles ont conservé leur caractère primitif à travers toutes les invasions et sont encore distribuésen petites confédérations toujours prêtes à courir aux armes. Le danger permanent de ce voisinage hostile fut

dès l'origine compris par les généraux français. Le maréchal Bugeaud, en montrant les montagnes de la Kabylie disait : « La clef de l'Algérie est là ! »

Depuis le traité de Paris, où les grandes puissances s'étaient entendues pour pacifier l'Orient, le gouvernement français avait plus d'une fois formé le projet d'en finir avec les populations toujours insoumises des montagnes d'Alger et du massif du Djurjura.

Parmi ces tribus, une surtout, disait le maréchal Randon, dans sa dépêche du 25 mai, « s'était fait remarquer par l'intelligence, la vivacité, l'indépendance de l'esprit et par l'influence que sa position lui permettait d'exercer sur les autres parties de la Kabylie c'était la tribu des Beni-Raten. S'apercevant que, depuis les campagnes précédentes, et surtout depuis l'expédition de 1854, le parti français gagnait chaque jour du terrain, les Beni-Raten firent de grands sacrifices d'argent pour maintenir, dans leurs montagnes, le parti qui revendiquait l'indépendance absolue du pays. Ils s'efforcèrent de détacher de la France toutes les tribus qui s'en étaient rapprochées. En 1855, les Beni-Ouagenoun révoltés avaient forcé l'autorité française à intervenir vigoureusement les Guechtoula les imitèrent en 1856. Entraînant d'autres tribus au combat, ils ne se soumirent qu'après une lutte acharnée. Cet échec ne découragea point les Beni-Raten. Ils redoublèrent d'intrigues, firent de nouveaux sacrifices et préparèrent une nouvelle prise d'armes.

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En présence d'une telle situation, le maréchal Randon reçut l'autorisation de faire marcher une partie

1856-1858]

COMBATS CHEZ LES BENI-RATEN.

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de l'armée d'Afrique contre cette puissante peuplade. Le 24 mai, au point du jour, trois divisions placées sous les ordres des généraux Renault, Yusuf et MacMahon, escaladèrent les pentes abruptes du massif des Beni-Raten et, au bout de quelques heures, elles en couronnaient les hauteurs. Le général Renault, qui commandait la première division et devait attaquer la puissante tribu des Irdgers, rencontra la plus vive résistance. Il lui fallut enlever successivement plusieurs positions importantes, avant de planter le drapeau français sur la crête de Tighert-Hala.

Pendant ce temps, le général de Mac-Mahon, à la tête de sa division, s'emparait des positions formidables qui s'étendent d'Afenson à Imaïseren, et Yusuf délogeait les Beni-Raten de leur village fortifié.

A la suite de ces vigoureux faits d'armes, plusieurs tribus firent leur soumission, et le gouverneur général reçut les otages exigés. Le corps expéditionnaire occupait, peu de jours après, les hauteurs de Souk-el-Arba qui commandent tout le pays d'alentour. Les jours suivants de nouvelles tribus vinrent successivement demander l'aman. A la faveur de cette panique, le maréchal Randon fit étudier l'emplacement d'un poste militaire, qui devait dominer tout le massif des montagnes.

Au commencement de juin, l'armée expéditionnaire se réunit sur les montagnes du pays des BeniRaten, afin d'assurer la prise de possession de la Kabylie par l'ouverture d'une route carrossable et par l'érection d'une forteresse au cœur même du pays ennemi.

HIST. CONTEMP. - T. VII.

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Toutefois, avant d'entreprendre une pareille tâche, il y avait nécessité de tout soumettre autour de soi. La campagne se rouvrit donc dans la seconde quinzaine de juin, et, quelques jours après, les troupes françaises s'emparaient du grand village d'Ait-el-Arba, situé sur l'un des pitons du Djurjura, et qui, depuis plusieurs siècles, était le siége d'une fabrique de fausse monnaie, exploitée par les Beni-Yéni. Avec le même entrain furent emportés les autres villages de la tribu; celui d'lcheriden opposa la résistance la plus habile et la plus acharnée : les Kabyles l'avaient entouré d'obstacles artificiels on ne peut plus redoutables. Là s'étaient rassemblés les plus vaillants guerriers de la tribu, et ces rudes adversaires, disait le général de Mac-Mahon dans son rapport, « poussèrent des hurlements épouvantables au moment où notre tête de colonne arrivait à portée de leur feu. » La défense fut digne de l'attaque : les Français n'avaient pas encore rencontré, en Algérie, des ennemis aussi solides et des moyens de défense aussi perfectionnés. La prise d'Icheriden a été considérée comme un des plus glorieux exploits du vaillant capitaine qui, naguère, avait enlevé Malakoff aux Russes.

La division Mac-Mahon une fois installée à Icheriden, le poste de Souk-el-Arba se trouvait couvert, et l'on put se porter sur le massif des Beni-Yéni dont le principal village, Aït-el-Hassen, offrit la plus vive résistance. Ce village, toutefois, et plusieurs tres, ne purent résister à l'attaque de nos troupes. Les Français étaient donc les maîtres des croupes qui conduisent au Djurjura : l'investissement en fut

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