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1851-1852]

BASES DE LA NOUVELLE CONSTITUTION.

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Le Corps législatif voterait les lois et l'impôt. Cette Chambre serait élue par le suffrage universel, sans scrutin de liste, mécanisme qui fausse l'élection. Elle serait composée d'environ deux cent soixante membres. Elle pourrait adopter ou repousser les lois, mais non y introduire à l'improviste de ces amendements qui dérangent souvent toute l'économie d'un système et l'ensemble du projet primitif. Elle serait dépouillée de cette initiative parlementaire qui permettait à chaque député de se substituer au gouvernement en présentant les projets les moins étudiés, les moins approfondis, et qui, depuis la révolution de 1830, avait attribué la prépondérance à peu près exclusive aux assemblées délibérantes. D'après le même système, le sénat ne devait plus être, comme autrefois la chambre des Pairs, le pâle reflet de la Chambre élective. Dépositaire du pacte fondamental, il examinerait les lois ou en proposerait de nouvelles, uniquement sous le rapport des grands principes sociaux. Il interviendrait, soit pour résoudre toute difficulté grave qui pourrait s'élever en l'absence du Corps législatif, soit pour expliquer le texte de la constitution et en assurer la marche. Il aurait le droit d'annuler tout acte arbitraire et illégal. Ce rôle de corps indépendant et conservateur serait encore relevé par une brillante réunion de noms illustres, de grands talents, de hautes fortunes, de services rendus. Le sénat ne pourrait être transformé en cour de justice; il conserverait son caractère de modérateur suprême. Une haute cour de justice, choisie dans la haute magistrature, ayant pour jurés des membres des

conseils généraux de toute la France, réprimerait les attentats contre le chef de l'État et la sûreté publique.

Là étaient les principes fondamentaux. Quant aux détails, une large voie restait ouverte aux modifications qui pourraient être introduites par le sénat de concert avec le gouvernement, à la condition d'être ratifiées par le suffrage populaire.

Les partisans dé la révolution de 1789 se félicitaient de voir inscrire au frontispice de la constitution nouvelle une adhésion générale, vague peutêtre, mais très-accentuée, aux principes de cette époque. Ceux qui aspiraient au progrès continu voyaient avec satisfaction que la charte de 1852 ouvrait une porte très-large aux révisions futures. Le serment politique était rétabli. Il était interdit aux journaux de rendre compte des débats du Corps législatif autrement que par l'insertion du procèsverbal; les séances du sénat ne pouvaient être rendues publiques.

XIII.

Les conditions de la vie politique étant changées, il fallait modifier les moyens d'action de l'autorité centrale. On rétablit le ministère d'État, ancienne création du gouvernement impérial. On exhuma des souvenirs du passé le ministère de la police générale, dont la direction fut confiée à M. de Maupas.

Le président de la république étant responsable, aux termes de la constitution nouvelle, un intérêt tout nouveau s'attachait pour lui à connaître l'état

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ORGANISATION MINISTÉRIELLE.

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général du pays, à suivre l'exécution des mesures arrêtées avec ses ministres, à observer le mouvement des rouages administratifs, à se renseigner sur l'accueil que les actes de son gouvernement recevraient de l'opinion publique. Pour s'éclairer sur tous ces points il n'avait que les renseignements émanés des ministères, renseignements insuffisants, contradictoires. Il avait donc fallu donner au pouvoir central les moyens de surveillance et de contrôle qui lui manquaient. C'est pour cela que le ministère de la police générale avait été institué. Les moyens d'action qui étaient donnés à ce département nouveau consistaient en neuf inspecteurs généraux qui comprendraient dans leurs attributions plusieurs divisions militaires et correspondraient directement avec le ministre. Ces inspecteurs généraux auraient sous leurs ordres des inspecteurs spéciaux chargés d'entretenir des rapports suivis avec les commissaires de police jusqu'alors disséminés sur tous les points du territoire, où ils remplissaient un rôle purement local et municipal.

Le caractère général de cette nouvelle administration était tracé par le président de la république dans des termes qui méritent une attention particulière. Ainsi, d'après ce programmé, le ministre de la police << surveillerait tout sans rien administrer; il ne diminuerait pas le pouvoir des préfets, il ne le partagerait pas; ses agents seconderaient les diverses autorités, les éclairant d'abord, et le gouvernement ensuite, sur tout ce qui concernerait les services publics. >>

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Le ministère de l'intérieur resta seul chargé de la

direction politique du pays. En théorie cela semblait rationnel; dans la pratique il devint très-difficile de définir la ligne de démarcation qui devait séparer les questions ressortissant aux deux ministères. M. de Maupas, comme ministre de la police, attirait à lui toutes les affaires qui se rattachaient à la sûreté de l'État, à l'ordre public, à la direction de l'opinion par la presse, au droit de réunion et d'association, au contrôle de tous les actes généraux des fonctionnaires civils et judiciaires. En dehors de ces affaires on ne laissait au ministère de l'intérieur que la présentation des préfets et des sous-préfets et l'exécution des lois qui réglementaient toutes les opérations électorales. Ce n'était point assez pour donner une consistance sérieuse à ces « attributions politiques » que le gouvernement maintenait au ministère de l'intérieur, et la vraie force administrative, qui se résume en fait dans les questions d'ordre public et dans la direction des esprits, était dévolue en réalité au département de la police. De là des conflits et des tiraillements qui, à un moment donné, amenèrent nécessairement la suppression du ministère confié à M. de Maupas.

XIV

Des mesures furent prises contre les partis vaincus. Les pouvoirs dictatoriaux confiés au prince-président duraient encore; ils lui permirent de porter à ses ennemis les coups qu'il jugea nécessaires au maintien de l'ordre nouveau fondé en France en vertu du plébiscite du 20 décembre.

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DÉCRET SUR LA FAMILLE D'ORLEANS.

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Le 22 janvier parurent deux décrets qui frappaient la famille d'Orléans; l'un de ces décrets ordonnait la vente, dans le délai d'un an, des biens que la famille d'Orléans possédait en France; l'autre la dépossédait, au profit de l'État, de tous les biens, meubles et immeubles, qui étaient l'objet de la donation faite, le 7 août 1830, août 1830, par le roi Louis-Philippe à ses

enfants.

Tous les gouvernements, disaient les considérants du décret, avaient jugé indispensable d'obliger la famille qui cessait de régner à vendre les biens meubles et immeubles qu'elle possédait en France. Ainsi, le 12 janvier 1816, Louis XVIII avait contraint les membres de la famille de l'empereur Napoléon de vendre leurs biens personnels dans le délai de six mois. Ainsi encore, le 10 avril 1832, Louis-Philippe en avait agi de même à l'égard des princes de la branche aînée des Bourbons. « Aujourd'hui plus que jamais, ajoutait le décret, ces mesures, qui sont toujours d'ordre et d'intérêt publics, étaient commandées par la nécessité de diminuer l'influence que donnait à la famille d'Orléans la possession de près de 300 millions d'immeubles en France. »

La question de droit étant ainsi discutée par le décret, on ajoutait que, sans vouloir porter atteinte au droit de propriété dans la personne des princes de la famille d'Orléans, le président de la république avait à justifier la confiance du peuple français en ne permettant pas que des biens qui devaient appartenir à la nation fussent soustraits au domaine public. D'après l'ancien droit public de la France, maintenu par

le

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