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1851-1852]

MANIFESTATIONS DU VOEU PUBLIC.

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solennité religieuse et militaire, la distribution des aigles à l'armée. L'aigle de Napoléon avait été replacée sur nos drapeaux et sur l'écusson national; il y avait comme une nouvelle alliance cimentée entre l'armée et le pouvoir.

Le prince-président inaugura, au mois de juillet, le chemin de fer de Paris à Strasbourg, complétement achevé sur toute la ligne. Ce voyage du prince, si différent de sa première excursion en Alsace, lorsque le socialisme fermentait dans les provinces de l'Est, détermina une série d'ovations. De Paris à Nancy, où une députation militaire avait été envoyée par S. M. le roi de Prusse pour complimenter le prince, de Nancy à Strasbourg, des acclamations enthousiastes, parties du sein de populations innombrables, saluèrent le chef de l'Etat. Strasbourg ménageait à Louis-Napoléon Bonaparte une éclatante manifestation populaire. Les cris de Vive l'Empereur! se confondirent dans la bouche des paysans venus de tous les points du département avec ceux de Vive Napoléon!

Cette fête nationale avait été à la fois industrielle et politique. Restait à faire une dernière expérience. Le prince résolut de parcourir le centre, le midi et l'ouest de la France, mais cette fois sans autre but que celui d'interroger le vœu du pays. C'était aborder de front, avec une confiante habileté, les parties du territoire les plus engagées naguère dans des sympathies hostiles au rétablissement de l'empire.

Dans l'intervalle des deux voyages, la session des conseils généraux s'était ouverte au milieu du calme

le plus profond. Les délibérations des conseils avaient perdu, en partie, ce caractère fâcheux que leur donnaient, depuis quelques années, les passions politiques. Ce n'était plus cette situation pleine d'orages qui, l'année précédente, engageait ces organes immédiats des sentiments du pays dans la querelle élevée entre les deux grands pouvoirs de l'État. Cette fois ils s'étaient bornés à faire sérieusement les affaires des départements; seulement un assez grand nombre d'entre eux s'était associé par des adresses à un hommage de gratitude envers le chef de l'État, à des témoignages de reconnaissance et de confiance. Beaucoup avaient été plus loin; ils n'avaient pas seulement remercié le président de la république d'avoir sauvé le pays, ils ne l'avaient pas seulement assuré de leur concours reconnaissant, ils avaient encore fait des vœux pour la stabilité du pouvoir. Le contraste de la situation actuelle avec celle qui pesait sur le pays lors de la session précédente se retrouvait dans toutes ces manifestations. Elles éclatèrent avec une force imposante dans les départements qui, naguère, avaient le plus souffert des agressions du socialisme; dans la Nièvre, dans l'Allier, dans la Loire, les classes ouvrières, les paysans, les populations qui vivent du travail et de la paix, acclamèrent l'empire avec un enthousiasme qu'aucune injonction administrative n'aurait eu la force d'imposer. A Lyon, la grande capitale du prolétariat, d'imposantes démonstrations populaires mirent en évidence le vœu national. Les populations républicaines du Dauphiné s'associèrent au même mouve.

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DISCOURS DE BORDEAUX.

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ment. Le Midi ne tarda pas à y adhérer avec le caractère expansif qui lui est propre. A Bordeaux la réception fut triomphale et amena enfin le prince à se déclarer suffisamment informé de la volonté de la France; là seulement il accepta implicitement l'empire et traça en ces termes le programme qu'il assignait au gouvernement nouveau :

« Je le dis avec une franchise aussi éloignée de l'orgueil que d'une fausse modestie : jamais peuple n'a témoigné d'une manière plus directe, plus spontanée, plus unanime, la volonté de s'affranchir des préoccupations de l'avenir, en consolidant dans la même main le pouvoir qui lui est sympathique. C'est qu'il connaît, à cette heure, et les trompeuses espérances dont on le berçait et les dangers dont il était menacé.

Il sait qu'en 1852 la société courait à sa perte, parce que chaque parti se consolait d'avance du naufrage général par l'espoir de planter son drapeau sur les débris qui pourraient surnager. Il me sait gré d'avoir sauvé le vaisseau en arborant seulement le drapeau de la France.

« Désabusé des absurdes théories, le peuple a acquis la conviction que ces réformateurs prétendus n'étaient que des rêveurs, car il y avait toujours disproportion, inconséquence entre leurs moyens et les résultats promis.

Aujourd'hui la nation m'entoure de ses sympathies parce que je ne suis pas de la famille des idéologues. Pour faire le bien du pays il n'est pas besoin d'appliquer de nouveaux systèmes, mais de donner,

avant tout, confiance dans le présent, sécurité dans l'avenir.

« Voilà pourquoi la France semble revenir à l'empire.

« Il est néanmoins une crainte à laquelle je dois répondre. Par esprit de défiance certaines personnes se disent: L'empire, c'est la guerre. Moi je dis : L'EMPIRE, C'EST LA PAIX! C'est la paix, car la France la désire, et, lorsque la France est satisfaite, le monde est tranquille.

« La gloire se lègue bien à titre d'héritage, mais non la guerre. Est-ce que les princes qui s'honoraient justement d'être les petits-fils de Louis XIV ont recommencé ses luttes?

« La guerre ne se fait pas par plaisir, elle se fait par nécessité; et, à ces époques de transition où, partout, à côté de tant d'éléments de prospérité, germent tant de causes de mort, on peut dire avec vérité : Malheur à celui qui, le premier, donnerait en Europe le signal d'une collision dont les conséquences seraient incalculables!

« J'en conviens, et cependant j'ai, comme l'empereur, bien des conquêtes à faire. Je veux, comme lui, conquérir à la conciliation les partis dissidents et ramener dans le courant du grand fleuve populaire les dérivations hostiles qui vont se perdre sans profit

pour personne.

« Je veux conquérir à la religion, à la morale, à l'aisance, cette partie encore si nombreuse de la population qui, au milieu d'un pays de foi et de croyance, connaît à peine les préceptes du Christ;

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OVATION DÉCERNÉE AU PRINCE.

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qui, au sein de la terre la plus fertile du monde, peut à peine jouir des produits de première nécessité.

« Nous avons d'immenses territoires incultes à défricher, des routes à ouvrir, des ports à creuser, des rivières à rendre navigables, des canaux à terminer, notre réseau de chemins de fer à compléter; nous avons en face de Marseille un vaste royaume à assimiler à la France. Nous avons tous nos grands ports de l'Ouest à rapprocher du continent américain par la rapidité de ces communications qui nous manquent encore. Nous avons enfin partout des ruines à relever, de faux dieux à abattre, des vérités à faire triompher. << Voilà comment je comprendrais l'empire si l'empire doit s'établir.

<< Telles sont les conquêtes que je médité, et vous tous qui m'entourez, qui voulez, comme moi, le bien de notre patrie, vous êtes mes soldats. >>

Ce manifeste produisit dans le pays et en Europe une impression immense, et dès ce moment aucun obstacle ne parut assez fort pour retarder le second avénement de la dynastie napoléonienne.

XXVII

Le 16 octobre le prince fit son entrée à Paris. Sur toute la ligne qu'il devait parcourir, de la gare d'Orléans aux Tuileries, l'armée et la garde nationale formaient la haie. Toutes les corporations industrielles d'hommes et de femmes, leurs bannières en tête, s'étaient portées au devant du futur empereur; les grands corps de l'État, le clergé, la magistrature

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