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SENTENCES DES COMMISSIONS MIXTES.

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gérie ou éloignés de France. Le nombre de ceux qui furent envoyés à Cayenne demeura au-dessous de cent, non compris d'ailleurs un certain nombre d'individus condamnés à la déportation par des cours d'assises ou des tribunaux réguliers, et qui obtinrent, par commutation de peine, leur transfèrement à la Guiane.

Les commissions mixtes statuèrent sur pièces, d'après les documents de police, et ceux qu'elles jugèrent sommairement n'eurent point la permission de se faire défendre par ministère d'avocats; on invoqua contre eux la notoriété de leurs antécédents et de leurs actes, et on statua comme eût pu le faire un vainqueur armé à l'égard de prisonniers de guerre saisis dans la bataille et accablés sous le poids du flagrant délit. Les hommes qui furent ainsi atteints et frappés n'avaient cessé, depuis plusieurs années, d'exalter les souvenirs du comité de Salut public et du tribunal révolutionnaire; ils avaient décerné des apothéoses à Robespierre, à Danton, à Collot d'Herbois, justifié les septembriseurs et dressé des statues à Gracchus Babeuf. On retourna contre eux les armes dont ils se seraient servis contre leurs adversaires en cas de victoire. C'est l'implacable logique des guerres civiles.

Ajoutons que, passé le premier moment donné à la répression ou au combat, le gouvernement du prince-président saisit toutes les occasions qui s'offrirent à lui d'admettre à commutation de peine ou à clémence définitive ceux des individus, condamnés par les conseils de guerre ou de révision, ou par les

commissions mixtes, qui témoignèrent du repentir et sollicitèrent leur pardon.

La suprême direction de ces mesures de sûreté générale, l'exécution immédiate de toutes les sentences prononcées à l'égard des vaincus par les juridictions dictatoriales ou administratives dont nous venons de parler, fut confiée à M. de Maupas, ministre de la police générale. Il en assuma la responsabilité sans regarder en arrière, sans se préoccuper de l'opinion de l'avenir, et convaincu qu'un dévouement absolu à la cause du 2 décembre réclamait de lui obéissance aux nécessités de la victoire. Instrument d'une sévérité en laquelle il avait foi, il promulgua les sentences des commissions mixtes sans les adoucir ni sans les contrôler, puisque ce droit ne lui avait pas été réservé. Il crut à l'infaillibilité de cette justice expéditive qui n'avait point admis les coupables à récuser leurs accusateurs; il ne lui vint point à l'idée de douter des lumières de ceux qui avaient statué sur un si grand nombre d'hommes; il ne s'attribua pas la faculté d'examiner si les préfets, dont plusieurs étaient nouvellement nommés, avaient bien recueilli les notions et les preuves qui pouvaient asseoir des convictions inébranlables; si les procureurs de la république n'avaient pas une tendance trop grande à réputer coupables ceux que l'on déférait au prétoire; si les chefs militaires, appelés à décider du sort des vaincus, n'étaient point encore dominés par les souvenirs récents de la lutte et de la bataille. De pareils doutes n'arrêtèrent pas le dévouement d'un homme qui, au premier rang des amis du prince, avait risqué sa tête pour le succès du coup

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CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES.

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d'État, et aurait mille fois encouru la mort du jour où le socialisme aurait prévalu. Cette dernière pensée le raffermissait sans doute contre les incertitudes de la justice politique, et ce cri: Væ victis ! lui prescrivait d'être inexorable pour ceux qui, vainqueurs, par hasard, et à sa place, ne lui auraient point pardonné.

Telle est la justice des révolutions et des guerres civiles; un jour vient où l'histoire pèse ce qu'elle vaut, et alors on met dans les deux plateaux de la balance la sévérité des vainqueurs et les gémissements des vaincus. A l'heure présente nous sommes trop rapprochés de ces jours terribles pour voir clairement ce qu'à leur égard pourra être l'opinion de l'avenir.

XVI

En écrivant ces lignes nous nous efforçons d'être impartial et calme, selon le devoir d'historien qui nous a été assigné et que nous espérons remplir jusqu'au bout sans céder à d'autres considérations qu'à la vérité et à la justice. Durant le cours d'une carrière qui nous a paru longue, tant il nous a été donné de voir les événements et d'y être obscurément associé, nous avons plus d'une fois, nous ou nos amis, selon les hasards de la victoire, subi les conditions de la défaite ou exercé le mandat de la force. L'expérience apprend à se défier du triomphe et à ne jamais désespérer dans les revers, puisque ni l'honneur, ni les principes ne sont vaincus sans retour. Nous avons coutume de pardonner à ceux qui se trompent et de ne fouler aux pieds d'autre bannière que celles de l'op

BIST. CONTEMP.

T. VIII.

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pression et du crime. Et qui donc a le privilége de ne jamais errer, le bonheur de connaître toujours la route qu'il faut suivre? Le cantique des anges n'a-t-il pas fait entendre à la terre ces mots consolants: Paix aux hommes de bonne volonté? En politique les hommes de bonne volonté peuvent être sous différents drapeaux puisque le monde a été livré aux disputes.

XVII

Plusieurs décrets ayant force de loi furent édictés dans le but de réglementer certaines dispositions ou de combler certaines lacunes dans l'ensemble de la législation politique, administrative et judiciaire de la France. Un de ces actes modifia la loi du 15 mars 1850, relative à l'enseignement, particulièrement en ce qui concernait l'inamovibilité des professeurs et la juridiction du conseil suprême de l'Université. Un décret remit en vigueur les anciennes lois qui réglementaient le droit de réunion et d'association. Un autre remania, dans un sens plus favorable au repos des citoyens, les lois qui régissaient l'institution de la garde nationale. Un décret organique, en date du 17 février 1852, restreignit dans d'étroites limites l'action et la⚫ liberté de la presse.

Aux termes de cette loi aucun journal, ou écrit périodique traitant de matières politiques, ne pouvait désormais paraître qu'après l'autorisation du gouvernement; cette autorisation était nécessaire pour introduire en France des journaux publiés à l'étranger. Les délits commis par la voie de la presse

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DÉCRETS ORGANIQUES.

LA PRESSE.

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étaient jugés par les tribunaux de police correctionnelle. Une condamnation pour crime commis par la voie de la presse, deux condamnations pour délits ou contraventions commis dans l'espace de deux années entraîneraient de plein droit la suppression du journal; en outre, même après une seule condamnation prononcée pour contravention ou délit de presse, le gouvernement pourrait, pendant les deux mois qui suivraient cette condamnation, prononcer soit la suspension temporaire, soit la suppression du journal.

Un journal pourrait être suspendu par simple décision ministérielle alors même qu'il n'aurait été l'objet d'aucune condamnation, mais après deux avertissements motivés et pendant un temps qui ne pourrait excéder deux mois. Enfin un journal qui aurait encouru une suspension judiciaire ou administrative pourrait toujours être supprimé par l'autorité, et, même sans avoir encouru aucune suspension, il pourrait également être supprimé par mesure de sûreté générale; mais dans ces deux cas la suppression ne pourrait être prononcée que par un décret du chef de l'État.

Les cours d'assises continueraient à connaître de quelques autres délits analogues par leur nature ou assimilés par le législateur à ceux qui étaient déjà rentrés dans la loi commune. Tels étaient, par exemple, les délits politiques proprement dits, prévus par la loi du 8 octobre 1830, les délits commis par les afficheurs et les crieurs publics, les délits d'attroupement, les délits en matière de clubs et de sociétés

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