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avaient envoyé des députations; à chaque pas de splendides arcs de triomphe, ornés de drapeaux et d'images symboliques, témoignaient de l'enthousiasme du peuple. La population, profondément émue, se pressait aux fenêtres, sur les toits, encombrait les rues, les places, les promenades; des groupes innombrables de jeunes filles, avec leurs couronnes vertes et leurs robes blanches, saluaient le prince par des cris de joie. En même temps, sur la chaussée, escorté et précédé de l'élite des troupes, artillerie et cavalerie, celui qui portait encore le titre de président de la république s'avançait à cheval, objet de tous les regards, et visiblement ému par la conscience de son avenir et la grandeur de ses devoirs. Un seul cri dominait tous les cris: c'était celui de Vive l'Empereur!

XXVIII

Le 4 novembre le ministre d'État donna lecture au sénat d'un message du prince; le sénat était officiellement averti de la manifestation du vœu national. La question fut sans retard soumise aux délibérations de l'assemblée. Le rapporteur choisi par le sénat, M. Troplong, prit pour texte ce grand fait des hommes qui, dans certaines périodes historiques, apparaissent comme revêtus d'une mission providentielle; l'un de ces hommes forts s'était montré au 10 décembre 1848, au 2 décembre 1851, et la France lui avait confié son drapeau près de périr. Au reste, après le vote populaire qui avait mis l'héritier d'une

1851-1852]

ON SONGE A RÉTABLIR L'EMPIRE.

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couronne à la tête de la république, il était évident que la France, toujours démocratique par ses mœurs, ne cessait pas d'être monarchique par ses habitudes et ses instincts, et qu'elle voulait le maintien de la monarchie dans la personne du prince qui se révélait à elle comme le conciliateur de deux siècles et de deux esprits, le trait d'union du pouvoir et du peuple, le symbole monarchique de la démocratie organisée.

<<< Cette monarchie démocratique, ajoutait l'éloquent rapporteur, n'avait ni les dangers de la république, ni ceux des monarchies précédentes, qui avaient peutêtre «< placé le trône trop loin du peuple. » Le gouvernement impérial, au contraire, avait été le plus vivement regretté par le peuple, tandis que la république, gouvernement anonyme et tumultueux, rappelait bien plus aux masses les violences de ses proconsuls que les victoires dues à la valeur française. » M. Troplong disait encore:

« Voilà pourquoi la monarchie napoléonienne a absorbé une première fois et devait absorber une seconde fois la république. La république est virtuellement dans l'empire, à cause du caractère contractuel de l'institution et de la communication et de la délégation expresse du pouvoir par le peuple; mais l'empire l'emporte sur la république parce qu'il est aussi la monarchie, c'est-à-dire le gouvernement de tous confié à l'action modératrice d'un seul, avec l'hérédité pour condition et la stabilité pour conséquence. >>

XXIX

La démocratie, s'il est juste de donner ce nom à une collection d'individus animés de passions haineuses et criminelles, la démocratie vaincue d'avance essaya de protester contre l'événement prêt à s'accomplir. D'abominables pamphlets furent imprimés à l'étranger et clandestinement colportés en France; on y dévouait le prince aux poignards et à l'exécration des républicains; on s'insurgeait d'avance, au nom de la souveraineté du peuple, contre l'expression la plus haute et la plus complète de cette même souveraineté. Le prince-président fit à ces odieuses attaques un honneur dont elles n'étaient pas dignes; il les fit publier dans le Moniteur, imitant ce peuple antique dont on a vanté la sagesse, et qui, pour détourner la jeunesse de l'ignominie, permettait qu'on exposât sous les yeux de tous des esclaves réduits à la condition la plus ignoble.

Quel que soit le dégoût que nous inspire la lecture de documents qui appartiennent à la langue des conciliabules régicides, et non à celle de l'histoire, nous reproduisons textuellement ici le moins odieux, le moins violent de ces pamphlets; on jugera, en le lisant, de ce que furent les autres.

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Citoyens, la démocratie a dû s'imposer quelques mois d'attente et de souffrance avant de frapper le brigand qui souille notre pays, afin de se réorganiser malgré la terreur bonapartiste.

« Soyez donc prêts à tout et à chaque instant.

1851-1852]

PROTESTATIONS DÉMAGOGIQUES.

91

Tâchez de vous voir et de vous rassembler souvent par deux, par quatre, par dix s'il est possible; formez des groupes et des centres qui communiquent entre eux de vive voix. Conspirez, enfin, avec courage et prudence, car la persécution doit rendre ardents ceux qu'elle voudrait anéantir, Quand la grande nouvelle vous arrivera, qu'elle vous trouve debout, sans vous surprendre, comme celle du 2 décembre; rappelezvous que ce jour-là vous avez attendu en vain un signal de la part des traîtres ou des lâches qui se disaient vos chefs; ne soyez donc plus des moutons qu'on mène, soyez des hommes.

« Aussitôt que vous apprendrez que l'infâme LouisBonaparte a reçu son juste châtiment, quel que soit le jour ou l'heure, partez de tous les points à la fois pour le rendez-vous convenu entre plusieurs groupes, et, de là, marchez ensemble sur les cantons, les arrondissements et les préfectures, afin d'enfermer dans un cercle de fer et de plomb tous les vendus qui, en prêtant le serment, se sont rendus complices des crimes de leur maître. Purgez une bonne fois la France de tous les brigands qu'elle nourrit et qui la rongent. Depuis quatre ans vous avez appris à les connaître; lorsque luira le jour de justice, que ni votre cœur ni vos bras ne faiblissent, car vos ennemis, généreusement épargnés, redeviendraient bientôt vos persécuteurs et vos bourreaux. En punissant les pervers le peuple devient le ministre de la justice de

Dieu !

« N'oublions pas aussi que la France est chargée des malédictions de la démocratie européenne, qui

attendait de notre initiative son signal de délivrance. Malgré nos faiblesses et nos défaillances, les nations lèvent encore vers nous leurs mains enchaînées et leurs yeux où brille un dernier rayon d'espoir; montrons-nous dignes de la sublime mission de progrès et d'avenir que le monde entier semble nous avoir confiée; ouvrons aux peuples le chemin de la république universelle par la révolution démocratique et sociale de la France. >>

Cet appel à l'assassinat et au massacre avait pour titre : Manifeste du Comité révolutionnaire de Londres.

XXX

Le gouvernement fit également insérer dans le Moniteur la protestation de M. le comte de Chambord, le dernier représentant de la dynastie capétienne. Ce document ne saurait être passé sous silence; il était

conçu en ces termes :

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« En présence des épreuves de ma patrie, je me suis volontairement condamné à l'inaction et au silence. Je ne me pardonnerais pas d'avoir pu, un seul moment, aggraver ses embarras et ses périls. Séparé de la France, elle m'est chère et sacrée autant et plus encore que si je ne l'avais jamais quittée. J'ignore s'il me sera donné de revoir un jour mon pays; je suis bien sûr qu'il n'aura pas à me reprocher une parole, une démarche, qui puisse porter la moindre atteinte à sa prospérité et à son repos. C'est son hon

mais

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